De Napster à Zone Téléchargement, petite histoire du piratage sur Internet
De Napster à Zone Téléchargement, petite histoire du piratage sur Internet
Par William Audureau
Kazaa, eMule, MegaUpload, The Pirate Bay… Depuis quinze ans, de nouvelles plateformes illégales s’imposent à chaque fois que l’une d’elle ferme.
Le logiciel eMule et sa célèbre mascotte. | eMule
« C’est un rappel qu’il n’y a plus d’impunité pour les pirates. » David El Sayegh, secrétaire général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) expliquait mardi 29 novembre au Monde sa satisfaction, après la fermeture de Zone Téléchargement, le premier site français permettant de télécharger directement des films, musiques ou encore jeux vidéo protégés par le droit d’auteur. La plateforme saisie n’est pas la première, et ne sera certainement pas la dernière : depuis l’avènement des forfaits illimités, le partage de fichiers multimédia a jalonné l’histoire du Web.
Cela fait dix-sept ans, et le lancement de Napster, que le piratage en ligne est plébiscité. Ce logiciel de peer to peer (P2P, échange direct d’internaute à internaute) a été le premier à s’imposer. A une époque où le haut débit commençait à se démocratiser, seuls des fichiers musicaux de type MP3 y circulaient. Le téléchargement d’un simple album pouvait prendre plusieurs jours.
Mais, déjà, les ayants droit s’étaient affolés. Comme le rappelle Clubic, la RIAA, syndicat des maisons de disques aux Etats-Unis, avait obtenu la fermeture du service dès 2001. La marque Napster survivra toutefois jusqu’en 2011 sous la forme d’une plateforme de téléchargement… légale.
P2P, torrents, DDL…
La disparition de Napster facilite l’émergence d’autres services similaires. A l’image de KaZaa, son héritier spirituel de 2001 à 2005, ou surtout d’eMule, évolution améliorée d’eDonkey 2000 lancée en 2002, et qui s’imposera jusqu’à la fin de la décennie comme le plus populaire des services de P2P, en dépit de la saisie régulière de ses serveurs.
En parallèle se développent d’autres modèles de distribution, comme celui des « torrents », des fichiers qui indiquent à des logiciels spécialisés (comme BitTorrent ou LimeWire) à quels ordinateurs se connecter pour télécharger tel ou tel film, musique ou jeu vidéo.
La plateforme suédoise The Pirate Bay, lancée en 2003, est devenue le plus célèbre marché culturel d’Internet : gratuité totale, illégalité quasi absolue, faux fichiers en pagaille, et autant de procès. Malgré des fermetures répétées, le site est réapparu en 2015 en version allégée, quelques semaines seulement après une énième fermeture.
Logo de The Pirate Bay. | The Pirate Bay
A ses côtés, dans le panthéon pirate, figure le site MegaUpload, conçu en 2005 par le germano-finnois Kim Schmitz, dit Kim Dotcom. Son modèle : le téléchargement direct (direct download, dit DDL). Cette fois, plus besoin d’internautes pairs, un seul lien suffit à télécharger un fichier hébergé sur un des 700 serveurs loués par la société. Celle-ci défrayera la chronique jusqu’à sa fermeture en 2012, entraînant la disparition de 25 millions de gigaoctets de fichiers.
Les paradoxes du piratage
Face au phénomène, l’industrie a réagi avec, par exemple, l’ajout de DRM (verrous numériques) dans les disques ou l’inclusion d’écrans de sensibilisation avant chaque film sur un DVD. Quitte à, parfois, rebuter les consommateurs légaux et rendre le piratage plus attractif. Or les pirates sont moins pingres qu’ils ne laissent paraître. Une enquête de janvier 2011 de la Hadopi (haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits intellectuels) révèle que les internautes ayant recours à des voies illicites sont de gros consommateurs culturels, et dépensent en moyenne plus d’argent que les autres.
Selon cette même étude, 53 % des Français considèrent que les contenus qu’ils consomment en ligne sont légaux s’ils ont payé pour les voir – qu’il s’agisse d’un site légal ou d’un abonnement à une plateforme de piratage. C’est le paradoxe du piratage : ce que les utilisateurs refusent de payer aux ayants droit, ils le payent parfois en abonnement « premium » à des services de téléchargement. Mais aussi, de manière plus indirecte, en téléchargeant involontairement des logiciels malveillants dissimulés sous de faux noms de fichiers, en étant soumis à des publicités intrusives, ou encore, tout simplement, en amendes.
Les sites de téléchargement illégal ne sont pas nécessairement gratuits. Selon une étude de l’Hadopi, les pirates dépensent même plus que les autres. | MegaUpload
En France, après la création le 12 juin 2009 de la Hadopi, chargée, entre autres, de s’en prendre aux internautes pirates, la demande de services en téléchargement illégal n’a pas faibli pour autant. Elle a été tirée notamment par l’explosion des séries télévisées et soutenue par le développement du haut débit, qui permet de télécharger épisodes et films entiers en quelques minutes : en 2011, 7 millions de Français avaient téléchargé sur MegaUpload.
Des plateformes légales moins attractives
Face à ce phénomène, les solutions légales ont tardé à se mettre en place. Les constructeurs de matériel multimédia comme Apple, Sony et Microsoft ont bien proposé, dès le milieu des années 2000, des services de téléchargement légaux plus commodes et au lien de facturation bien établi (iTunes, PlayStation Store). Mais les prix pratiqués, quasi identiques à ceux d’albums CD ou de DVD et Blu-ray, pour ne pas froisser la grande distribution, n’ont pas endigué la consommation illicite. D’autant que les années 2010 voient l’émergence d’un nouveau type de consommation, le streaming, ou visionnage à la volée.
Pourtant, des offres légales permettent d’offrir des alternatives au piratage. Côté jeux vidéo, elles s’appellent par exemple Steam, avec ses soldes ultra-agressives, et GOG, avec l’enrobage nostalgique respectueux de ses vieux jeux.
Pour endiguer le piratage jeux vidéo, Steam propose régulièrement des décôtes de 30 %, 40 %, voire 80 % sur les jeux. | Steam
Côté vidéo, avec des années de retard sur la demande, l’offre à la demande a enfin explosé, notamment avec Netflix et dans une moindre mesure OCS, qui offrent un accès illimité à leurs catalogues respectifs pour une dizaine d’euros par mois. Deezer et Spotify, en musique, proposent eux aussi un service sur le modèle de l’abonnement.
Pas encore suffisant pour tous. Si l’on en croit Alexa, un site d’analyse d’audience sur Internet, Zone Téléchargement était le onzième site le plus consulté en France avant sa fermeture le 28 novembre, juste derrière Amazon, mais devant Cdiscount ou Ebay. D’autres moins connus continuent à être très utilisés. Et Kim Dotcom, le fondateur de MegaUpload, a promis en juillet l’ouverture d’un nouveau site de téléchargement.