La fable politique et pop de Frère Animal
La fable politique et pop de Frère Animal
Par Stéphane Davet
Deuxième épisode, à la Philharmonie de Paris, de ce projet musical donnant parfois l’impression d’un sujet à la Ken Loach filmé par Cédric Klapisch.
Quelques mois avant les élections présidentielles, Frère Animal s’engage dans un Second tour. De la même façon que les candidats publient des manifestes avant de partir en campagne, le groupe formé par le chanteur Florent Marchet et l’écrivain Arnaud Cathrine a sorti son second album avant de partir en tournée. Après une première donnée cet été aux Francofolies de La Rochelle, le duo lançait véritablement la version scénique de son projet musicalo-littéraire, le 12 décembre, dans l’amphithéâtre de la Philharmonie de Paris, où le spectacle se prolonge jusqu’au 15 décembre.
Plus qu’un concert, autre chose qu’une pièce ou une comédie musicale, Second tour affiche une double ambition. Celle de décloisonner les formats de la pop. Celle aussi de réintroduire une dimension politique dans une chanson française qui a depuis longtemps fui l’engagement. Quatre ans après leur première rencontre, en 2004, lors du festival Les Correspondances organisé à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le chanteur épris de narration – comme l’ont prouvé des albums conceptuels, tels Rio Baril (2007) ou Bambi Galaxy (2014) – et le romancier, qui pratiqua chant et musique durant son adolescence, avaient livré un premier livre-disque, intitulé Frère Animal (Verticales/Gallimard).
« Résumé de l’épisode précédent »
Satire cinglante du monde de l’entreprise, ce premier chapitre avait été enregistré puis mis en scène avec des complices comme Nicolas Martel (comédien, danseur, chanteur au sein de Las Ondas Marteles) et la chanteuse Valérie Leulliot (Autour de Lucie). Proposé comme une suite, Second tour, réunit les mêmes musiciens (accompagnés du percussionniste Benjamin Vairon) dans la peau des mêmes personnages.
Sur le petit plateau de l’amphithéâtre, le spectacle débute d’ailleurs par un « résumé de l’épisode précédent », lequel se concluait par l’arrestation de Thibaut (Florent Marchet), jeune ouvrier incendiaire de son usine, dans une ville (fictive) de province, Comblet. Le second chapitre démarre à sa sortie de prison. Il retrouve Julie (Valérie Leulliot), la petite amie qui ne l’a pas attendu, Renaud (Arnaud Cathrine), son frère qui a refait sa vie en épousant un homme, et un environnement qui ne veut plus de lui. Seul un copain lui tend la main : Benjamin (Nicolas Martel), devenu rabatteur pour l’extrême droite, qui manipule le ressentiment du jeune homme pour l’embrigader dans son parti, le Bloc national.
Après avoir décrit la violence du monde du travail, Marchet et Cathrine s’inquiètent d’une France minée par le chômage, le repli identitaire et la montée des extrêmes. En prenant à nouveau le pari que la diversité des rôles et le mélange de chansons et de narration permettent de problématiser un sujet avec plus de profondeur que ne le ferait le format du couplet-refrain.
Enfants perdus de la classe ouvrière
Pas évident pourtant d’identifier ces artistes, prototypes d’une chanson pop cultivée, en enfants perdus de la classe ouvrière. Dans un premier temps, Florent Marchet semble aussi crédible en prolo à vif qu’Alain Souchon le serait dans un rôle de serial killer. Au-delà de cette impression d’un sujet à la Ken Loach filmé par Cédric Klapisch, on finit par être touché par l’implication de chacun, voire impressionné par le charisme diabolique de Benjamin/Martel.
La fable politique ne nous épargne pas quelques clichés, mais l’intrigue se nourrit aussi d’une force documentaire – puisée en particulier dans des ouvrages comme Retour à Reims, de Didier Eribon, ou 20 ans et au Front – Les nouveaux visages du FN, de Charlotte Rotman – qui fait souvent mouche. Avec un minimum de moyens – une scène étroite, pas de décor –, ces interprètes réussissent même le petit exploit de donner vie à un crescendo dramatique, tout en se consacrant à leur fonction de multi-instrumentistes. Nourri par ce qu’il faut d’humour (la voix off de François Morel) et le charme doux-amer de chansons variant points de vue et cadrages, le récit préserve ainsi son rythme et son intensité.
Jusqu’au 15 décembre à la Philharmonie de Paris (complet) ; le 19 janvier, à Cusset (Allier) ; le 12 mars, à Vannes (Morbihan) ; le 19 à Nevers (Nièvre) ; le 25 au Havre (Seine-Maritime) ; le 30 à Dijon (Côte-d’or) ; le 31 à Fontaine (Isère); le 21 avril à Paris (Trianon) ; le 24 à Nantes (Loire-Atlantique).