Les « Panama papers ». | Quentin Hugon/« Le Monde »

Le 7 avril 2016, 14 grandes lettres bleues ont disparu en silence de la façade d’un immeuble de bureaux dans un quartier huppé de San Salvador, la capitale du plus petit pays d’Amérique centrale.

L’une après l’autre, elles sont descendues du mur bleu et beige revêtu de stuc, laissant derrière elles l’empreinte du nom de l’entreprise qui l’occupait encore quelques jours auparavant :

M-O-S-S-A-C-K-F-O-N-S-E-C-A.

Selon le personnel de la succursale salvadorienne de Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats basé au Panama dont les fichiers ont fuité et inspiré des milliers d’articles révélant les secrets de la finance extraterritoriale, il s’agissait d’un déménagement prévu de longue date.

Les « Panama papers » en trois points

  • Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
  • Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
  • Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Les autorités du Salvador soupçonnaient une autre vérité. La veille, elles avaient annoncé une enquête visant les citoyens qui avaient fait des affaires avec le cabinet. Elles craignaient que des preuves ne soient détruites. L’après-midi suivant la disparition de l’enseigne, des policiers — certains portant un passe-montagne noir, un maillot de football et un revolver accroché à la taille — ont donc fait une descente dans les locaux de Mossack Fonseca.

La police salvadorienne et le procureur général du pays ont saisi vingt ordinateurs, pendant que les autorités relataient en direct sur Twitter l’intervention.

La perquisition du siège de Mossack Fonseca au Salvador n’est qu’une des centaines de réactions des autorités aux « Panama papers » : enquêtes, amendes, démissions de hauts responsables, descentes de police, arrestations, réformes législatives nationales ou encore réunions internationales secrètes figurent parmi les mesures prises à la suite du scandale.

Les représentants de gouvernements et les militants de la société civile s’attendent à ce que ces répercussions se poursuivent pendant plusieurs années, alors que l’indignation suscitée par ces révélations incite les responsables politiques et les citoyens à faire la lumière sur un mystérieux système financier qui a résisté pendant des décennies à la réforme.

Yaourts et pierre

Des milliers d’Islandais manifestent le 9 avril à Reykjavik, après la révélation des Panama Papers. | HALLDOR KOLBEINS / AFP

Depuis que le scandale a éclaté, en avril, des centaines de journalistes originaires de divers pays ayant collaboré à l’enquête ont publié plus de 4 700 articles au sujet de Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats international qui a créé des sociétés-écrans opaques pour des entreprises, des responsables politiques et des fraudeurs.

Les réactions aux révélations des « Panama papers » ont commencé dès que le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et une centaine d’autres médias partenaires ont rendu publics leurs premiers articles à 20 heures, heure de Paris, le 3 avril. #PanamaPapers devient rapidement le hashtag le plus utilisé sur Twitter. Des milliers de manifestants ont défilé dans les rues sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique. Des foules mécontentes ont jeté des yaourts en Islande et des pierres au Pakistan.

Cent cinquante enquêtes dans soixante-dix-neuf pays

Depuis, selon les informations parues dans les médias internationaux et les déclarations officielles, au moins 150 instructions, contrôles ou enquêtes ont été annoncés par la police, les douanes, les procureurs spécialisés dans la délinquance financière et la mafia, les juges et les tribunaux, les autorités fiscales, les Parlements et les cabinets d’audit dans 79 pays à travers le monde. Plusieurs milliers de contribuables et d’entreprises sont visés par une enquête. De l’Irlande à la Mongolie en passant par le Panama, les assemblées législatives ont fait voter à la hâte des lois pour combler les failles pointées du doigt par les médias partenaires de l’ICIJ. Les Etats affirment avoir déjà récupéré plusieurs dizaines de millions de dollars d’impôts sur des fonds auparavant non déclarés.

Aux quatre coins du globe, des policiers ont perquisitionné des entrepôts, des bureaux et des résidences. Des dirigeants de trois pays ont démissionné, dont un premier ministre et un ministre de l’énergie et de l’industrie. Des cadres d’entreprises et des avocats sont derrière les barreaux en attendant un procès au pénal en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Au Salvador, où les autorités ont fait une descente au siège de Mossack Fonseca, aucune procédure pénale n’a été engagée, mais l’enquête se poursuit.

Les réponses n’ont cessé de se succéder depuis la première vague de réactions en avril. Les « Panama papers » produisent leur lot presque quotidien de mesures réglementaires ou législatives, d’articles et d’appels lancés par les responsables politiques et la société civile pour que les enquêtes et les initiatives se multiplient.

En mai, les départements du Trésor et de la justice américains ont proposé une série de nouvelles lois et règles visant à aider les forces de l’ordre et les autorités financières à débusquer l’argent sale à l’intérieur et en dehors des Etats-Unis.

Des liens probables avec le terrorisme islamiste

En octobre, Ron Wyden, sénateur démocrate de l’Oregon et membre du comité des finances du Sénat des Etats-Unis, a adressé un courrier au département du Trésor et à l’Internal Revenue Service (chargé de collecter les impôts) pour demander des informations sur les éventuels éléments qu’ils avaient rassemblés à partir de la base de données des « Panama papers » et qui avaient été rendus publics par l’ICIJ et ses partenaires.

« Les informations parues dans les médias à la suite de la publication des “Panama papers” ont mis en avant les opérations opaques des sociétés-écrans anonymes à travers le monde », a-t-il écrit, et il s’est dit préoccupé par le recours aux sociétés extraterritoriales « comme instruments d’évasion fiscale ou de blanchiment d’argent ».

En novembre, Europol, l’office de coopération policière européen, a révélé avoir trouvé 3 469 concordances probables entre la base de données des « Panama papers » et les informations de ses propres fichiers concernant le crime organisé, la fraude fiscale et d’autres formes de criminalité. Sur ces concordances, 116 étaient liées au projet d’Europol relatif au terrorisme islamiste, baptisé « Hydra ».

« Le point principal ici est que nous pouvons relier des entreprises liées aux Panama papers non seulement à des infractions économiques, comme le blanchiment d’argent, mais aussi au terrorisme, aux groupes russes de criminalité organisée, au trafic de stupéfiants, à la traite d’êtres humains, à l’immigration illégale et à la cybercriminalité », a souligné le chef du renseignement financier d’Europol, Simon Riondet.

Deux chefs d’Etat ou de gouvernement demeurent pris dans des scandales publics et des enquêtes en cours à la suite des révélations des « Panama papers ».

En Argentine, un procureur fédéral étudie actuellement le rôle joué par le président Mauricio Macri dans une société des Bahamas qu’il n’avait pas mentionnée dans ses déclarations de patrimoine publiées lorsqu’il était maire de Buenos Aires.

Au Pakistan, la Cour suprême examine un recours déposé par des membres de l’opposition contre le premier ministre, Nawaz Sharif, dont les enfants détenaient des biens immobiliers à Londres par le biais de sociétés créées par Mossack Fonseca, d’après les documents des « Panama papers ». L’opposition l’accuse de ne pas avoir divulgué les opérations extraterritoriales de sa famille et d’avoir blanchi de l’argent à l’étranger pour payer les biens immobiliers. Monsieur Sharif et ses proches affirment n’avoir rien à se reprocher.

« Les Panama papers ont sans aucun doute secoué le monde de la transparence, a indiqué Porter McConnell, directeur de la Financial Transparency Coalition, basée à Washington. L’ampleur inouïe de l’enquête, associée au nombre de personnalités concernées, a contribué à maintenir le sujet des sociétés cachées à l’ordre du jour. Aucun Etat ne veut être le prochain Panama. »

135 milliards partis en fumée

Au cours des huit derniers mois, les gouvernements ont déclaré avoir recouvré ou saisi plusieurs dizaines de millions de dollars d’arriérés d’impôts et d’autres sommes en s’appuyant sur les « Panama papers » : plus de 80 millions en Colombie, 1 million en Slovénie et même 170 kg d’argent en lingots en Australie. Des milliards de dollars supplémentaires potentiellement détournés dans le cadre de l’évasion fiscale restent à retrouver.

Des marques très connues ont également subi les répercussions des révélations des « Panama papers ». D’après les conclusions d’un groupe d’universitaires, celles-ci ont fait disparaître 135 milliards de dollars de la capitalisation boursière de quelque 400 sociétés cotées. « L’impact est énorme », a estimé Hannes Wagner, professeur de finance à l’université Bocconi de Milan et coauteur de l’étude.

Selon lui, les retombées financières des « Panama papers » pour les entreprises représentent la plus grande perte de l’histoire faisant suite à des fuites de données ou des scandales, devant les pertes combinées de capitalisation boursière liées aux affaires Enron et Volkswagen.

Les entreprises citées dans les « Panama papers » ont subi des pertes plus lourdes après la publication de l’enquête que celles sans lien avec le dossier. Si l’étude ne donne pas de nom, un examen par l’ICIJ des mouvements du cours de sociétés cotées sélectionnées au hasard ayant des liens avec les « Panama papers » révèle toutefois que le géant suisse des matières premières Glencore et la banque britannique HSBC Holdings Plc ont vu leur action chuter à la suite de la publication des articles et de la base de données. Glencore International AG apparaît parmi les clients de Mossack Fonseca, et des filiales de HSBC faisaient partie des banques ayant le plus demandé de sociétés extraterritoriales pour le compte de clients auprès du cabinet d’avocats.

D’après les universitaires, la perte de valeur indique que les investisseurs pensent que les entreprises auront plus de mal à éviter les impôts à l’avenir ou risquent de se voir infliger des amendes pour évasion fiscale.

A l’issue d’un audit interne motivé par les « Panama papers », la banque Nordea, premier organisme de prêt de Scandinavie, a admis avoir dans de nombreux cas « clairement manqué » à ses propres principes visant à identifier les clients à risque et les infractions potentielles telles que le blanchiment d’argent. Cette banque a bloqué 68 comptes suspects mais n’aurait trouvé aucun élément montrant qu’elle avait contribué activement à l’évasion fiscale.

Des enquêtes et de nouvelles législations

Des micro-Etats tels que les îles Cook, dont la population est plus petite que celle de la ville de Dinan (Côtes-d’Armor), à l’Inde, deuxième pays le plus peuplé du monde, les autorités répondent énergiquement aux « Panama papers ».

  • Etats-Unis

La justice américaine n’a pas tardé à ouvrir des informations judiciaires liées au scandale. The Wall Street Journal a fait savoir que les procureurs des Etats-Unis cherchaient à déterminer si des salariés de Mossack Fonseca avaient « sciemment aidé des clients à blanchir de l’argent ou à éviter des impôts ». Des sources proches de l’enquête ont précisé au quotidien américain que les magistrats envisageaient notamment des poursuites pénales pour association de malfaiteurs en vue de blanchir de l’argent, de contourner les impôts ou de dissimuler des pots-de-vin versés à des dirigeants étrangers.

Mossack Fonseca nie tout acte répréhensible et dit n’avoir « jamais été accusé ni inculpé de faits passibles de sanctions pénales ».

Le secrétaire du Trésor des Etats-Unis, Jacob Lew, a écrit au Congrès en mai en soulignant : « Nous devons veiller à ce que les Etats-Unis puissent être à la hauteur du rôle qu’ils ont à jouer » dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’échelle mondiale. Parmi les nouvelles règles annoncées par son ministère, une disposition renforcerait l’obligation incombant aux banques, aux courtiers en Bourse et à d’autres professionnels de vérifier l’identité des titulaires de comptes.

  • Taïwan

L’assemblée législative de Taïwan s’est servie des « Panama papers » pour adopter de nouvelles dispositions relatives à l’évasion fiscale. En juillet, elle a mis en place des restrictions concernant les avantages accordés aux entreprises taïwanaises qui gardent des bénéfices à l’étranger.

  • Nouvelle-Zélande

Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a diligenté une enquête sur les règles du pays relatives aux trusts étrangers après avoir appris que la réputation irréprochable de celui-ci était utilisée comme couverture pour vendre des instruments d’évasion fiscale. En juillet, le gouvernement a accepté les recommandations de la commission d’enquête et annoncé une nouvelle législation.

  • Mongolie

En octobre, à la suite des révélations des « Panama papers » indiquant que d’anciens et actuels représentants de l’Etat détenaient des sociétés extraterritoriales, le Parlement de Mongolie a discuté un projet de loi visant à rendre passibles de poursuites pénales les responsables politiques et les fonctionnaires qui ne déclarent pas leurs intérêts financiers à l’étranger.

« Le sujet que vous avez lancé a fixé l’ordre du jour des pouvoirs publics et est en train de devenir officiellement une loi. Félicitations ! », a tweeté Enkhbayar Battumur, vice-ministre de la justice du pays, à Mongol TV, l’un des médias partenaires des « Panama papers », après une réunion du conseil des ministres consacrée au projet de loi.

  • Panama

Le même mois, le Parlement du Panama a adopté des lois pour durcir les obligations comptables des sociétés extraterritoriales et autoriser le pays à partager des informations fiscales avec d’autres Etats — une victoire pour les gouvernements étrangers qui demandaient depuis des années à cette nation d’Amérique centrale de communiquer les avoirs extraterritoriaux de leurs citoyens.

  • Liban

Le Liban, autre centre financier extraterritorial, a aussi adopté des dispositions en octobre pour faciliter l’échange de données fiscales avec d’autres pays, afin d’éviter son inscription sur une liste noire internationale dans le monde post-« Panama papers ».

  • Irlande

En octobre, le ministre des finances irlandais a cité les « Panama papers » en proposant un nouveau projet de loi pénale pour lutter contre l’évasion fiscale.

  • Allemagne

En novembre, son homologue allemand a présenté un projet de loi — surnommé « loi Panama » — qui durcirait les sanctions contre l’évasion fiscale et imposerait la déclaration des relations d’affaires de citoyens allemands avec des sociétés-écrans.

Des milliers de contribuables visés par des enquêtes

Les autorités de nombreux pays prennent en outre des mesures directes contre les contribuables soupçonnés de posséder des entités extraterritoriales pour réduire leurs impôts.

Plus de 6 500 particuliers et entreprises seraient visés par une enquête, selon l’ICIJ et de nombreux médias partenaires qui ont rassemblé les réponses d’organismes publics et les déclarations officielles. En France, Bercy a ainsi indiqué qu’il procédait à des vérifications sur 560 contribuables.

Démissions et impassibilité

Les hauts responsables mis en cause ont eu des réactions variées en apprenant qu’ils étaient cités dans les « Panama papers » pour leurs propres avoirs extraterritoriaux ou des avoirs liés à leurs proches et associés. Le porte-parole de Vladimir Poutine a écarté les révélations faisant état de manœuvres financières extraterritoriales employées par des personnes et des entreprises proches du président russe, en les qualifiant d’« attaque aux fausses informations » contre la Russie.

Le premier ministre islandais, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, a eu la malchance de voir sa première réaction filmée par une équipe de télévision. « Je commence à me sentir un peu mal à l’aise avec ces questions car c’est comme si vous m’accusiez de quelque chose », a-t-il déclaré avant d’interrompre l’interview. La vidéo de sa réponse maladroite aux questions concernant une société extraterritoriale que lui et son épouse avaient détenue a été repassée des millions de fois à travers le monde. En moins de quarante-huit heures, les foules en colère et la pression politique l’ont forcé à la démission.

Entretien : le premier ministre islandais confus sur ses liens avec une société offshore
Durée : 03:05

José Manuel Soria, le ministre espagnol de l’industrie, de l’énergie et du tourisme, a tenu cinq jours avant de quitter son poste à son tour. Il a d’abord nié tout lien avec des activités extraterritoriales, mais a finalement reconnu le rôle de sa famille dans une société établie au Royaume-Uni. En démissionnant, il a assuré n’avoir rien à se reprocher et mentionné « une succession d’erreurs » dans sa réponse à l’affaire.

Mihran Poghosyan, haut responsable arménien chargé de la justice et de l’application des lois, a démissionné après avoir rejeté dans un premier temps les révélations selon lesquelles il détenait des parts de trois sociétés créées par Mossack Fonseca. Une enquête pénale est en cours.

Le directeur d’une banque publique autrichienne, Hypo Landesbank Vorarlberg, a démissionné après que celle-ci a été citée dans le scandale. Aux Pays-Bas, un membre du conseil de surveillance de la troisième banque du pays, ABN Amro, a quitté ses fonctions lorsque des journalistes néerlandais ont révélé ses liens avec une société extraterritoriale dans les îles Vierges britanniques.

Juan Pedro Damiani, avocat uruguayen et membre du comité d’éthique de la FIFA, a démissionné de cette fonction à la suite d’informations indiquant qu’il avait des relations d’affaires avec trois hommes mis en accusation dans le scandale de corruption de l’instance mondiale du football.

Mossack Fonseca dans la tourmente

Le siège du cabinet Mossack Fonseca à Panama City, le 4 avril. | RODRIGO ARANGUA / AFP

Le 5 octobre, Ramón Fonseca, l’un des fondateurs du cabinet d’avocats au centre de l’affaire des « Panama papers », s’est rendu chez Momi, une boulangerie de la ville de Panama réputée pour ses empanadas et ses cupcakes. Le juriste, également romancier primé et ancien conseiller du président panaméen Juan Carlos Varela, voulait marquer une occasion spéciale.

« Acheté un gâteau pour célébrer 6 mois écoulés depuis le piratage de mon cabinet sans qu’aucune procédure au monde ait été lancée contre nous », a-t-il écrit sur Twitter.

Malgré sa bonne humeur ce jour-là, Mossack Fonseca n’est pas ressorti indemne de la surveillance de ses clients et de ses pratiques.

Les autorités du Panama ont défendu leur pays en détournant l’attention sur ce cabinet, en disant aux journalistes que les « Panama papers » ne concernaient pas le Panama, mais Mossack Fonseca. En octobre, s’exprimant à Munich devant des journalistes du quotidien Süddeutsche Zeitung, le président panaméen, Juan Carlos Varela, a déclaré que Fonseca, son ancien conseiller, devrait « assumer la responsabilité de ses actions et, à terme, faire face au juge ».

Le président panaméen Juan Carlos Varela s’exprime au palais Bolivar de Panama City après les Panama Papers, le 6 avril. | RODRIGO ARANGUA / AFP

Les autorités bancaires et financières du Panama procèdent à des vérifications et la ministre de la justice, Kenia Porcell, tente d’établir si Mossack Fonseca a favorisé ou encouragé des activités illicites. Ses services ont perquisitionné le siège du cabinet à deux reprises en avril, en emportant une fois des sacs-poubelles remplis de papier déchiqueté.

En septembre, un juge panaméen a rejeté les allégations de Mossack Fonseca affirmant que les descentes dirigées par le procureur spécial chargé de la criminalité organisée, Javier Caraballo, étaient illégales.

Selon le ministère de la justice, les autorités ont effectué seize visites et adressé plus de 500 demandes à des établissements financiers et des cabinets d’avocats dans le cadre de son enquête.

Le Panama a envoyé quinze demandes de renseignements et de coopération judiciaire relatives aux « Panama papers » à onze pays, parmi lesquels le Mexique, la Colombie et les Bahamas. Des responsables panaméens ont rencontré des procureurs et des diplomates de neuf pays depuis avril pour contribuer aux investigations, dont plusieurs représentants des Etats-Unis en septembre.

Neuf bureaux fermés

Au fur et à mesure que la pression s’est accentuée, les locaux de Mossack Fonseca à travers le monde ont aussi été pris dans la tourmente. Neuf bureaux de Mossack Fonseca, dans les territoires britanniques de Jersey, de l’île de Man et de Gibraltar, au Pérou, à São Paolo (Brésil), aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, à Lugano (Suisse) et dans le Nevada (Etats-Unis), ont fermé selon les informations parues dans les médias et les registres des sociétés.

Dans le Nevada, les autorités ont condamné le cabinet Mossack Fonseca de Las Vegas à 10 000 dollars d’amende pour manquement à ses obligations administratives. Dans le Wyoming, elles ont infligé à celui de Cheyenne une amende de 9 600 dollars, en l’accusant d’avoir fait preuve d’un « mépris flagrant à l’égard de la loi » et de n’avoir « absolument pas respecté » son obligation de prendre note des personnes derrière les entreprises immatriculées dans l’Etat qu’il représentait.

Les autorités des îles Vierges britanniques ont condamné Mossack Fonseca à une amende de 31 500 dollars en avril et à une autre de 440 000 dollars en novembre pour quatorze violations qui ont pris en défaut les faibles contrôles mis en place pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. C’est la plus grosse amende jamais imposée dans le pays à un cabinet d’avocats.

Des arrestations du Venezuela à Israël

Une ancienne représentante de Mossack Fonseca, l’avocate vénézuélienne Jeannette Almeida, est actuellement détenue dans une prison militaire à Caracas, la capitale, dans l’attente de son procès pour des infractions à la législation bancaire.

Ses proches affirment qu’elle est un bouc émissaire. Ils ont déclaré au site d’information vénézuélien La Patilla qu’elle n’était que l’avocate qui a créé des sociétés extraterritoriales pour le compte de clients, et non la propriétaire de ces sociétés. L’avocat de sa famille a déploré dans une interview qu’elle soit derrière les barreaux tandis que « les véritables personnes liées à l’affaire » sont restées impunies.

La police vénézuélienne a également arrêté la mère et le frère d’Adrián Velásquez, un ancien garde du corps de l’ex-président Hugo Chavez. Velásquez est devenu directeur d’une société extraterritoriale créée par Mossack Fonseca quatre jours après l’élection de l’actuel président, Nicolás Maduro.

Le ministère public du Venezuela a annoncé que les autorités avaient appréhendé les proches de Velásquez dans un aéroport et avaient saisi des voitures, des motos et des boîtes à bijoux vides. Velásquez et sa femme, ancienne dirigeante du Trésor public et infirmière qui s’est occupée de Chavez atteint d’un cancer avant sa mort, en mars 2013, vivent en République dominicaine. Sa mère et son frère ont depuis été libérés.

En Uruguay, les autorités ont arrêté onze personnes en avril après la découverte des liens entre deux sociétés créées par Mossack Fonseca et le frère de l’un des narcotrafiquants les plus riches du Mexique. En Israël, les premières arrestations ont visé deux cadres dirigeants de sociétés suspectés d’avoir dissimulé des centaines de milliers de dollars dans des sociétés extraterritoriales.

En novembre, une agence britannique de lutte contre la criminalité a arrêté trois salariés de grandes banques dans le cadre de ce que les médias locaux ont qualifié de plus retentissante affaire de délit d’initié qu’ait connue le pays. Les autorités n’ont pas réagi à ces informations, même si les arrestations ont eu lieu quelques jours après que le gouvernement a révélé que les « Panama papers » étaient utilisés pour enquêter sur une « vaste opération de délit d’initié ».

« Il faut y aller maintenant »

Deux jours après la publication des premiers articles sur les « Panama papers », l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), organe intergouvernemental qui mène le combat mondial contre l’évasion fiscale, a convoqué une réunion d’urgence à Paris.

Mark Konza, vice-commissaire aux impôts de l’Australie, a présidé cette réunion rassemblant de hauts responsables des administrations fiscales de trente-cinq pays. Lorsque le scandale a éclaté, il explique que son patron lui a simplement dit : « Mark, il faut y aller maintenant. » « Le lendemain soir, j’ai pris un avion à destination de Paris pour 24 heures et en descendant j’ai presque été directement dans la salle de conférences », raconte-t-il. Quatre-vingts personnes occupaient la salle, qui était pleine à craquer. L’un après l’autre, les représentants ont exposé ce qu’ils savaient ou ne savaient pas au sujet des « Panama papers ».

« La principale impression que j’ai eue était que tous les participants étaient soumis à la pression du monde politique pour qu’ils fassent quelque chose et rassurent la population sur le fait que ces questions seraient traitées », se souvient-il.

Depuis, de nombreux gouvernements dans le monde ont pris des mesures.

Le Parlement européen a ainsi accepté en juin de mettre en place une commission composée de 65 membres chargée d’enquêter sur le blanchiment de capitaux, l’évasion fiscale et la fraude fiscale. « Les révélations des Panama papers ont montré qu’il était trop facile de se cacher derrière ces structures complexes », a souligné le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, en proposant une liste noire européenne des paradis fiscaux, qui sera publiée en 2017.

Au même moment, le Royaume-Uni a tenu la promesse qu’il avait faite en 2013 de créer un registre public des propriétaires d’entreprises. Lors d’un sommet mondial contre la corruption organisé le mois précédent à Londres, au cours duquel le sujet des « Panama papers » était sur toutes les lèvres, le Nigeria, le Ghana, le Kenya et l’Afghanistan se sont engagés à en faire autant et à rejoindre une liste de plus en plus longue, d’après un compte rendu de la Financial Transparency Coalition.

« Une certaine volonté d’agir »

Si les « Panama papers » continuent d’avoir des répercussions, les gouvernements et la société civile préviennent qu’une longue bataille sera nécessaire pour aboutir à des changements durables.

Certains gouvernements n’envisagent pas la moindre réforme. Ainsi, sept des dix pays dont les anciens ou actuels chefs d’Etat sont nommés dans les « Panama papers » ont gardé le silence ou refusent d’ouvrir des enquêtes, comme l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Ukraine, dont le Parlement a rejeté une proposition visant à mettre en place une commission d’enquête.

« Certains gouvernements ont pris des engagements bienvenus en faveur de la transparence, tandis que d’autres en font fi, constate Porter McConnell, de la Financial Transparency Coalition. Tant que les mesures de transparence financière élémentaires ne seront pas devenues la norme mondiale, je crains que nous ne restions dans un cycle perpétuel d’élaboration des politiques en fonction des fuites d’informations. »

Cependant, la société civile espère que la pression du public, motivée par les « Panama papers », forcera les Etats à se battre pour obtenir une solution mondiale aux problèmes que pose l’opacité des opérations extraterritoriales.

« Pendant des décennies, tout le monde était au courant de l’existence des paradis fiscaux et nos élus le toléraient », a rappelé Alfred de Zayas, un expert indépendant travaillant pour le compte de l’ONU, qui a récemment publié un rapport sur les conséquences de l’évasion fiscale et du secret bancaire pour les droits de l’homme. Aujourd’hui, à la suite du scandale des « Panama papers », les gouvernements et les organisations internationales prennent le sujet plus au sérieux, estime-t-il.

« Je suis optimiste, a-t-il poursuivi. Pour la première fois, j’ai vraiment le sentiment qu’il y a une volonté certaine d’agir. »

Article du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), traduit de l’anglais par Virginie Bordeaux. Ont contribué à cet article : Jimmy Alvarado, Kristof Clerix, Lkhagva Erdene, Michael Hudson, Sol Lauria, Joseph Poliszuk et Ewald Scharfenberg.