Matteo Renzi, le 4 décembre, à Rome. | ANDREAS SOLARO / AFP

Dans un chat, lundi 5 décembre, consacré à la victoire du non, dimanche, au référendum sur une réforme constitutionnelle en Italie, le correspondant du Monde à Rome, Jérôme Gautheret, a répondu aux questions des internautes. Voici des extraits de cet échange, classés par « grandes thématiques ».

  • Sur le référendum, le résultat, sa signification

MM : En quoi consistait exactement le projet de Matteo Renzi ?

Le référendum comportait un sujet central : le remplacement du Sénat actuel, de 315 membres, aux pouvoirs symétriques à ceux de la Chambre des députés (ce qu’on appelle ici le « bicamérisme parfait », une singularité totale de la Constitution italienne), par une assemblée de cent personnes. Celles-ci seraient des élus locaux et cinq personnes désignées par le président, qui seraient associées au travail législatif et perdraient le droit de voter la confiance – donc de faire tomber le gouvernement – et le budget.

L’autre point central était le retour à l’Etat de certaines prérogatives dévolues jusqu’alors aux régions (ou partagées avec elles).

Olivier : Si M. Renzi n’avait pas mis sa démission dans la balance, les Italiens auraient-ils voté « non » à ce référendum ?

C’est la grande question. Sur un sujet aussi technique, on peut penser que la campagne n’aurait pas mobilisé les masses, et que le oui l’aurait emporté. Après tout, diminuer le nombre de postes de parlementaires, supprimer le bicamérisme parfait… il n’y avait pas de quoi jeter la population dans la rue.

Mais le style même du gouvernement de Matteo Renzi interdisait sans doute de tenter un tel distinguo. Quand on fait carrière en promettant d’envoyer la classe dirigeante à la retraite et de partir en cas d’échec… Dans tous les cas, la plupart des électeurs se seraient sans doute prononcés sur sa personne, vu que sa personne, c’est sa politique, et réciproquement.

Isa : A un référendum, on répond rarement à la question qui est posée. Derrière le « non » au référendum, qu’est-ce qui a été sanctionné par les Italiens ?

C’est sans doute un tout. Soixante pour cent des Italiens ont jugé qu’ils avaient une raison au moins de voter non. Et, bien sûr, ils n’avaient pas tous la même. La forte participation (plus de 68 %) prouve bien qu’il n’était pas question que d’institutions.

Zed : Etait-il nécessaire ou obligatoire de passer par un référendum ?

On dit souvent que Matteo Renzi a choisi la voix référendaire, mais ce reproche est infondé. La Constitution est très claire : il aurait fallu une majorité des deux tiers pour s’en dispenser, majorité dont Matteo Renzi ne disposait pas. Dès lors, il n’avait pas le choix.

Rappelons que le texte de la réforme passé en référendum était passé trois fois au Sénat et trois fois à la Chambre des députés, avait été voté à chaque fois, avec des amendements, et que beaucoup de ceux qui ont voté le texte ont ensuite appelé à le combattre lors du référendum…

Fdo : Où se trouve la principale ligne de fracture ? Ville et campagne ? Sud et Nord ?

Le résultat est tellement large qu’il n’y a pas à proprement parler de ligne de fracture. Seul le Trentin, la Toscane (fief de Renzi) et l’Emilie-Romagne (bastion de la gauche) ont voté oui. Pour le reste, Milan, la grande ville prospère du Nord, a voté oui, et le Sud, en difficulté, a très largement voté non à plus des deux tiers, ce qui suggère quand même qu’il y a une ligne de partage entre les « insiders » plutôt pour le oui, et des classes populaires qui rejettent en masse le « système ».

Philippe : Qu’est-ce que cette victoire du « non » apporte au Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo et à la Lega [Ligue du Nord] de Matteo Salvini ?

Pour la Lega (Ligue du Nord), c’est d’abord le rejet d’une réforme qui revenait largement sur la décentralisation qui est au cœur de leur programme. C’est donc un bénéfice immédiat. Pour le Mouvement 5 Etoiles, c’est une marche de plus dans la conquête du pouvoir. Malgré les résultats très discutables de leurs expériences de gestion municipale, surtout à Rome, et les affaires embarrassantes qui se sont multipliées ces derniers mois, les échéances électorales leurs sont toutes favorables.

Antoine H : Les populistes disent que ce référendum indique que la population rejette l’Europe telle qu’elle existe. Je ne vois pas en quoi…

Vous avez raison de ne pas voir le rapport, objectivement il n’y en a pas. La campagne a été centrée sur l’Italie, et les raisons de la chute de Matteo Renzi sont avant tout internes. En revanche il est à la tête du seul parti ouvertement européen de l’échiquier politique italien. Donc si le Parti démocrate perdait le pouvoir, ce serait au profit d’un parti qui passe son temps depuis des années à faire campagne contre les diktats de Bruxelles… C’est donc indirectement, en fragilisant le parti européen de plus en plus minoritaire en Italie, que le vote a un effet.

  • Sur l’impact de ce non et ses conséquences, notamment au niveau européen

MA : De nombreux médias anglais présentent ce vote comme un prochain « Italexit ». Qu’en est-il ?

Il y a une frange eurosceptique particulièrement forte dans la presse britannique, qui rêve à terme d’un éclatement de l’Europe, qui validerait ses thèses sur le « Brexit ». Mais, honnêtement, le vote de dimanche n’a aucun rapport avec ça, de près ou de loin.

Benoît : La Constitution italienne de 1948 est-elle irréformable ?

Elle a déjà été réformée à la marge, à de multiples reprises, notamment en 2001 (décentralisation). Mais c’était sans commune mesure avec le travail entrepris sur la réforme soumise à référendum dimanche.

  • Sur l’avenir de M. Renzi et la formation d’un nouveau gouvernement

Delphine : Renzi a dit qu’il démissionne. Mais est-il possible qu’on lui demande de reformer un gouvernement, ou est-ce que, obligatoirement, c’est une nouvelle personnalité qui va se voir confier cette mission ?

Sur le papier, rien n’interdit que Sergio Mattarella [le président de la République] désigne à nouveau Matteo Renzi, et l’hypothèse avait été souvent évoquée dans les semaines passées. Mais l’ampleur de la défaite d’hier est si forte qu’il y a très peu de chances de le voir revenir en arrière.

Julio : Que va devenir Matteo Renzi après sa démission ?

Pour l’instant, il reste à la tête du Parti démocrate (PD), qui a la plus grande représentation parlementaire du pays ainsi que la gestion de la plupart des régions. Mais ses intentions sur la suite, les règlements de compte internes au parti et les risques de scission font partie des inconnues des jours prochains.

Yvon-Pierre : Un gouvernement technique pourrait-il tenir jusqu’aux élections de 2018 ?

C’est loin d’être certain, sauf si tout le monde (hors Mouvement 5 Etoiles et Ligue du Nord) se mettait d’accord pour cela… En tout cas, il faudrait au moins tenir jusqu’à l’adoption d’une loi électorale.

Par ailleurs, Beppe Grillo, du Mouvement 5 Etoiles, rappelle avec malice un point qui n’est pas innocent. Pour avoir droit à la (plantureuse) retraite parlementaire italienne, les élus ont besoin d’avoir siégé quatre ans et demi au minimum. Et ce délai arrive à échéance en septembre 2017. Certains des parlementaires concernés auront peut-être bien intérêt à ce que le gouvernement technique dure, au moins jusqu’à cette date…

Rosy : Un gouvernement dirigé par le Mouvement 5 Etoiles est-il imaginable ? Ce parti en a-t-il les moyens ?

Il n’est pas imaginable dans la configuration actuelle, vu que le Parti démocrate conserve la majorité à la Chambre des députés. Quant à savoir s’il est possible par la suite… ce devrait être tout l’enjeu des mois prochains.

Davide : Le parti de gauche a-t-il des personnalités avec un leadership suffisant pour reprendre la réforme du système électoral ?

C’est le problème… Matteo Renzi avait fait le vide autour de lui, son prédécesseur, Enrico Letta, s’est mis en retrait de la vie politique (il est actuellement à Paris), Romano Prodi s’est retiré, les autres dirigeants ne semblent pas avoir encore l’envergure ou la légitimité pour incarner le pouvoir comme l’a fait Matteo Renzi…

Jérémy : Est-il possible de revoir émerger un premier ministre comme Matteo Renzi, qui est arrivé au pouvoir sans être élu ?

Le problème, c’est que depuis Silvio Berlusconi en 2008, chassé en 2011 par la pression européenne, les gouvernements italiens n’ont pas de légitimité populaire indiscutable. C’était d’ailleurs la grande faiblesse de Matteo Renzi et elle sera sans doute encore plus criante pour son successeur.