Discours haineux : Twitter reconnaît sa « lenteur », mais promet de « ne jamais déposer les armes »
Discours haineux : Twitter reconnaît sa « lenteur », mais promet de « ne jamais déposer les armes »
Par William Audureau
Le réseau social a vu propagande terroriste et mouvements haineux proliférer. Il vient de mettre en place de nouveaux outils pour lutter contre ces discours et a récemment banni des utilisateurs abusifs très influents.
Twitter a annoncé, mardi 15 novembre, de nouvelles fonctionnalités pour lutter contre le harcèlement en ligne. | LEON NEAL / AFP
Et s’il changeait ? Twitter, le réseau social, critiqué pour sa passivité face à la propagation de discours haineux et de propagande terroriste, promet vouloir se montrer plus ferme, sans renier la liberté de parole qui a fait son succès.
Mardi 15 novembre, le géant du Web a annoncé de nouvelles mesures : filtres permettant aux utilisateurs de masquer les tweets contenant un mot non-désiré, système de signalement plus fin des tweets problématiques, et programme de formation des équipes de modération aux particularités culturelles de chaque pays.
En parallèle, le réseau social a lancé une vague de suppression de comptes très suivis liés à l’« alt-right », ce mouvement d’extrême droite américain qui a soutenu Donald Trump et multiplié, pendant la campagne présidentielle, incitations à la haine raciale et « shitposting », ces messages volontairement provocateurs.
« Vous avez raison de souligner notre lenteur à mettre en place ces mesures. Cela a été tout un périple », reconnaît Sinead McSweeney, directrice des relations publiques et de la communication de Twitter Europe et Moyen Orient, interrogée par Le Monde. « C’est un travail que l’on mène depuis longtemps, on n’a pas été assez rapides, on n’est pas allés assez fort. C’est vrai », admet Audrey Herblin, directrice des affaires publiques et philanthropiques chez Twitter France.
Néanmoins, Sinead McSweeney assure que cette lenteur cache une réelle détermination :
« Si cela pouvait être fait de manière rapide, on l’aurait fait rapidement. Mais nous avons besoin de toute une boîte à outils, qui inclut un code de conduite, un renforcement des équipes de modération, et des fonctionnalités pour les utilisateurs. Cela aurait pu – et nous devrions – aller plus vite, et il y a encore beaucoup de choses à faire, mais nous ne déposerons jamais les armes. »
Difficile numéro d’équilibriste
Le réseau social est tenu à un difficile numéro d’équilibriste : assumer son positionnement de plateforme neutre malgré son utilisation comme outil de propagande et de désinformation par de nombreuses communautés provocatrices.
Celles-ci sont promptes à crier à la censure dès qu’un message haineux est supprimé, et à plus forte raison quand un utilisateur est banni. Dans une vidéo sur YouTube, le suprémaciste blanc Richard Spencer, récemment exclu du service, a dénoncé « une purge » visant « les gens en fonction de leurs opinions ».
« Notre objectif est de nous assurer que Twitter reste une plateforme ouverte où chacun peut s’exprimer librement, souligne Sinead McSweeney. La ligne que nous traçons, c’est que la liberté d’expression ne doit pas permettre de viser quelqu’un pour son appartenance à une race, religion, orientation sexuelle, sexe, etc. »
Deux ans après le forum 4chan, qui s’est tardivement converti à la modération de ses contenus après la polémique du GamerGate (des journalistes et développeuses de jeux vidéo victimes de harcèlement en ligne), Twitter entend donc mettre en application de manière plus systématique ses conditions d’utilisation, qui interdisent les agressions verbales basées sur l’appartenance raciale, sexuelle, religieuse, ou l’orientation sexuelle.
Jeudi 17 novembre, le président de Twitter, Jack Dorsey, a réaffirmé cette volonté, alors que le réseau était épinglé pour avoir laissé passer un tweet sponsorisé faisant l’apologie des idées suprémacistes. M. Dorsey a présenté ses excuses
We made a mistake here and we apologize. Our automated system allowed an ad promoting hate. Against our policy. We… https://t.co/vAh2Y3bCYK
— jack (@🚶🏽jack)
« Nous avons commis une erreur et nous nous en excusons. Notre système automatisé a autorisé une publicité à promouvoir la haine. C’est contre nos règles. Nous sommes revenus en arrière et avons corrigé ça. »
Reflet du monde réel, selon Twitter
Faut-il y voir un virage du réseau social après la campagne américaine ? Depuis l’élection de Donald Trump, Facebook est dans l’œil du cyclone, de nombreux observateurs lui reprochant d’avoir laissé proliférer des articles de désinformation ayant influencé le résultat de l’élection. Twitter réfute toute responsabilité dans l’issue du vote américain.
« Les électeurs américains ont élu Trump, et nous avons un dicton : ce qui se passe dans le monde se passe aussi sur Twitter. Nous avons vu les deux candidats s’investir dans des campagnes en ligne et des communautés militantes se former », constate Sinead McSweeney. « En France, la représentation politique sur Twitter est globalement la même que la représentation politique globale déclarée », assure Audrey Herblin, citant une étude.
« Ce n’est pas parce que l’on supprime les propos que l’idée disparaît, et que les gens sont soudain moins intolérants, ajoute Audrey Herblin. Il faut qu’on agisse mieux pour faire disparaître ces propos d’un côté, mais aussi, plus globalement, pour faire disparaître ces idées, que les gens aient du respect les uns pour les autres. »
Ce travail, Twitter le mène en collaboration avec les pouvoirs publics et des associations, comme la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), ou e-Enfance, pour la protection des mineurs contre le harcèlement et les contenus choquants.
« Une plateforme faite pour le débat »
L’opposition d’idées et la confrontation avec des opinions parfois extrêmes font malgré tout partie intégrante du concept de Twitter et de la philosophie de ses fondateurs. Sinead McSweeney veut y voir une chance :
« Je me fais souvent cette réflexion vis-à-vis de mon fils : je ne veux pas le voir grandir dans un monde où il serait exposé à de mauvaises choses, comme le discours haineux, mais je ne veux pas non plus qu’il grandisse dans un monde où il penserait que cela n’existe pas. Je souhaite qu’il ait les compétences et le pouvoir d’engager un bras de fer avec ces idées, et il me semble que Twitter permet ça. C’est une plateforme faite pour le débat. »
Selon des chiffres donnés par Twitter France, 26 % des utilisateurs de la plateforme auraient déjà reconnu avoir changé d’opinion après avoir consulté des avis contraires sur le réseau. L’entreprise omet de préciser s’il s’agit majoritairement de convertis aux discours haineux, ou d’utilisateurs qui en reviennent.