« Jungle » de Calais : après l’évacuation, le sentiment de « vide » des associatifs et bénévoles
« Jungle » de Calais : après l’évacuation, le sentiment de « vide » des associatifs et bénévoles
Par Anne Guillard
La rapidité avec laquelle a été démantelé le camp laissait les acteurs sur place un peu abasourdis. Les associations attendent les arbitrages du ministre de l’intérieur sur le maintien ou non d’un centre d’accueil des migrants à Calais.
Le vent froid, qui souffle sans relâche, ne fait plus claquer les bâches en plastique qui recouvraient, à perte de vue, les abris de fortune des exilés de Calais. Si cette partie de la zone industrielle des Dunes, à l’est de la ville, exhale toujours ses effluves chimiques provenant des industries qui la longent, elle est entièrement vidée de ses occupants depuis le 2 novembre. Le sol boueux révèle toujours quelques traces de leur passage : chaussures, brosses à dents, débris alimentaires, peluches, bois calciné…
Photo réalisée le 15 novembre 2016 du centre d'accueil provisoire (CAP) de l’ancienne « jungle » de Calais démantelée trois semaines plus tôt. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR « LE MONDE »
Le lieu est encore surveillé par les forces de l’ordre – tout comme les gares de Calais-Ville et Calais-Fréthun, le port et Eurotunnel –, mais les renforts arrivés pour le démantèlement, à la fin d’octobre, veillent surtout à éviter que squats et campements ne fassent leur réapparition dans le Calaisis et à éloigner ceux qui n’ont pas de titre de séjour, avec des contrôles au faciès « systématisés », selon les associations.
Selon les responsables associatifs, à la mi-novembre il y avait environ 150 migrants restés dans les alentours sans solution de mise à l’abri, auxquels s’ajoutaient « quelques dizaines » de personnes revenues après l’évacuation. L’Auberge des migrants a d’ailleurs acheté 700 tentes en prévision de retours. « Aucune n’a été distribuée pour le moment », précise toutefois Christian Salomé, son président.
Flou quant au maintien d’un centre d’accueil
Parallèlement, le camp humanitaire de La Linière, à Grande-Synthe (Nord), construit par Médecins sans frontières, a vu ses effectifs augmenter de « 400 personnes venues de Calais, des Kurdes principalement », explique M. Salomé. Ce qui porte à plus de 1 000 le nombre de réfugiés dans ce camp, situé près de Dunkerque, « pour une capacité en dur de 700 personnes » précise Amin Trouvé Baghdouche, le coordinateur général de Médecins du monde (MDM), à Calais.
Les associatifs se disent dans le flou quant au maintien, ou non, d’un centre d’accueil à Calais. Ils attendent les arbitrages du gouvernement. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a reçu le rapport de l’ancien préfet du Nord, Jean Aribaud, et du président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, Jérôme Vignon : tous deux avaient déjà rédigé et remis un premier document, en juillet 2015, intitulé « Le pas d’après », qui avait été à l’origine de la mise en place de centres d’accueil et d’orientation (CAO).
La création d’une zone de transit, comme celle ouverte à Paris au début de novembre, et dont le but est d’orienter les réfugiés vers un des 450 CAO répartis en France, est une hypothèse.
« Dix mille personnes se sont envolées »
Dans l’immédiat, chez certains acteurs et bénévoles qui intervenaient dans la « jungle », c’est un sentiment de « vide » qui s’est installé. « Il est très important », témoigne Amin Trouvé Baghdouche, qui souligne que des « amitiés, des réseaux » s’étaient créés, parlant d’une véritable « dynamique sociale » mêlant humanitaires du monde entier, associatifs, bénévoles et exilés à Calais.
Martine Devries, présidente de la Plate-forme de services aux migrants (PSM), le 16 novembre 2016 sur le site de l’ancienne « jungle » de Calais. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR « LE MONDE »
Nul ne conteste le bien-fondé du démantèlement du bidonville, installé sur une zone dunaire et marécageuse, où un millier de personnes avaient été regroupées au printemps 2015, alors « qu’il n’y avait aucun sanitaire et un unique point d’eau », comme le rappelle Martine Devries, 68 ans, médecin à la retraite, ex-référente de MDM et actuelle présidente de la Plate-forme de services aux migrants (PSM). Mais la rapidité avec laquelle a été évacué le camp laisse quelques-uns des acteurs sur place un peu abasourdis.
Le démantèlement de la « jungle » a débuté le 24 octobre. Dix mille personnes – Afghans, Soudanais, Erythréens, Irakiens, Syriens, etc. – « se sont envolées en quatre jours », résume Martine Devries. « Les gens sont partis dans la précipitation », appuie Stéphane Duval, encore étonné par le désert et le silence qui règnent autour de lui. « Le démantèlement s’est passé très vite et on ne s’attendait pas à ce qu’il soit total », renchérit M. Duval, directeur de La Vie active, l’association mandatée par l’Etat pour ouvrir, en janvier 2015, le centre d’accueil provisoire (CAP), qui proposait 1 500 places dans des conteneurs, et gérer le centre d’accueil de jour Jules-Ferry et l’hébergement des femmes et des enfants – deux structures qui ont été fermées.
« Une aventure humaine d’une intensité constante »
Photo réalisée le 15 novembre 2016 du terrain sur lequel se trouvait l’ancienne « jungle » de Calais, démantelée trois semaines plus tôt, et où se sont entassées jusqu’à 10 000 personnes, selon les associations. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR « LE MONDE »
La « jungle » et son effervescence continuelle exerçaient une forte attraction. Il s’est agi d’« une aventure humaine d’une intensité constante », témoigne Stéphane Duval, dont l’association a, en l’espace de vingt-deux mois, distribué 1,6 million de repas (2 400 repas quotidiens en moyenne), voyant ses effectifs passer de 16 à 148 salariés, dont 110 en CDI.
« La population a vécu un truc bizarre, les gens ont eu des relations d’hostilité, d’indifférence ou d’hospitalité avec » les migrants, rappelle Martine Devries. Pour elle, le soulagement est palpable de ne plus avoir à se dire « il pleut, comment sont-ils là-bas ? ce qui mettait les gens mal à l’aise ».
C’est pourquoi, aujourd’hui, la présidente de la PSM se soucie beaucoup du soutien aux bénévoles. « Pour certains, la “jungle” était juste une étape avant de prendre du recul. D’autres, venus avec toute leur générosité, n’étaient pas toujours en mesure de se protéger », explique-t-elle.
Véronique, bénévole depuis dix ans auprès des réfugiés, assure vouloir « regarder vers l’avant » et se préoccupe de garder des contacts avec ceux qu’elle connaît – dont une famille afghane qui a passé dix mois à Calais – afin de continuer à les épauler. Elle reconnaît que « la solidarité qui existait dans la jungle » lui « manque, comme à certains exilés, qui se sentent isolés en CAO », mais parle aussi de la difficulté de ne jamais savoir ce que ceux et celles qu’elle a rencontrés sont devenus. « C’est lourd cette incertitude. »
Rachid Bouras, responsable logistique et sécurité à La Vie active, estime que cette « expérience unique l’a rendu plus humain ». « J’ai découvert des gens attachants, en détresse, qui ne sont pas là par hasard, qui ont envie de s’en sortir. » « Ils me manquent aujourd’hui », dit celui qui voyait pourtant d’un « mauvais œil les flux migratoires dans le Calaisis » après la fermeture du centre d’accueil de Sangatte, en 2002.
Des matelas sont entassés, le 15 novembre 2016, dans la cour du centre d’accueil de jour Jules-Ferry. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR « LE MONDE »
En cette mi-novembre, les employés de La Vie active sont surtout occupés à finir de vider et nettoyer les lieux. « Maintenir un minimum d’hébergement, c’était maintenir un flux », se résigne Loïc, l’un des salariés à l’hébergement des femmes et des enfants. Gonzague éprouve, pour sa part, de la frustration à l’idée que « tout le travail collectif » mené avec les différents partenaires, et qui commençait à porter ses fruits dans cet univers si « mouvant », soit perdu.
Une partie des employés de La Vie active, dont l’avenir doit être discuté dans les prochaines semaines, travaillent aujourd’hui dans l’unique CAO du Pas-de-Calais, à Croisilles, que Manuel Valls a visité le 14 novembre.
« L’accueil des migrants va s’imposer à nous »
Tous savent que le flux migratoire ne va pas se tarir dans les années à venir. « L’accueil des migrants va s’imposer à nous », expose Stéphane Duval, qui se dit optimiste quant à une prise en compte des savoir-faire développés au cours de ces derniers mois dans cette « ville de 10 000 habitants ». Pour Martine Devries, « la logique voudrait que le CAP soit le centre d’accueil sur Calais ».
« Les jours passent et nous attendons avec une certaine impatience la proposition d’accueil sur Calais », confiait le 18 novembre Jean-Claude Lenoir, président de Salam, au quotidien régional Nord Littoral. « Force est de constater que les migrants continueront de venir à Calais. On peut alors se refuser à mettre un minimum d’accueil d’urgence à Calais, mais les migrants viendront. » « L’inventivité pour passer en Grande-Bretagne n’a pas de bornes », souligne Martine Devries.
Christian Salomé vit cela « comme une parenthèse » : « L’impasse demeurera tant que le blocage de la frontière avec l’Angleterre ne sera pas résolu. » Il se dit « très inquiet » pour les mineurs isolés, qu’il s’attend « à voir revenir pour la plupart dans les prochaines semaines ».
Le Royaume-Uni a accepté le transfert sur son sol de 300 mineurs isolés. Mille six cent seize mineurs isolés étrangers ont été les derniers, le 2 novembre, à quitter Calais pour des centres d’accueil spéciaux (les Caomie) en France, ayant eu ou devant avoir des entretiens avec des fonctionnaires du Home Office. Mais Londres a imposé des conditions d’accueil beaucoup plus restrictives que celles précédemment annoncées.
Sur son blog Passeurs d’hospitalités, Philippe Wanesson rapporte que les mineurs isolés étrangers « sont confrontés à une absence complète d’information quant aux procédures qui vont déterminer leur avenir » et que « trois jeunes Afghans âgés de 16 ans hébergés dans le Caomie de Talence, près de Bordeaux, ont entamé une grève de la faim ».
Mineurs isolés de Calais : Londres accusé de renier sa promesse
Le gouvernement britannique a été accusé le 16 novembre de renier sa promesse d’accueil des réfugiés mineurs qui vivaient dans la « jungle » de Calais, dans le nord de la France, avant son démantèlement, après avoir fixé de nouveaux critères d’éligibilité plus restrictifs.
En vertu de ces nouvelles règles, rendues publiques lundi par le ministère de l’intérieur britannique, pour être accueilli au Royaume-Uni un réfugié mineur doit désormais : soit avoir 12 ans ou moins, soit être exposé à un risque élevé d’exploitation sexuelle, ou bien avoir 15 ans ou moins et être de nationalité syrienne ou soudanaise, ou encore avoir moins de 18 ans et accompagner un frère ou une sœur remplissant l’un des trois premiers critères.
Le gouvernement britannique s’était engagé à accueillir « tous les mineurs isolés présents à Calais dont les attaches familiales en Grande-Bretagne sont établies » et à « étudier également les dossiers de mineurs non accompagnés qui n’ont pas de liens familiaux mais dont l’intérêt supérieur serait de rejoindre ce pays », avait dit en octobre le ministre de l’intérieur français, Bernard Cazeneuve. « Ils reviennent sur leur promesse », a accusé mercredi le membre travailliste de la Chambre des lords Alf Dubs, à l’origine d’un amendement réclamant l’accueil d’enfants réfugiés déjà présents en Europe.
« Ils essaient de trouver une manière de n’accueillir qu’une poignée d’enfants et je crains que cela ne soit valable pour Calais mais aussi pour les mineurs non accompagnés en provenance de Grèce ou d’Italie », a ajouté Lord Dubs, lui-même arrivé au Royaume-Uni en 1939 dans le cadre de l’opération « Kindertransport », qui a permis de sauver des milliers d’enfants juifs juste avant la seconde guerre mondiale.