Steeve Baksis au college of DuPage, à Glen Ellyn , dans l’Illinois (Etats-Unis). | COD Newsroom

C’était un engagement de François Hollande : en février 2012, le candidat socialiste à la présidentielle reçoit une délégation de l’Association des paralysés de France et affirme que lui président, il augmentera le nombre d’étudiants handicapés accueillis dans l’enseignement supérieur.

A quelques mois de la fin du quinquennat, cette promesse, non assortie d’objectifs chiffrés, a été tenue : universités, classes préparatoires, STS et grandes écoles comptaient 13 382 étudiants handicapés voici quatre ans ; en 2016, ils sont 23 257, selon des chiffres publiés vendredi 2 décembre. Malgré ces chiffres, les associations qui travaillent sur la prise en charge des personnes handicapées, ne cachent pas leur déception face au bilan présidentiel.

La part d’étudiants en situation de handicap inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur n’a jamais été aussi importante. « C’est le résultat de la loi du 11 février 2005 », rappelle Christian Grapin, directeur de Tremplin Etudes-handicap-entreprises, une association qui œuvre pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

Jacques Chirac en avait fait une priorité de son dernier mandat présidentiel : « Assurer l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. » Dès 2006, les établissements du primaire au supérieur sont sommés par la loi de mettre en place toutes les aides et accompagnements nécessaires pour que les étudiants handicapés puissent réussir leurs études. C’est donc aux structures de s’adapter aux besoins de la personne, et non l’inverse. Avec pour résultat, une progression significative du nombre d’étudiants du supérieur en situation de handicap, d’environ 10 % par an.

Le bac et la quête du « Graal »

Aujourd’hui, il y a en France 280 000 enfants handicapés scolarisés. Le nombre d’élèves décroît au fur et à mesure que le niveau augmente : 160 000 dans le premier degré, 120 000 au collège ou au lycée et ils ne sont plus que 23 257 étudiants dans l’enseignement supérieur.

« Durant toute leur scolarité, les enfants handicapés cumulent des retards dans leurs apprentissages. Une fois l’étape du collège passée, la majorité (55 %) est orientée vers un bac pro », rend compte Christian Grapin. Un baccalauréat censé conduire directement au monde du travail, ou ouvrir les portes des sections de techniciens supérieurs (STS), dont les places sont en réalité occupées majoritairement par des titulaires d’un bac général ou technologique. Il leur reste l’université, pour laquelle ils ne sont pas préparés. « Ils arrivent à la fac avec un niveau de formation insuffisant et quand vient une réelle sélection, ils passent à la trappe », constate Vincent Michel, président de la Fédération des aveugles de France.

Si l’on considère l’ensemble des bacheliers en situation de handicap, ceux qui poursuivent des études supérieures se dirigent à plus de 90 % vers l’université, dans des filières non sélectives aux débouchés professionnels incertains. Quelque 35 % d’entre eux s’engagent ainsi dans une première année de licence de lettres ou de sciences humaines pour un résultat médiocre : sur les trois dernières années, seulement 55 % des étudiants handicapés sont passés en deuxième année alors que 77 % des autres étudiants y parviennent.

Ces difficultés s’expliqueraient par le « plafond de verre » que les jeunes handicapés se fixent. « Pour ces jeunes, qui ont déjà traversé tant d’épreuves, obtenir le baccalauréat et parvenir à l’université, c’est déjà la conquête du Graal. Beaucoup n’ont pas réfléchi, maturé un projet », témoigne un cadre universitaire. Faire le bon choix de filière, se projeter dans l’avenir, mesurer lucidement ses compétences, ne pas se soumettre à une autocensure du fait de son sexe, de ses origines géographiques ou sociales est déjà un cap difficile pour la plupart des lycéens ; pour ceux qui, en plus, souffrent d’un handicap, c’est gravir l’Everest.

Au final, dix ans après le vote de la loi pour l’égalité des droits et des chances, ils n’étaient que quelque 3 000 étudiants en situation de handicap inscrits en master 1 ou 2 (bac + 4 et + 5) en 2014-2015.

Pédagogie inadaptée

Que ce soit pour l’enseignement secondaire ou supérieur, les responsables associatifs rappellent au gouvernement ainsi qu’aux enseignants la loi de février 2005 : « L’Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. » « Ils n’y sont pas », regrette Stéphane Forgeron, administrateur de l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées.

Chaque type de handicap, qu’il soit visuel, auditif, moteur, psychique ou un trouble de la parole, doit faire l’objet d’une adaptation. « Mais les professeurs d’université ne sont pas formés à des formats pédagogiques appropriés, et n’y sont pas contraints », observe M. Forgeron. « Les infrastructures, les cours, les supports scolaires ne sont pas – ou souvent mal – adaptés », poursuit Vincent Michel.

Un sombre tableau dont ne rend pas compte le ministère de l’éducation nationale, qui préfère souligner que « plus de 70 % des étudiants en situation de handicap bénéficient d’un plan d’accompagnement ». Quant à la formation des enseignants à faire cours à des élèves en situation de handicap, elle sera accessible aux seuls professeurs de premier et second degrés… en 2017.

Un autre point laisse les responsables d’associations sceptiques quant à l’engagement réel du gouvernement : la décision de détourner la contribution des universités au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) pour financer la sécurité des campus. Faute de respecter dans leurs effectifs la part de personnels handicapés fixée, les universités auraient dû, en 2016, verser 45 millions d’euros à ce fonds, après avoir déboursé 15 millions l’an dernier.

La ministre de l’éducation nationale leur a permis de déroger à cette amende, à hauteur de 30 millions, afin de subvenir à leurs dépenses en matière de sécurité. « Ces fonds qui devaient être dédiés à l’emploi des personnes handicapées ont été spoliés », s’étrangle Stéphane Forgeron. « Une méthode de voyou » abonde Vincent Michel.

Le gouvernement envoie du même coup un bien curieux message aux présidents d’université en passant l’éponge auprès des établissements qui n’ont pas respecté leurs obligations concernant l’insertion des personnels handicapés, laissant sans aucune contrepartie les établissements qui ont été exemplaires. « Cela n’incite absolument pas les argentiers des universités à respecter la règle, concède un cadre universitaire, une erreur magistrale. »