Etudiants en arts, ils tissent leurs réseaux sur le Web
Etudiants en arts, ils tissent leurs réseaux sur le Web
Par Agathe Charnet
Qu’ils soient musiciens, performeurs ou écrivains, les artistes de demain utilisent les réseaux sociaux et autres sites de partage pour faire connaître leur travail. Un passage obligé pour fédérer une communauté d’amateurs… voire accrocher le regard des professionnels.
La première répétition d'Inalc’Orchestra, lancée par l'étudiante en direction d'orchestre Garance Coroller, le 7 novembre. | Inalc’Orchestra / Garance Coroller
En septembre, Garance Coroller, qui se prépare depuis l’enfance à devenir chef d’orchestre, propose de créer un orchestre à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Recruter des musiciens au sein de cet établissement s’avère difficile, mais la future maestro, étudiante au conservatoire de Lille, ne baisse pas les bras : elle ouvre une page Facebook, dessine un logo et propage la nouvelle au sein de son réseau de jeunes artistes. Quelques semaines plus tard, les photos de la première répétition d’Inalc’Orchestra récoltent en ligne une pluie de pouces bleus approbateurs.
Elargir son réseau
Créer son orchestre via Facebook, partager le teaser de sa pièce de théâtre sur YouTube ou immortaliser une œuvre via Instagram : ces pratiques sont devenues naturelles pour les jeunes artistes, avant même d’obtenir leur diplôme d’une école d’art. Elles leur permettent de créer une vitrine virtuelle de leur travail, un work in progress permanent qui fédère une communauté d’amateurs, mais aussi professionnelle. Elles sont même le moyen de s’émanciper du cocon de l’école et de faire un pas en avant vers la vie active.
Grégoire Schaller, étudiant en design à l’ENSCI-Les Ateliers, qui a récemment réalisé une performance au Palais de Tokyo, est désormais suivi sur Instagram par des professionnels de la célèbre institution parisienne. « Instagram me permet d’échapper au mail, explique l’artiste-performeur de 23 ans. Poster une photo sur ce réseau, c’est un moyen plus léger d’entrer en contact, mais aussi de faire voir son travail à une cible spécifique. Il suffit d’avoir les bonnes personnes qui te suivent. »
Si les musiciens furent les premiers artistes à utiliser Internet pour se faire connaître, via MySpace, au début des années 2000, le numérique irrigue désormais toutes les disciplines. « On va plus vite et on va plus loin, on n’est plus bloqué comme autrefois, y compris lorsqu’on est étudiant », constate Christine Petr, enseignante-chercheuse à l’Institut de management de Bretagne-Sud. Mais le tremplin du Web n’est pas automatique, tempère cette spécialiste des interactions entre réseaux sociaux et pratiques artistiques : « On observe un déplacement des relations de pouvoir ou de légitimation artistique via les réseaux sociaux. Mais ce n’est qu’un changement d’échelle, il faut ensuite que l’artiste se démarque auprès des programmateurs ou des producteurs. »
« Définir une identité virtuelle »
Cette nécessité d’être original pour se distinguer, Victor Inisan-Le Gléau, stagiaire en écriture dramatique à l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, l’a parfaitement intégrée. Avec son collectif de théâtre Jokle, il a rodé sa stratégie de communication sur Facebook. Logo imaginé par une graphiste, partage de vidéos promotionnelles et photos soigneusement retouchées, rien n’est désormais laissé au hasard. « Facebook est l’outil numéro un pour attirer le public lors de nos représentations, analyse ce metteur en scène de 22 ans. Mais c’est très important de savoir bien utiliser sa page et de définir une véritable identité virtuelle. »
Sur Facebook, le collectif de théâtre Jokle affiche une communication soignée pour ses 850 abonnés | Facebook - Jokle
Si Victor n’est pas un fanatique de la promotion en ligne, il a néanmoins tout à fait conscience qu’elle est devenue quasi-indispensable, a fortiori pour des artistes étudiants, inconnus de leurs pairs. « Gérer les réseaux sociaux, ce n’est pas ce que je préfère dans ma vie artistique, mais lorsqu’on envoie un mail à un programmateur, on y met notre page Facebook. Ça permet de montrer qu’on est actifs et soutenus par une communauté. »
S’ils s’improvisent volontiers communicants, les étudiants-artistes n’en font pas une fin en soi. « Je me pose beaucoup de questions sur ma présence sur les réseaux, explique François Durel, 23 ans, étudiant au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Le jeune plasticien anime depuis cinq ans un compte Instagram où il expose ses œuvres et ses inspirations : « Je n’ai pas envie qu’on puisse considérer qu’Instagram résume mon travail, affirme t-il. Je veux l’utiliser comme une sorte de “teaser”, pour qu’on ait justement envie d’aller plus loin et de me découvrir. » Pour Christine Petr, « il y a un besoin évident pour les jeunes artistes d’apprendre et de maîtriser ces compétences numériques. Mais elles ne suppléent en aucun cas à leur art. Les réseaux sociaux ne doivent être qu’un habillage de leur créativité et de leur plaisir à faire ».
Une page web plutôt qu’un portfolio
Pour aider leurs étudiants à optimiser les outils numériques, les établissements passent peu à peu à l’heure 2.0. Les écoles d’arts, de théâtre ou de musique actualisent régulièrement leurs pages Facebook, soignent leurs sites internet qui renvoient aux productions en ligne des étudiants. « C’est clair que nos élèves sont à l’initiative, s’exclame le directeur de l’Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC), Sylvain Lizon. Ils s’investissent sur les réseaux sociaux de façon plus innovante que ce qu’on pourrait faire nous-même. On court un peu derrière eux pour rattraper l’info ! »
A Cergy, un enseignement dédié au numérique a cependant été mis en place, doublé d’une plateforme, Ecran total. Différents intervenants travaillent avec les étudiants à la création d’œuvres numériques. « Nous incitons nos élèves à être présents en ligne, mais pas n’importe comment, précise Sylvain Lizon. Par exemple, les réseaux sociaux ont remplacé les portfolios papier ou même les sites, difficiles à référencer. Nous accompagnons les étudiants dans cette démarche lors de nos séminaires de professionnalisation. »
C’est en suivant les cours de l’écrivain très connecté François Bon à l’ENSAPC que Thomas Casdeni, 23 ans, alimente son blog consacré à ses productions littéraires. « Pour le moment, ce n’est qu’une annexe à mon travail, mais je me surprends parfois à écrire des choses spécifiquement pour le blog, décrit-il. Une littérature numérique est en train de naître ! » Ces étudiants très connectés pourraient bien être les pionniers des nouvelles formes d’art offertes par Internet.