Semences toxiques : un simple agriculteur paye pour Syngenta
Semences toxiques : un simple agriculteur paye pour Syngenta
Par Martine Valo
Au cœur d’une affaire d’épandage de semences enrobées de pesticides, le géant suisse de l’agrochimie échappe à une sanction du tribunal correctionnel de Paris.
Au siège social du géant de l’agrochimie, à Bâle, en Suisse. | MICHAEL BUHOLZER / AFP
Le tribunal correctionnel de Paris a épargné Syngenta dans le jugement rendu mercredi 14 décembre. Le géant suisse de l’agrochimie n’est en rien inquiété dans l’affaire des semences périmées en partie enrobées d’insecticides neurotoxiques qui avaient été épandues en grandes quantités pendant quatre ans dans un champ du Lot-et-Garonne. L’agriculteur, Bernard Béteille, à qui la firme agrochimique avait confié cette tâche pour se débarrasser de son stock à bon prix, est le seul à répondre des faits devant la justice.
Le ministère public avait requis une amende de 10 000 euros avec sursis à son encontre. Les juges l’ont suivi, condamnant de surcroît M. Béteille à verser 1 000 euros à chacune des parties civiles, plus 500 euros de frais de justice.
Le groupe basé à Bâle avait dissous Syngenta Seeds Holding, dont elle était l’unique actionnaire, le 21 novembre 2011, cinq jours après avoir appris que celle-ci était renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris. Il était donc devenu impossible de juger cette filiale. La firme verra tout de même son nom associé à celui de M. Béteille dans une publication insérée dans Le Parisien. Car le tribunal a ordonné que cet épisode de dissolution opportune soit relaté dans le quotidien, faisant suite à une demande de l’association Que choisir.
« Une pratique scandaleuse de gestion du risque industriel »
Mais Syngenta échappe à toute autre sanction judiciaire. Bernard Fau, qui défend les apiculteurs parties prenantes dans cette affaire de pollution, a eu beau dénoncer « l’utilisation de filiales comme une pratique scandaleuse de gestion du risque industriel », rien n’y a fait. L’arrêté de la Cour de justice de l’Union européenne, sur lequel l’avocat appuyait son argumentation, n’a pas été retenu.
Voilà une nouvelle occasion manquée de placer un géant de l’agrochimie devant ses responsabilités, avait par avance et en substance reconnu la procureure, Aude Le Guilcher, lors des audiences du 18 et 19 octobre. « Il faut savoir admettre sa défaite. Le ministère public est allé aussi loin qu’il a pu pour faire reconnaître la fraude à la loi, avait-elle alors lancé à l’adresse des juges. Vous pourrez juste constater la disparition de sa filiale qui est extrêmement impliquée, une disparition tout de même troublante qui continue d’interpeller le ministère public. »
L’avocate de Syngenta, Sylvie Moreau Bloch, ne s’y était pas trompée et n’avait même pas assisté à ces audiences. Dans un communiqué en date du 19 octobre, Syngenta s’était néanmoins défendu, assurant que la disparition de sa filiale n’avait nullement pour but de « mettre un terme à une procédure pénale en cours en France », mais s’inscrivait dans le cadre d’une réorganisation du groupe. De toute façon, celle-ci n’aurait entraîné au pire qu’une amende de 300 000 euros, ce « qui n’aurait jamais justifié de telles manœuvres ».
Pourtant, le tribunal de grande instance de Paris avait demandé, dans un premier temps, au tribunal de commerce de Versailles de déclarer cette procédure frauduleuse. Celui-ci a effectivement annulé la dissolution en mars 2015, mais l’agrochimiste a par la suite gagné son procès en appel en janvier. C’est ainsi que pendant toute la procédure, il n’a été question que de lui, mais sans lui.
Plus de 900 tonnes de semences déclassées épandues
Avant qu’elle ne disparaisse, Syngenta Seeds Holding était sur la sellette pour ses contrats avec Bernard Béteille. Moyennant rétribution, l’exploitant a épandu, entre 1999 et 2002, pas moins de 922 tonnes de semences déclassées dans ses champs à Verteuil-d’Agenais. Cette façon de se débarrasser des invendus lui revenait moins cher que de les faire incinérer par une cimenterie.
Le véritable problème, c’est qu’une partie était enrobée de pesticides redoutables. En 2002, une plainte avait été déposée par des apiculteurs locaux, à laquelle se sont joints l’Union nationale de l’apiculture française, Que choisir et France nature environnement. Suite à l’enquête des services de l’Etat chargés de l’environnement, à plusieurs perquisitions menées par la gendarmerie et à des auditions chez des juges d’instruction successifs – soit quatorze années d’efforts conduisant tous aux mêmes conclusions –, il fut décidé de poursuivre Syngenta Seeds Holding pour avoir « fait déposer de façon irrégulière des déchets agrochimiques contenant des substances dangereuses ».
Après avoir minimisé les faits, Syngenta a reconnu que 10 % à 15 % des semences de maïs étaient imprégnées d’imidaclopride – un pesticide plus connu sous le nom de Gaucho –, et de fipronil, qui, lui, entre dans la composition du Régent, sans compter quelques fongicides. Les deux insecticides sont aujourd’hui partiellement ou totalement interdits.
Sur le banc des prévenus devant la 31e chambre correctionnelle, M. Béteille avait assuré ignorer la nature exacte de ce qu’il semait – malgré l’indication « Gaucho » imprimée sur certains sacs –, et qu’il s’en remettait à la firme agrochimique. Il a rapporté qu’avec ces « semis haute densité », selon l’appellation de Syngenta, il produisait de l’engrais « vert » sur ces mêmes parcelles, confiant que cette affaire lui a coûté plus que les 71 000 euros qu’elle lui a rapportés.
Son avocate, Dalia Moldovan, avait souligné à quel point il était injuste que l’agriculteur soit le seul condamné, alors qu’il était lui-même « victime de la confiance aveugle qu’il faisait à Syngenta, convaincu qu’un groupe de cette importance devait bien savoir ce qu’il faisait ».
Depuis les interventions des gendarmes dans son exploitation « M. Béteille vit avec la honte face au reste du village », a-t-elle rapporté. Au cours de l’instruction, ses récoltes d’une année ont été saisies. Les difficultés se sont alors accumulées, il a dû vendre dix hectares pour faire face, a connu des déboires familiaux, et, pour finir, le voilà seul à payer.