Notre-Dame-des-Landes : l’histoire de « la plus vieille lutte de France » en 6 actes
Notre-Dame-des-Landes : l’histoire de « la plus vieille lutte de France » en 6 actes
Par Angela Bolis
Alors que le gouvernement reporte l’évacuation de la ZAD, le conflit né de ce projet d’aéroport, vieux de cinquante ans, est peu à peu devenu un symbole de la contestation des grands projets d’aménagement.
Novembre 2015, bannière d'opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. | GEORGES GOBET / AFP
Temporisation ou vrai revirement ? L’annonce par Matignon, vendredi 9 décembre, du report de l’évacuation de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantiques), occupée par des militants écologistes et anticapitalistes, marque dans tous les cas un nouveau rebondissement dans un feuilleton vieux de plus de cinquante ans.
C’est même « la plus vieille lutte de France », selon les mots de Dominique Fresneau, natif de la commune de 2 000 habitants et opposant historique au projet d’aéroport. Depuis près de cinquante ans, le dossier « NDDL » a changé de motifs, de partisans, d’époque, mais n’a cessé de cristalliser la contestation, pour devenir, peu à peu, le symbole, selon l’expression d’usage d’associations, des « grands projets inutiles et imposés », destructeurs de terres agricoles et naturelles.
Acte I : rêves de grandeur
Projet d’aménagement du territoire avant tout, l’idée d’un « aéroport du Grand Ouest » émerge dans les années 1960 de réflexions sur la décentralisation et le développement économique des régions. En 1965, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) définit des « métropoles d’équilibre », qui viendraient contrebalancer l’hypercentralisation parisienne. Parmi celles-ci, Nantes-Saint-Nazaire.
D’après l’ouvrage de Jean de Leffe et de Robert Leggen, Dégage ! On aménage, (Le Cercle d’or, 1976), on parle déjà en 1966, dans des documents des chambres de commerce et de l’industrie de Nantes et de Saint-Nazaire, d’un « nouveau terrain à vocation internationale », qui permettrait à l’Ouest de devenir « la Ruhr du XXIe siècle ».
Dès 1970, c’est le site de Notre-Dame-des-Landes qui est retenu par l’Organisme régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine (Oream) et par la direction des bases aériennes. Un terrain plat, agricole et peu peuplé, composé de zones humides – dont l’importance écologique est alors ignorée – situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes. Des avions américains s’y étaient déjà posés en 1945.
La réalisation de l’aéroport est alors prévue pour 1985, avec des prévisions de 5 à 9 millions de passagers à l’horizon 2000 — alors que l’aéroport de Nantes-Atlantique atteignait 4,15 millions de passagers en 2014 seulement.
A Nantes, on rêve d’un aéroport tourné vers les Amériques, qui pourrait servir de base au Concorde. Le sénateur gaulliste et futur maire de Nantes, Michel Chauty, de retour d’un voyage d’étude sur les transports aériens aux Etats-Unis, imagine dans Presse Océan, en mai 1970, le développement du « Rotterdam aérien de l’Europe par la création d’un aéroport international de fret au nord de la Loire » (comme le montre l’article ci-dessus, déniché par Terra Eco).
Les habitants prennent alors connaissance du projet, et certains agriculteurs, craignant de voir leurs terres bétonnées, créent deux ans plus tard l’Association de défense des exploitants concernés par le projet d’aéroport (Adeca), le premier avatar de la contestation.
Acte II : demi-sommeil
Malgré cette prospective, le projet tombe dans un relatif oubli pendant plus de deux décennies. Parallèlement, une zone d’aménagement différé (ZAD) est créée en 1974. Elle permettra au conseil général de la Loire-Atlantique d’accumuler, par droit de préemption, de la réserve foncière, acquérant ainsi, jusqu’en 1988, 850 hectares sur les quelque 1 250 hectares prévus (qui deviendront ensuite 1 600 ha).
Chocs pétroliers, arrivée en 1989 du TGV à Nantes, trafic aérien balbutiant… Le projet ne suscite guère plus de passion. A peine ressurgira-t-il en 1994, à l’occasion d’un autre (très long) débat sur la construction d’un troisième aéroport parisien pour désengorger ceux d’Orly et de Roissy. L’occasion rêvée, pour les partisans d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de ressortir cet « ancien » projet. A leur tête, le député PS et maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, défend alors cette opportunité « de raccrocher à l’Europe nos régions, qui se sentent à l’écart des grands flux économiques du continent ».
Acte III : le retour
C’est sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2000, que le projet ressort véritablement. Il s’inscrit dans les réflexions autour de la loi Voynet, ministre écologiste de l’aménagement du territoire, en faveur d’un rééquilibrage territorial. « La desserte aérienne des métropoles régionales est bien trop tributaire du passage par Paris », dit-elle à l’Assemblée nationale le 30 octobre 2000. Avec la « perspective de la saturation des aéroports parisiens », il faut renforcer ces métropoles, et à Nantes, déplacer l’aéroport de Nantes-Atlantique, créé au début des années 1960, « sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes ».
D’après les opposants, c’est surtout M. Ayrault qui pousse à relancer cet aménagement, au moment où il entend lancer un grand chantier pour réhabiliter l’île de Nantes. « La DGAC [Direction générale de l’aviation civile] fait alors sa révision du plan d’exposition au bruit de l’aéroport existant, et selon ses prévisions, très surestimées, l’île serait en partie touchée par les nuisances. Ce qui gênerait la construction de nouveaux logements », explique la conseillère régionale EELV Geneviève Lebouteux, membre du CEDPA, Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Désormais, le maire de Nantes argue de son côté que ce projet permettrait d’éviter la saturation de l’aéroport Nantes-Atlantique, d’assurer la sécurité des Nantais, de créer « quatre mille emplois » et d’élever Nantes au statut de « ville de grands événements, de conventions ».
Le maire du village de Notre-Dame-des-Landes, Louis Cercleron, et une secrétaire de mairie, prennent connaissance, le 14 octobre 2003, de la presse locale. Le gouvernement a donné son feu vert de principe à la construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, selon un arrêté paru au Journal officiel. | FRANK PERRY / AFP
Après études préalables, s’ensuit un débat public entre 2002 et 2003. Il est rapidement jugé biaisé par les opposants, car n’envisageant, selon eux, aucun autre scénario crédible. Le projet est validé par arrêté ministériel en octobre 2003. Puis soumis à enquête publique en 2006 et 2007. La déclaration d’utilité publique est signée en 2008, pour un aéroport qui accueillerait à terme neuf millions de passagers, et dont le coût est estimé à 581 millions d’euros. En 2010, l’Etat signe avec Vinci un contrat de construction et de concession du futur aéroport pour cinquante-cinq ans. Les travaux doivent commencer en 2014, pour une ouverture en 2017.
Acte IV : la « guérilla » du bocage
Des opposants à l'implantation d'un nouvel aéroport ont réalisé une chaîne humaine pour écrire « Aéroport Non ! », le 25 juin 2006 dans un champ de Notre-Dame-des-Landes. | ALAIN JOCARD / AFP
Pendant ce temps, l’opposition s’organise. Dès 2000, l’Adeca est réactivée et l’Association citoyenne des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa) est créée. Voient ensuite le jour la Coordination des opposants, en 2004, le CEDPA, en 2009, ou encore le Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport (Copain), en 2011.
Les premières fresques humaines — « Aéroport non » ; « Vinci dégage » — se dessinent dans le bocage ; des manifestants débarquent avec vélos, tracteurs et animaux à Paris ; des agriculteurs font une grève de la faim ; une chaîne humaine entoure sur 25 kilomètres la ZAD, la zone d’aménagement différé, bientôt rebaptisée « zone à défendre ».
Mais c’est en 2009 que la lutte contre l’aéroport prend un tournant décisif. Après une rencontre avec la revue Silence, les opposants « historiques » de Notre-Dame-des-Landes invitent le premier camp action climat français. Des centaines de militants y affluent. « Très rapidement, il y a une émulation énorme dans le camp. On perd un peu la main sur ce qui s’y passe, ce sont des individus très indépendants, tout se décide en AG », se rappelle Dominique Fresneau, de l’Acipa.
Défiance envers les médias, invention de nouvelles formes de lutte – avec par exemple une « brigade activiste des clowns » qui envahit joyeusement l’aéroport de Nantes – occupation, autogestion et mode de vie alternatif... Autant de traits qui préfigurent déjà l’ambiance de la future ZAD. Celle-ci s’étoffera peu à peu autour d’un noyau de quelques participants du camp qui demeurent sur place, occupant les terrains préemptés, sous tente, dans des cabanes ou des maisons laissées vides par le conseil général.
Heurts entre les opposants au projet de NDDL et les forces de l'ordre sur la ZAD, le 24 novembre 2012. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
A l’automne 2012, c’est l’opération « César« : l’Etat tente, avec plus de mille gendarmes et policiers, d’évacuer les « zadistes ». Ces expulsions manu militari, les destructions de fermes et de cabanes, et surtout la « guérilla bocagère » qui s’ensuit, faisant de nombreux blessés, retiennent l’attention des médias. Erigée en symbole, la lutte dépasse les enjeux locaux, s’attirant la solidarité de nombreux habitants et agriculteurs opposants, et au-delà, des soutiens venus de toute la France et même d’Europe.
Le 16 novembre 2012, le président François Hollande réaffirme son soutien au projet. Le lendemain, une manifestation de « réoccupation » rassemble entre 13 000 et 40 000 personnes dans la ZAD, selon les estimations. Pour sortir de l’impasse, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, annonce une commission de dialogue. Celle-ci conclura, en avril 2013, à l’utilité du projet, tout en remettant en question ses mesures de compensation environnementale.
Acte V : dissonances gouvernementales
A plusieurs reprises, entre 2013 et 2015, le gouvernement annoncera l’attente des décisions de justice avant le lancement des travaux. Ce sera chose faite à l’été 2015, avec le rejet par la Cour de cassation des pourvois contre les ordonnances d’expropriation, puis le rejet, par le tribunal administratif de Nantes, des derniers recours contre les arrêtés préfectoraux autorisant les travaux, permettant de déroger à la loi sur l’eau, et de déplacer les espèces protégées.
En octobre 2015, la reprise des travaux est annoncée pour 2016. Les procédures d’expulsion reprennent, à l’encontre de onze familles et de quatre exploitants agricoles. Après une « pause » lors des élections régionales – qui voient arriver à la tête de la région des Pays de la Loire Bruno Retailleau (LR), fervent défenseur du projet –, ces expulsions sont confirmées, en janvier 2016, par le tribunal de grande instance de Nantes. Ce qui occasionne un regain de tensions à NDDL, où les opposants se préparent à résister sur le terrain.
Toutefois, le projet divise alors au sein du gouvernement. La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, souhaite le remettre à plat, tandis que la ministre du logement, l’écologiste Emmanuelle Cosse, y est opposée de longue date.
Ultime rebondissement, l’annonce faite par François Hollande, le 11 février, d’un référendum local. il est censé laisser la voie libre au futur chantier en cas de victoire du « oui » à la question qui sera posée le 26 juin : « Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »
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Acte VI : la consultation populaire ne règle rien
Rebondissement en février 2016 : François Hollande annonce un référendum local pour « [savoir] exactement ce que veut la population » sur le sujet. Contesté par les opposants à l’aéroport, quant au périmètre électoral retenu (le département) comme à sa formulation, le Conseil d’Etat donne finalement son feu vert. La consultation a lieu le 26 juin et les habitants de Loire-Atlantique approuvent à 55,17 % le projet d’aéroport.
Début novembre, la cour administrative d’appel de Nantes lève un nouvel obstacle en validant quatre arrêtés pris en décembre 2013 par le préfet de Loire-Atlantique, que contestaient les opposants et ne suivant pas ainsi, fait rares, les préconisations du rapporteur public.
Malgré cela, la cacophonie se poursuit au niveau du gouvernement : en octobre, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, appelle à « arrêter les frais » sur le sujet, en abandonnant le projet, tandis que Matignon confirme une évacuation prochaine de la ZAD. Mais le remaniement de début décembre, avec Bernard Cazeneuve nouveau premier ministre pour succéder à Manuel Valls, change temporairement la donne : l’évacuation est repoussée jusqu’à nouvel ordre, les services de Matignon invoquant un contentieux en cours avec la Commission européenne, qui reproche à la France de n’avoir pas respecté la règlementation concernant les effets cumulés de plusieurs chantiers, ainsi que la disponibilité des forces de l’ordre en plein état d’urgence.
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