Rugby : le président de la FFR dément l’existence « d’une double billetterie ».
Rugby : le président de la FFR dément l’existence « d’une double billetterie ».
Par Boris Teillet
Candidat à sa propre succession, le 3 décembre, Pierre Camou a répondu aux accusations de Mediapart.
À deux semaines de l’élection à la présidence de la Fédération française de rugby (FFR), programmée le 3 décembre, il fallait répondre. Candidat à sa propre succession, Pierre Camou l’a fait, samedi 19 novembre. Au cours d’une conférence de presse prévue depuis le début de la semaine, celui qui admet que sa communication est « son plus gros défaut », a affirmé qu’il n’y avait pas de système frauduleux de double billetterie au sein de sa fédération.
En poste depuis 2008, M. Camou a tenu à démentir l’information divulguée, la veille, par le site Mediapart. « Pendant près de dix ans, un système de revente transitant par une association d’anciens joueurs internationaux a ainsi prospéré, au vu et au su de l’état-major du rugby français », écrit le journaliste Antton Rouget sur Mediapart.
L’Amicale des anciens liée à Impact Sport
Selon le site, Bernard Godet et Gérald Martinez, membre du comité directeur de la FFF dans les années 1990, profiteraient depuis près de dix ans des largesses liées à la gestion de la billetterie par la FFR. En avril dernier, la Cour des comptes écrivait dans un rapport confidentiel que Mediapart a pu consulter : « Le dispositif de gestion de la billetterie (25 % en moyenne des produits d’exploitation) s’est avéré fragile et source de contentieux car peu maîtrisé et faiblement traçable ». Avant d’avertir que « le resserrement du dispositif interne est impératif ».
Gérald Martinez est un ancien demi de mêlée du Stade Toulousain et du Racing club de France et préside l’Amicale des anciens internationaux depuis le début des années 2000. Une association qui perçoit des financements de la part de la FFR puisqu’elle dispose du statut de club.
Mediapart avance que Gérald Martinez aurait signé un contrat avec la société Impact Sport, spécialisée dans la revente de billets, en 2001. L’Amicale se serait engagée à fournir 200 billets par match à son nouveau prestataire en l’échange de 7 % du produit des ventes. L’équivalent de 15 000 euros par rencontre. De son côté, Impact Sport se serait servi des places pour proposer ce que l’on appelle des « hospitalités ». Des packs haut de gamme qui comprennent l’entrée au stade, des repas, l’hôtel et le voyage.
Sociétés jumelles
Sauf que comme le relève Mediapart, seules trois agences sont autorisées à vendre des hospitalités. Pour cela, elles doivent racheter à la FFR ses meilleures places au « double » de leur valeur sur le marché. Ces prestataires officielles s’engagent également à acheter des billets pour tous les matchs afin de garantir un certain taux de remplissage. Des agences officielles dont n’a jamais fait partie Impact Sport.
Gérald Martinez aurait donc enrichi son association au dépend de la Fédération française de rugby. Mais il ne se serait pas arrêté là. Une partie des bénéfices reversés par Impact Sport à l’Amicale auraient été détournée vers une autre société, Impact Club, dont le capital aurait justement appartenu à Gérald Martinez et Stéphane Jourdan, par ailleurs directeur d’Impact Sport.
Toujours selon Mediapart, Bernard Godet l’actuel vice président de la FFR en charge du marketing et du commercial était l’expert-comptable d’Impact Club. En 2008, celui qui a également été l’expert-comptable de l’UMP aurait même racheté les parts de Stéphane Jourdan. La société aurait touché 60 000 euros de la part d’Impact Sport cette année-là. Ce qui est sûr c’est qu’après quatre mises en demeure, la FFR finit par assigner Impact Sport en justice, le 30 juin 2008 puis en 2014.
« Camou, il s’en fichait totalement »
La société a été condamnée à payer 45 000 euros de dommage et intérêts (plus 3 000 euros de frais de procédure) à la FFR en avril 2016. Mais les deux dirigeants du rugby français ne sont pas inquiétés pour autant. Bernard Godet accède même au poste de vice président chargé du contrôle des agences agréées en 2009. Dans le même temps Impact Club reçoit encore 40 000 euros grâce à la revente de billets.
Mediapart a pu recueillir le témoignage de Guy Piera, prédécesseur de Bernard Godet. L’ancien vice président (2004-2008) évoque la nonchalance de Pierre Camou face au fléau que représentaient ces sociétés frauduleuses : « Je me vois encore la veille du match France-Australie à Marseille en 2008, dire à Pierre Camou : “On vient d’obtenir la condamnation de deux agences “. C’est comme si j’avais jeté un caillou au fond de l’eau. Il s’en fichait totalement ».
« Je ne me souviens pas qu’il me l’ait dit, a déclaré Pierre Camou, qui brigue un troisième mandat à la tête de la FFR, lors de sa conférence de presse. D’ailleurs, s’il me l’a dit, il faisait juste son travail. Moi j’ai mené soixante actions contre des agences revendeuses de billets, vingt et-une ont été condamnées ». Pierre Camou est-il au courant de l’existence d’un système frauduleux au sein même de sa fédération ? « Je ne suis pas derrière tout le monde à la fédération. Je n’en sais rien. Je n’ai pas de service de police », répond-t-il.
Bernard Godet dément aussi
Dotée d’une billetterie mieux sécurisée depuis 2013, la FFR n’est pas encore venue à bout de toutes les failles. Son président concède l’existence d’un marché noir, « comme dans tous les grands événements ». Il évoque aussi le poids de l’héritage qui pèse sur l’institution : « Je n’en suis pas prisonnier, mais c’est mon héritage. Je n’en suis pas prisonnier, mais c’est mon héritage, répète-t-il deux fois comme pour bien se faire comprendre. Et c’est souvent compliqué de construire quelque chose de différent quand on est porteur du poids d’une histoire, en l’occurrence celle d’une institution qui n’est faite que par des hommes ».
Samedi en milieu d’après-midi, son vice- président en charge du marketing et du commercial, Bernard Godet, a également démenti l’enquête de Mediapart. « Je réfute absolument toutes les accusations de Mediapart, a-t-il commencé au micro d’Europe 1. Je n’ai jamais été dirigeant de l’une des deux sociétés qui sont citées (Impact Sport et Impact Club). Je détenais deux parts sociales dans la société de Gérald Martinez (Impact Club), qui est mon ami. Ce ne sont que 2 parts sociales sur 86. (…) Moi, j’ai la responsabilité des agences et des hospitalités à la FFR. Depuis que je suis arrivé en 2008, je n’ai cessé d’accentuer la lutte contre les activités frauduleuses. Il y a un paquet d’agences qui m’en veulent énormément parce que je les ai écartées de l’agrément à la fédération. Attaquer et faire condamner Impact Club alors que j’aurais été directement ou indirectement intéressé à ses bénéfices, c’est complètement stupide et contradictoire. Donc encore une fois, j’apporte un démenti formel ».
Pour Bernard Godet, « la FFR n’a rien à se reprocher ». Tout comme Pierre Camou : « Je connais l’homme depuis quinze ans, il est d’une probité absolue ».