En Belgique, l’accueil d’une famille syrienne met le gouvernement à l’épreuve
En Belgique, l’accueil d’une famille syrienne met le gouvernement à l’épreuve
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
Les nationalistes de la N-VA entendent limiter le nombre de réfugiés arrivant dans le pays.
Theo Francken, le 9 décembre à Bruxelles. | EMMANUEL DUNAND / AFP
Le sort d’une famille d’Alep met en émoi le gouvernement belge. Un huissier de justice devait se présenter, mardi 13 décembre, au cabinet du secrétaire d’Etat belge à la migration, Theo Francken, pour lui réclamer 20 000 euros, soit cinq jours d’une astreinte quotidienne de 4 000 euros à laquelle la cour d’appel de Bruxelles a condamné, jeudi, l’Etat fédéral. M. Francken, un nationaliste flamand, refuse d’octroyer un visa humanitaire à une famille d’Alep, que veulent accueillir des habitants de Namur. Une fois arrivés en Belgique, le couple et ses deux enfants, âgés de 5 et 8 ans, pourraient déposer une demande d’asile.
Le secrétaire d’Etat – qui a évoqué récemment un possible rapprochement entre son parti, l’Alliance néoflamande (N-VA), et l’extrême droite séparatiste – refuse que des juges puissent décider de se substituer à un membre de l’exécutif et à son administration pour décider qui doit avoir accès au territoire national. Il a introduit des recours devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation et souligne que s’il cédait, de nombreux demandeurs d’asile pourraient s’engouffrer dans la brèche.
L’affaire menace désormais la survie de la coalition dirigée par le libéral francophone Charles Michel. Au sein de celle-ci, les libéraux et les chrétiens-démocrates flamands ne ménagent pas leurs critiques sur M. Francken, tandis que le premier ministre, soucieux de ne pas cabrer des nationalistes qui ont sa survie politique entre leurs mains, l’appuie tout en soutenant qu’il entend respecter « l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs ».
La N-VA tient un tout autre propos. « Pas d’astreintes, pas de juges coupés des réalités, pas de papiers pour chaque demandeur d’asile », dit un message diffusé sur les réseaux sociaux. Bart De Wever, président du parti, invoque la nécessité de s’opposer aux juges puisqu’il s’agit de défendre « l’intérêt général et la démocratie ». En écho, des élus, y compris de la majorité, reprochent au dirigeant nationaliste de s’en prendre à des magistrats qui ne font qu’appliquer des lois adoptées par le Parlement – et que la majorité actuelle n’a pas modifiées.
« Les décisions de justice exécutoires doivent être respectées non seulement par les citoyens, mais aussi par les politiques, et le fait qu’ils soient élus ne les autorise pas à violer la Constitution, les traités internationaux et la loi », souligne, de son côté, la juge Manuela Cadelli, responsable de l’Association syndicale des magistrats.
« Fasciste »
L’intransigeance de M. Francken et l’utilisation de cette affaire par M. De Wever, qui reprend à l’extrême droite le thème du possible « envahissement » du pays par les demandeurs d’asile, remuent aussi une partie de l’opinion. M. Francken est arrivé sous les huées à une réunion qu’il tenait à Charleroi, lundi soir. Le maire de la ville, le socialiste Paul Magnette, avait refusé de le rencontrer et une opposante a tenté de le frapper à coups de pantoufle, tandis que d’autres le traitaient de « fasciste ».
Dans son intervention, le secrétaire d’Etat, applaudi par une partie de l’assemblée, a redit qu’il contestait le fondement de la décision de la cour d’appel, à savoir que l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme interdit le non-refoulement d’une personne menacée dans son pays, mais oblige aussi à l’accueillir. « Le fait que quelqu’un veuille accueillir cette famille en Belgique n’est pas un élément, et je ne peux pas octroyer un visa », a indiqué M. Francken.
Soucieux de sauver la famille d’Alep, dont l’appartement a été bombardé dimanche 11 décembre, des avocats ont formulé, lundi, une proposition pour « mettre fin à la surenchère ». Ils ont suggéré à M. Michel de choisir lui-même la base légale qui permettrait à la famille de séjourner en Belgique. Cette procédure permettrait, selon eux, de ne pas engager la politique générale du royaume et ne ferait pas jurisprudence.
Le gouvernement n’a pas répondu. Sauf pour proposer à la famille « un visa humanitaire » pour… le Liban, un pays avec lequel des tractations seraient en cours depuis plusieurs jours. Les avocats de la famille dénoncent « le pur cynisme » de cette démarche.