Manifestation à l’appel de l’association Droit au Logement, à Paris, le 11 décembre 2015. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), en charge du suivi de la loi de 2007 sur le Droit au logement opposable (DALO), tire, dans un rapport remis mardi 13 décembre à Emmanuelle Cosse, ministre du logement, un bilan très contrasté de l’effectivité de ce droit.

Voté il y aura bientôt dix ans, après l’électrochoc qu’avait provoqué l’occupation des berges du canal Saint-Martin par les tentes de l’association Les Enfants de Don Quichotte, ce droit a bien du mal rentrer dans les mœurs tant certains acteurs – élus, bailleurs sociaux, préfets – essayent de se soustraire à leur devoir de reloger. « Cette loi est utile puisqu’elle a permis à plus de 102 297 familles [chiffre au 31 décembre 2015] de trouver un toit depuis 2008, date de son application », affirment d’emblée les auteurs du rapport qui se sont rendus dans treize des départements les plus concernés, avant de constater immédiatement ses limites : en 2016, 58 183 foyers qui, au terme d’un long parcours, ont réussi à se faire reconnaître bénéficiaires du DALO et sont donc théoriquement relogeables dans les six mois, sont toujours sans solution. Pour certains depuis cinq ou six ans.

« Jamais, à 53 ans, je n’aurais imaginé être à la rue », raconte Karim Alaoui, diplômé d’économie et de droit qui a, pendant cinq ans, suivi le parcours du sans-abri « en gravissant marche après marche le chemin de ces damnés de la terre », selon ses termes. Il raconte la rue, les appels au 115 dans le froid, les centres d’urgence dont il faut déguerpir dès le petit matin puis les centres d’hébergement où l’on partage une chambre pour deux et les maisons relais « avec leur règlement rigide qui interdit à votre fils de dormir chez vous ».

« Tous les indicateurs du mal logement s’aggravent »

Karim Alaoui est devenu un expert de l’hébergement en France et siège, aujourd’hui, au HCLPD : « En 2011, j’ai déposé une demande de droit au logement opposable et j’ai été déclaré éligible huit mois plus tard. C’était une superbe nouvelle mais j’ai encore dû patienter cinq ans avant d’avoir la lettre du préfet me proposant un logement… Et là, le temps s’accélère brutalement car il faut donner une réponse dans les dix jours, faute de quoi vous n’êtes plus considéré comme prioritaire. C’est angoissant, on en perd le sommeil », raconte-t-il.

La première étape est donc l’obtention de la reconnaissance de ce droit auprès d’une commission de médiation siégeant en préfecture. En 2015, seuls 25 593 ménages se sont vus accorder le DALO, 21 % de moins qu’en 2013 : « Ce pourrait être une bonne nouvelle. Hélas, l’accès au logement ne s’améliore pas, au contraire, tous les indicateurs du mal logement s’aggravent : + 50 % de sans domicile et + 19 % de personnes hébergées chez des tiers, entre 2001 et 2012, + 17 % de logements sur occupés et + 42 % de ménages dont le taux d’effort financier pour se loger est insupportable, entre 2006 et 2013 », relate le rapport.

La vraie raison de la baisse du nombre de décisions favorables, c’est le durcissement des conditions posées par les commissions de médiation, de plus en plus restrictives puisqu’elles accordaient le DALO à 45 % des demandeurs, en 2008, mais plus que 29 %, en 2015. Cette proportion varie d’ailleurs beaucoup d’un département à l’autre : 74 % de décisions favorables dans le Doubs, 60 % dans les Landes, 45 % à Paris mais seulement 20 % dans les Alpes-Maritimes, 18 % dans le Bas-Rhin et 14 % dans le Vaucluse. Dans une lettre du 18 décembre 2015, le préfet du Var constatait que « seulement 22 % des dossiers ont été déclarés recevables par la commission de médiation en 2015, contre 50 % l’année précédente », ce qui le conduisait « à féliciter les membres de la commission de médiation qui ont su respecter les consignes préfectorales données ».

Manque de logements sociaux

Un autre obstacle est l’offre très restreinte de logements sociaux, notamment parmi ceux aux loyers les plus bas correspondant aux capacités financières des demandeurs. L’objectif de construire 150 000 logements sociaux par an, de 2007 à 2017, n’a jamais été atteint : « Dans les treize départements visités, nous avons constaté des difficultés à trouver des locataires pour les logements sociaux les plus chers et nous proposons d’en baisser les loyers pour accueillir des DALO», suggère René Dutrey, un des auteurs du rapport.

« La loi DALO a, en outre, placé l’Etat en position de seul garant du droit au logement opposable, avec pour tout levier la mobilisation du contingent préfectoral, très insuffisant », poursuit le document. Pire, dans certains départements, les préfets n’ont même plus la main sur ce contingent, délégué aux communes qui ont beaucoup de mal à le rendre, comme c’est le cas de 32 des 36 communes des Hauts-de-Seine.

« Laisser à l’Etat la compétence du relogement des publics prioritaires a eu pour effet de déresponsabiliser les autres acteurs, bailleurs sociaux, collectivités locales, Action Logement, qui auraient dû réserver 25 % de leurs logements à ces ménages mais plafonnent à 8 % », dénonce le rapport. La loi Egalité et citoyenneté, en cours de discussion au Parlement, prévoit que les communes attribueront bien le quart de leur contingent à ces publics.

Pratiques discriminatoires

En Ile-de-France, l’accueil des ménages DALO est très variable d’un bailleur à l’autre. Paris Habitat leur consacre 24 % de ses désignations, mais Hauts-de-Seine Habitat, seulement 8,6 % et Efidis et Osica, deux filiales du groupe Société nationale immobilière, à peine 6,6 %. De nombreux bailleurs refusent carrément des dossiers présentés par les préfets, par exemple dans les Bouches-du-Rhône, dans le Var ou en Seine-et-Marne.

Le rapport pointe aussi des pratiques discriminatoires dans les offres de relogement. Le demandeur n’a parfois même pas son mot à dire sur ce qui est quasiment considéré comme un don qui ne se refuse pas : il doit donner son accord sans même avoir visité le logement et si son refus est jugé illégitime par la commission de médiation ou le bailleur social, il perd sa priorité…