Pour permettre aux pays africains de régler leurs contrats de constructions de nouvelles infrastructures, qui chaque année représentent 54 milliards de dollars (51 milliards d’euros), il faut sans cesse trouver de nouveaux modes de financement. Les institutions internationales couvrent les deux tiers des projets (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement, etc.), mais d’autres formes se développent, notamment à l’initiative de la Chine.

Car les besoins sont immenses, la Banque mondiale estime en effet que « pour combler ce déficit en infrastructures, le continent devra débourser 93 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie ».

Un véhicule d’investissement a le vent en poupe : la finance islamique. Mi-novembre, le Sichuan Development Financial Leasing Co a annoncé qu’il allait vendre 300 millions de dollars de sukuk via Silk Routes Capital. Un fonds créé sur mesure à Singapour, piloté par des Chinois et une équipe de financiers internationaux. Mais qu’est-ce que les sukuk ? Le terme désigne dans le droit musulman un certificat d’investissement conforme à la charia et donc des produits financiers et des transactions qui respectent les principes d’interdiction de l’usure et de la spéculation.

Au total, ce fonds devrait à terme proposer un milliard de dollars de ces obligations islamiques et servira de véhicule financier pour la Chine dans les pays musulmans où le sukuk est privilégié. C’est le cas notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Une première pour la Chine dans ce domaine.

Nouvelle route de la soie

« La Chine, via Hongkong et Singapour, cherche à se positionner comme une place financière de premier choix pour la finance islamique et à capitaliser ainsi sur la croissance des liens commerciaux entre la Chine, le Moyen-Orient et le continent africain. Les Etats asiatiques et africains veulent attirer les investisseurs musulmans extérieurs qui avaient plutôt tendance jusqu’à présent à investir en Europe ou aux Etats-Unis », nous explique le consultant Philippe Djemis, spécialiste de la Chine-Afrique.

Ce nouveau projet chinois s’inscrit dans le dessein plus vaste de cette nouvelle route de la soie qui traverse l’Asie du Sud, l’Eurasie et descend vers le continent africain. Les fonds chinois autorisés à investir à l’étranger ont le vent en poupe depuis la naissance de ce projet pharaonique et les sommes investies ont plus que quadruplé entre janvier et fin septembre 2016 pour atteindre 2,6 milliards de dollars.

« Les investisseurs des pays du Golfe et les banques islamiques ont beaucoup d’argent et veulent acheter des sukuk libellés en dollars en attirant des fonds chinois », détaille Philippe Djemis. Les sommes investies dans les fonds respectant la loi islamique ont augmenté de 28 % cette année entre janvier et novembre et la Chine s’y intéresse de plus en plus. Selon les projections du cabinet Ernst & Young, les émissions de sukuk pourraient tripler d’ici à 2017, pour atteindre 720 milliards de dollars. Au total, le marché de la finance islamique pèse 2 100 milliards de dollars, selon la dernière note publiée par l’agence de notation américaine Standard & Poor’s.

« Un vent nouveau se lève »

Sur le continent, le Nigeria, le Sénégal ou encore le Soudan font de plus en plus appel à la finance islamique pour boucler les financements de projets ferroviaires et de gros équipements urbains.

« En 2014, le Sénégal a émis un fonds souverain sukuk d’un montant de 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros), précise Philippe Djemis. Dans toute l’Afrique, un vent nouveau se lève qui pourra permettre de développer l’économie africaine. Le problème reste cependant le manque de structuration de la finance en Afrique. »

Le Fonds de développement Chine-Afrique (CADFund) et la Banque islamique de développement (IDB) ont signé cette année à Pékin un premier accord qui permettra à la Chine d’investir plus massivement dans ce domaine. Les banques chinoises, telles ICBC et Bank of China, sont déjà en embuscade, mais le principal vecteur d’investissement sera la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Cette structure, initiée par la Chine, suscite une vive méfiance des Etats-Unis. La BAII, dont les statuts fondateurs ont été signés en juin 2015, vise à financer des projets d’infrastructures dont les investissements font cruellement défaut. Sur ses 57 membres fondateurs, une vingtaine sont des pays occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et on compte pour l’instant deux pays africains, l’Egypte et l’Afrique du Sud. L’Arabie saoudite et l’AIIB sont actuellement en train de négocier la mise en place de financements islamiques.

La Chine n’est pas le seul pays asiatique à jeter son dévolu sur les obligations islamiques. La Malaisie et l’Indonésie, en tant que pays musulmans, sont déjà en pointe dans ce secteur. Mais il faut aussi compter sur le Japon, dont la filiale dans le Golfe de la banque Tokyo Mitsubishi propose déjà des services financiers respectant la charia.

« Avec 23 millions de musulmans en Chine et une place prépondérante de l’Afrique dans sa diplomatie et son commerce extérieur, Pékin a donc les atouts pour devenir un acteur de premier choix dans la finance islamique », souligne le professeur Yi Ren Thng, de l’université Stellenbosch en Afrique du Sud, dans son rapport.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.