Bernard Cazeneuve nommé premier ministre
Bernard Cazeneuve nommé premier ministre
Par Bastien Bonnefous
Le ministre de l’intérieur quitte la place Beauveau et rejoint Matignon pour les cinq derniers mois du quinquennat de François Hollande.
Bernard Cazeneuve, Bernard Schmeltz, préfet de Corse (à gauche), et Dominique Bucchini, président de l’Assemblée de Corse (à droite), à Ajaccio, le 3 décembre 2016. | PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Définitivement, il est devenu l’homme des missions difficiles du quinquennat. Bernard Cazeneuve a été nommé premier ministre, mardi 6 décembre, par François Hollande, en remplacement de Manuel Valls, parti en campagne à la primaire socialiste. Le ministre de l’intérieur quitte donc la place Beauvau après trente-deux mois à sa tête.
Au fil du quinquennat, ce fils d’instituteur socialiste, âgé de 53 ans, s’est imposé comme une des pièces maîtresses de l’échiquier hollandais. Rien pourtant ne prédisposait ce fabiusien à devenir un des hommes de confiance du chef de l’Etat. Certes, François Hollande en avait fait l’un de ses porte-parole durant la campagne présidentielle de 2012, mais c’est confronté à l’exercice du pouvoir que son sens politique et sa discrétion se sont imposés auprès de l’Elysée, au point de devenir un véritable couteau suisse ministériel.
C’est à lui qu’une fois élu à la présidence, François Hollande confie la mission délicate de faire avaler à la majorité socialiste l’adoption sèche du traité constitutionnel européen qu’il avait pourtant promis de renégocier durant la campagne. Nommé en mai 2012 ministre délégué aux affaires européennes, ce noniste du référendum de 2005 réussit à faire adopter le texte, malgré un début de fronde de quelques députés socialistes.
Capacité quasi robotique
Moins d’un an plus tard, en mars 2013, il est déménagé en catastrophe du quai d’Orsay à Bercy, pour remplacer au budget le ministre Jérôme Cahuzac emporté par son mensonge fiscal. Dans un premier temps, Bernard Cazeneuve décline, ne se sentant pas prêt à « plonger dans les tableaux Excel », explique-t-il à l’époque. « Tu as tort, tu feras ça très bien », insiste François Hollande.
Loyal, Cazeneuve obtempère et avale à toute vitesse les rapports de la direction des finances. Il gagne le surnom de « R2D2 » auprès de certains députés socialistes, pour sa capacité quasi robotique à maîtriser les données budgétaires. Son ascension aurait dû s’arrêter là. Mais, en avril 2014, le voilà propulsé au ministère de l’intérieur, déjà en remplacement de Manuel Valls, parti à Matignon après la cuisante défaite du PS aux élections municipales.
Cazeneuve le discret, qui parle bas et goûte peu les coups de menton, nommé « ministre de l’actualité » ! Une fois encore, François Hollande l’a choisi par confiance. Le chef de l’Etat, à l’époque, a bloqué Jean-Jacques Urvoas, poussé par Manuel Valls, et François Rebsamen dont le nouveau premier ministre ne veut pas à Beauvau. L’ancien maire de Cherbourg devient alors la solution idoine.
Gérer la crise des migrants
Depuis son arrivée à la tête des services et de la police, Bernard Cazeneuve a dû affronter les pires crises du quinquennat. D’abord la mort, en octobre 2014, de Rémi Fraisse, militant écologiste tué par l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme lors d’un rassemblement contre un projet de barrage, à Sivens, dans le Tarn. Puis, bien sûr, la vague d’attentats sans précédent qui a frappé le pays : les massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, les attentats à Paris et à Saint-Denis du 13 novembre 2015, la tuerie de Nice du 14 juillet 2016 et la mort du prêtre Hamel à l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 26 juillet 2016.
Sa gestion des événements est à chaque fois saluée par l’exécutif, même si après l’attentat de Nice, l’opposition tente de mettre en cause son anticipation du drame. Parallèlement, Bernard Cazeneuve, à Beauvau, doit gérer la crise des migrants, ainsi que la mise en œuvre de l’état d’urgence à partir de novembre 2015, et l’encadrement des manifestations contre la loi travail au printemps 2016.
Le nouveau premier ministre ne s’est jamais publiquement opposé à une décision de l’exécutif. Même si, en privé, il n’avait pas caché ses réticences contre la déchéance de nationalité, et s’était opposé à Manuel Valls sur le principe d’interdire un rassemblement anti-loi travail en juin. Récemment, Bernard Cazeneuve s’était également ému, devant ses proches, de la publication dans le livre « Un président ne devrait pas dire ça… » (Stock) de conversations privées entre le chef de l’Etat et d’autres responsables politiques.
Mais il a pris soin, ces dernières semaines, de ne pas prendre position dans le bras de fer qui a opposé François Hollande et Manuel Valls pour la candidature à la présidentielle de 2017. C’est donc un homme qu’il juge sûr que le président de la République a choisi à ses côtés pour les cinq derniers mois de son mandat. Selon L’Obs, le nouveau premier ministre a laissé entendre qu’il pourrait mettre un terme à sa vie politique après la présidentielle, en choisissant de ne pas être candidat aux législatives dans la Manche – il a été député de 1997 à 2002, réélu en 2007 – ni à la mairie de Cherbourg.
« Si j’étais Valls, j’aurais peur »
Au-delà des crises politiques, Bernard Cazeneuve est même devenu un intime du président de la République. Au cœur de l’été 2015, François Hollande avait assisté à son remariage avec la mère de ses enfants donc il était divorcé, à la mairie d’Aiguines, un petit village du Var. Le chef de l’Etat y avait fêté son 61e anniversaire lors du repas de noces. Symbole de son entrée dans le cercle très fermé de la « Hollandie », Bernard Cazeneuve avait choisi comme témoin personnel Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Elysée et ami de jeunesse du chef de l’Etat.
A l’époque, la proximité affichée entre François Hollande et Bernard Cazeneuve avait inquiété les proches de Manuel Valls, absent de toutes ces agapes estivales. « Si j’étais Valls, j’aurais peur. Un ouistiti pareil peut être le prochain premier ministre », avait souri, en privé, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, à propos de Bernard Cazeneuve. « Moi premier ministre, ça n’existe pas ! C’est de la tarabistouille ! », avait réagi l’intéressé. La tarabistouille vient finalement de devenir réalité.