Le chef du renseignement syrien regrette un manque de fermeté au début du soulèvement
Le chef du renseignement syrien regrette un manque de fermeté au début du soulèvement
Par Madjid Zerrouky
Le général Jamil Al-Hassan estime que Damas aurait dû réagir, en 2011, comme Pékin au moment des manifestations sur la place Tiananmen.
Des manifestants contre le régime Assad, à Hama, dans l’ouest de la Syrie, le 29 avril 2011. | - / AFP
« Si nous avions été plus fermes au début, nous n’en serions pas là aujourd’hui. » Cette phrase, le général syrien Jamil Al-Hassan, qui dirige les redoutés services de renseignements de l’armée de l’air, l’a répété trois fois en moins d’un mois, en novembre. Cette notion de manque de « fermeté » laisse songeur au sujet d’un conflit qui a fait 300 000 morts, mais la parole d’un chef de la machine répressive du régime syrienne est rare. Elle prend aujourd’hui un relief particulier alors que les lignes de défense rebelles à Alep s’effondrent et que des dizaines de milliers de civils sont pris au piège en tentant de fuir la ville.
En Syrie, les renseignements de l’armée de l’air ont moins à voir avec le ciel qu’avec les sous-sols et les oubliettes. Ce service ne doit son appellation qu’à sa lointaine origine au début des années 1960, quand Hafez Al-Assad dirigeait les forces aériennes avant de devenir président à la faveur d’un coup d’Etat et de régner sur le pays de 1971 à sa mort, en 2000. Les renseignements de l’armée de l’air n’ont cessé dès lors d’étendre leur pouvoir, en devenant l’une des quatre principales branches de la sécurité en Syrie. Cela fait de son chef actuel, qui en a pris la tête en 2009, l’un des hommes les plus puissants du régime.
Passée relativement inaperçue, la première déclaration de Jamil Al-Hassan avait pour cadre un entretien accordé à la version en arabe du site russe Spoutnik, début novembre. Il a réitéré son point de vue cette semaine en livrant quelques confidences au quotidien britannique The Independent. Les réponses de M. Al-Hassan sont à peu de chose près les mêmes dans les deux médias : des regrets quant à la modération supposée du régime aux premiers jours du soulèvement, voire une critique implicite de la gestion de Bachar Al-Assad.
Alep, « capitale des tunnels »
Dès sa première réponse à Spoutnik, le ton est donné. A la question : « Imaginiez-vous il y a dix ans que de tels événements puissent survenir en Syrie ? », le général ne s’embarrasse pas de fioritures : « Si nous avions réglé le problème dès le départ [le début des manifestations, en 2011], nous n’en serions pas là aujourd’hui. Prenez la Chine et les étudiants sur la place Tiananmen. Si l’Etat chinois n’avait pas réglé le chaos étudiant, la Chine aurait été perdue, l’Occident l’aurait précipitée à sa perte. »
La discussion glisse vers les événements de Hama, en 1982, quand, confronté à une insurrection d’ampleur, le régime syrien avait écrasé la ville sous les bombes et massacré des milliers d’habitants. Entre 20 000 et 40 000 personnes avaient alors été tuées. Même si cet épisode de l’histoire syrienne a été supplanté par la violence actuelle, Hama reste une référence pour celui qui n’était alors qu’un jeune lieutenant, mais qui se vante d’avoir rampé et combattu les « terroristes dans les tunnels ». « Alep est aujourd’hui la capitale des tunnels », fait-il d’ailleurs remarquer pour coller au temps présent.
« Les journalistes à l’époque ont avancé des chiffres exagérés concernant le nombre de victimes à Hama. Mais je dis que si nous nous étions comportés au début de la crise actuelle comme nous l’avons fait à l’époque à Hama, nous n’en serions pas arrivés où nous en sommes aujourd’hui avec toutes ces tueries », avance Jamil Al-Hassan. Bachar Al-Assad serait trop mou ? « Le président Bachar Al-Assad doit faire face à une situation beaucoup plus dure que celle à laquelle a dû faire face Hafez Al-Assad », s’empresse-t-il de répondre.
« Une mise au point ? »
« La décision d’Al-Hassan d’accorder une interview est intéressante, et certains vont sans aucun doute l’interpréter comme un message politique », note le chercheur Aron Lund, de l’institut Carnegie, qui souligne que l’opacité du régime syrien invite à la prudence : « Un message aux durs du régime pour s’assurer de garder son poste ? Une mise au point des services de sécurité adressée à un chef de l’Etat à la recherche d’une solution diplomatique ? Une opération pour présenter ce même président comme un modéré avec lequel l’Occident peut traiter ? Ou peut-être qu’Al-Hassan [qui, à 61 ans, a dépassé l’âge théorique de la retraite chez les officiers syriens] se prépare à quitter son poste et soigne sa sortie. »
Car M. Al-Hassan – placé par l’Union européenne sur la liste des personnalités à sanctionner pour leur rôle dans les violences contre les civils – sait se montrer magnanime : « Un de [mes] prisonniers, kirghize, a un enfant qui était très rebelle et qui portait les armes. Sachant qu’il n’avait pas plus de 7 ans. Mais après six mois, l’enfant s’est transformé et est devenu amical. J’ai donc dit à l’un de mes subordonnés de le prendre chez lui à la maison et de l’élever, je lui ai accordé une pension »…