Ouganda : « Victime » de la LRA, Dominic Ongwen en a adopté « avec enthousiasme les méthodes violentes »
Ouganda : « Victime » de la LRA, Dominic Ongwen en a adopté « avec enthousiasme les méthodes violentes »
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
Le procès de Dominic Ongwen, ancien enfant-soldat et commandant de l’Armée de résistance du seigneur en Ouganda, s’est ouvert devant la Cour pénale internationale.
Victime ou bourreau ? La question devrait peser tout au long du procès de Dominic Ongwen, qui s’est ouvert mardi 6 décembre devant la Cour pénale internationale (CPI). Cet ancien commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) est accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, commis entre 2002 et 2005 dans le nord de l’Ouganda. Mais dès les premières minutes de son procès, l’ex-milicien s’est présenté en victime devant ses juges, déclarant mardi matin :
« Je suis l’un de ceux contre lequel la LRA a commis des atrocités. »
Dominic Ongwen avait été enlevé en 1988 par les hommes de Joseph Kony, le chef des rebelles de la LRA, au domicile de ses parents.
A la dernière minute, ses avocats ont tenté d’obtenir le report de l’affaire, arguant que leur client n’était pas apte à suivre ce procès, et surtout qu’il ne comprenait pas les charges retenues contre lui. La requête fut rapidement balayée par les juges, visiblement peu enclins à se laisser distraire par des « tactiques » et décidés à avancer.
Une fois ce court incident terminé, la greffière a lu les soixante-dix charges portées par le procureur. Une longue litanie de meurtres, de tortures, d’attaques contre des civils, de conscription forcée d’enfants de moins de 15 ans, de viols et de grossesses forcées. Des faits qualifiés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Pendant cette lecture de trente minutes, Dominic Ongwen a studieusement noirci les pages d’un cahier d’écolier.
« C’est la LRA qui a tué »
Lorsque le président Bertram Schmidt veut s’assurer qu’il comprend la nature des charges, M. Ongwen déclare debout, en ajustant son costume :
« C’est la LRA qui a enlevé les enfants dans le nord de l’Ouganda. C’est la LRA qui a tué les gens dans le nord de l’Ouganda. C’est la LRA qui a commis des atrocités dans le nord de l’Ouganda. La LRA, c’est Joseph Kony qui en est le chef. »
Créée à la fin des années 1980 par Joseph Kony, l’Armée de résistance du Seigneur demandait un partage des richesses du pays avec le Nord délaissé et voulait imposer un régime basé sur les Dix commandements de la Bible. En juin 2005, après l’ouverture d’une enquête à la demande de l’Ouganda, la CPI a délivré cinq mandats d’arrêt contre les chefs de la sanguinaire milice, dont Joseph Kony, toujours en fuite. En trente ans de combat, d’abord dans le nord de l’Ouganda puis, à la suite de l’échec de négociations de paix, en Centrafrique, au sud du Soudan et en République démocratique du Congo (RDC), la LRA aurait tué plus de 100 000 personnes et capturé au moins 30 000 enfants.
Mardi, la procureure a tenté de déminer la question qui pèse sur le procès. « Dominic Ongwen était aussi une victime », affirme Fatou Bensouda dès l’ouverture des débats. Il a lui-même, comme les autres enfants enlevés par les hommes de Kony, subi les séances d’initiation « à la violence dans le style de la LRA ». La procureure estime que l’on peut « ressentir de l’horreur et de la répulsion pour les actes qu’il a commis, mais aussi de la sympathie » pour son histoire. « Un des témoins le décrit comme un homme bon, qui jouait avec ses enfants placés sous son commandement », précise-t-elle.
Le cadre posé, les ambiguïtés levées, la procureure peut enfin attaquer. Le procès de la CPI ne traite pas « de la bonté ou de la malveillance », dit-elle, il ne s’agit pas de « nier qu’il ait été victime » ou « de décider s’il mérite de la sympathie ». Dominic Ongwen a adopté « avec enthousiasme les méthodes violentes de la LRA ». Contrairement à d’autres, qui « se sont rendus et ont obtenu l’amnistie », lui a choisi de rester et de commettre des crimes.
Dépositions des « épouses » de l’accusé
Enlevé à 10 ans, Dominic Ongwen a rapidement grimpé les échelons hiérarchiques de la LRA pour prendre la tête d’une brigade de près de 300 hommes, la brigade Sinia. Le substitut du procureur, Ben Gumpert, évoque les attaques conduites par le chef de cette brigade contre quatre camps de déplacés : Pajule, Lukodi, Odek et Abok. Il diffuse la vidéo d’enfants brûlés vifs ou éviscérés. Au cours de chaque attaque, les miliciens tuaient « tous ceux qui ne sont pas les nôtres », comme ordonné par Dominic Ongwen, puis pillaient échoppes et domiciles et enlevaient femmes et enfants. Pour les seules années 2002, 2003 et 2004, l’armée ougandaise a recensé 712 attaques de la LRA.
Ben Gumpert décrit ensuite par le détail le contenu de son dossier, largement basé sur les écoutes des transmissions entre commandants de la LRA, réalisées pendant dix ans par les renseignements ougandais depuis les baraquements militaires de Gulu, chef-lieu du nord de l’Ouganda. Plusieurs expertises médico-légales de l’armée ougandaise après des massacres de la milice sont aussi incluses au dossier. Parmi les témoins, le procureur compte sur des « insiders », dont deux anciens bras droits de Dominic Ongwen, et les dépositions de sept des « épouses » de l’accusé sont également consignées au dossier.
Parmi les charges, l’ex-milicien est accusé de viols et de grossesses forcées. Les règles de la LRA sont strictes : elles interdisent le sexe hors mariage mais les miliciens sont gratifiés d’une ou plusieurs épouses, enlevées lors des opérations. Des enfants de 10, 12 ou 15 ans, mariées de force, violées, assignées aux tâches ménagères. L’une des « épouses » du commandant Ongwen, enlevée à 7 ans, a été forcée de porter des sacs de sel pendant plus d’un mois dans le bush, puis violée lorsqu’elle n’avait que 10 ans. « Dégoutée et terrorisée », elle avait fini par céder au chef rebelle après avoir été battue avec des tiges de bambou pendant une semaine. Le procureur a identifié douze enfants nés de ces viols, grâce à des tests de paternité. Des enfants qui comptent parmi les victimes, a déclaré Fatou Bensouda, et qui aujourd’hui font « quelquefois face à des hostilités à cause de leur parenté ».
Mercredi, les représentants des 4 000 victimes participant au procès doivent prendre à leur tour la parole. Les premiers témoins seront appelés à la barre en janvier.
L’ancien chef de guerre de la LRA Dominic Ongwen plaide non coupable
Durée : 01:10