Après l’élection de Donald Trump, la Californie se prend à rêver de sécession
Après l’élection de Donald Trump, la Californie se prend à rêver de sécession
Par Pierre Bouvier
La sortie de la fédération n’est pas un processus prévu par les pères fondateurs et il faudra des trésors d’ingéniosité aux Californiens pour parvenir à leurs fins.
La Californie a voté à 61,6 % pour Hillary Clinton et 32,7 % pour Donald Trump. | NOAH BERGER / REUTERS
Le mouvement pour une sortie de la Californie des Etats-Unis d’Amérique se sent pousser des ailes. Connu en ligne par ses mots-clés #Calexit et #Caleavefornia depuis quelques années, le voilà revigoré par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, le 8 novembre.
Lancé en 2014 par Louis Marinelli, du California national party, un parti politique qui a comme objectif l’indépendance de la Californie, ce mouvement sécessionniste a débuté sous le nom Sovereign California (Californie souveraine). En 2015, influencé par le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse défendu par la coalition Yes Scotland, il prend le nom de Yes California Independence Campaign.
Are you down with #Calexit like this supporter is? https://t.co/3aOalrE7ZL
— YesCalifornia (@Yes California)
Dès le lendemain de l’élection de Donald Trump, Shervin Pishevar, un milliardaire iranien résidant aux Etats-Unis et investisseur, entre autres, de Uber ou de Hyperloop One (transports ultrarapides en capsule) s’est proposé de financer la campagne pour l’indépendance de la Californie.
1/ If Trump wins I am announcing and funding a legitimate campaign for California to become its own nation.
— shervin (@Shervin)
La Californie, un Etat démocrate
La Californie, progressiste dans le domaine des mœurs, en pointe dans le combat pour l’écologie, la lutte contre les armes à feu et la légalisation la marijuana, a voté à 61,6 % pour Hillary Clinton (32,7 % pour Donald Trump), soit treize points de plus que la moyenne nationale. Les comtés urbains, sur la côte, ont davantage voté démocrate, les comtés ruraux, à l’intérieur des terres, républicain.
Au sein de cet Etat le plus peuplé du pays, la jeunesse ne se reconnaît pas dans celui qui sera le 45e président des Etats-Unis, comme en témoignent les manifestations organisées au lendemain de son élection dans de grandes villes comme Oakland, Berkeley ou Davis, autour du slogan « ¡ Si se puede ! » (Yes We Can) ou du hashtag #NotMyPresident.
Après avoir longtemps été un bastion républicain (de 1952 à 1988, à l’exception de 1964) couronné par l’élection de Ronald Reagan à la fonction suprême en 1980 et 1984, la Californie a basculé dans le camp démocrate lors de l’élection présidentielle de 1992 (le premier mandant de Bill Clinton). Les républicains ont réussi à se mettre à dos les électeurs latinos, asiatiques et afro-américains qui représentent une part importante de la population de cet Etat, concédait en 2015 au Washington Post Jim Brulte, le responsable du Parti républicain en Californie, citant l’emblématique Proposition 187.
Cette mesure, votée par 59 % des électeurs lors du référendum de 1994 privait les clandestins des services sociaux et médicaux. Son application a été bloquée par la justice, mais au cours des dix ans qui ont suivi, plus d’un million d’électeurs latinos se sont inscrits sur les listes électorales.
Quel cadre juridique pour une éventuelle sécession ?
Mais une telle sécession est-elle juridiquement envisageable ? En 2012, après la réélection de Barack Obama, le Texas avait aussi voulu tourner le dos à l’Union. Une pétition en ce sens avait reçu 125 746 signatures pour demander à l’administration fédérale qu’elle accorde « pacifiquement » au Texas le droit de quitter l’Union – elle avait été rejointe par des pétitions émanant de cinq autres Etats (la Louisiane, l’Alabama, la Floride, le Tennessee et la Géorgie).
Mais, en janvier 2013, Jon Carson, le directeur de l’Office of Public Engagement, instance de dialogue entre l’exécutif et les citoyens qui dépend de la Maison Blanche, a douché leurs espoirs. Les pères fondateurs ont établi « la possibilité de changer la forme du gouvernement, par le pouvoir des élections (…) mais pas le droit de s’en éloigner », leur a-t-il indiqué dans sa réponse. De fait, la Constitution des Etats-Unis explique, dans son Article IV section 3 clause 1, les conditions prévalant à la création d’un nouvel Etat :
« De nouveaux Etats peuvent être admis par le Congrès dans l’Union ; mais aucun nouvel Etat ne sera formé ou érigé sur le territoire soumis à la juridiction d’un autre Etat, ni aucun Etat formé par la jonction de deux ou de plusieurs Etats, ou parties d’Etat, sans le consentement des législatures des Etats intéressés, aussi bien que du Congrès. »
Depuis la défaite des Etats conférés lors de la guerre de sécession, la Cour suprême des Etats-Unis, dans sa décision Texas v. White de 1869, a affirmé que la sécession d’un Etat est contraire à la Constitution, l’union entre les Etats étant « perpétuelle ». La Constitution a, selon la Cour, créé une « Union indestructible, composée d’Etats indestructibles ».
Et en 2006, Antonin Scalia, juge de la Cour suprême a affirmé que l’arrêt Texas v. White était toujours valide : « Je n’imagine pas qu’une question sur la sécession arrive devant la Cour suprême. (…) L’une des questions résolue par la guerre civile c’est qu’il n’y a pas de droit à la sécession », écrivait-il alors.
Quels scénarios envisagés par la Californie ?
Les partisans de la sécession californienne misent sur un processus plus apaisé que celui engagé par le Texas en 1861, mais pas moins compliqué, comme le décrit le site de Yes California.
A l’issue d’un référendum pour lequel ils misent sur 800 000 à 1,5 million de signatures (entre 2018 et 2019), un élu de Californie à Washington aurait pour mission de proposer un amendement à la Constitution des Etats-Unis. Cet amendement prévoirait que la Californie puisse quitter l’Union. L’amendement devrait être adopté par les deux tiers de la Chambre des représentants et les deux tiers du Sénat. Il devrait ensuite être envoyé aux législatures des cinquante Etats pour être approuvé et répondre à l’obligation de consentement des Etats qu’impose l’arrêt Texas v. White. Pour être validé, l’amendement devrait recevoir l’accord de trente-huit des cinquante Etats.
Une autre solution pour la Californie consisterait à demander une réunion de la Convention des Etats. L’amendement accordant l’indépendance à la Californie devrait être adopté par les deux tiers des délégués à cette Convention. En cas de succès, l’amendement serait présenté aux cinquante Etats et l’accord de trente-huit Etats serait nécessaire pour qu’il soit adopté. Le hic, c’est qu’il faudrait encore convaincre les quarante-neuf des Etats-Unis de laisser l’une des premières économies du monde de quitter l’union.
Le projet de #Calexit risque de rester au rang des utopies politiques dont les Californiens sont friands. Depuis 1850 et son entrée dans l’Union, le Golden State (surnom de la Californie) a connu plus de 220 propositions de redécoupage. Pour les projets de sécessions, les deux derniers ont vu les choses en grand : le projet Ecotopie, dans les années 1970, prévoyait un retour à la terre et la promotion de l’écologie autour de la Californie du Nord, de l’Oregon et de l’Etat de Washington, tandis que le projet Cascadie, comprend le Nord de la Californie, l’Oregon, l’Etat de Washington, l’Idaho et la Colombie britannique (qui fait partie du Canada).