Alep : face à l’urgence, la mobilisation s’intensifie sur plusieurs fronts à Paris
Alep : face à l’urgence, la mobilisation s’intensifie sur plusieurs fronts à Paris
Par Marion Degeorges
Alors que Bachar Al-Assad a revendiqué, jeudi, la « libération » de la ville, le soutien aux habitants assiégés se poursuit.
Le mot est passé. Voilà onze jeudis que des citoyens lambda se réunissent place André Tardieu dans le VIIe arrondissement de Paris pour soutenir le peuple syrien. « Nous n’avons jamais été autant », se réjouit Marie-Christine Voynnet, chargée de demander l’autorisation de manifester auprès de la préfecture chaque semaine. Avant, « nous oscillions entre huit et quarante personnes ». Ce jeudi 15 décembre à 19 heures, la place est pleine, plus de 150 personnes sont rassemblées. « Pas de slogan ni de pancarte, juste des citoyens en empathie avec le peuple d’Alep », précise Mme Voynnet.
L’affluence de ce soir-là force le mouvement citoyen sans leader à repenser son organisation. D’ordinaire, le petit groupe quitte la place Tardieu pour rejoindre l’ambassade syrienne de la rue Vaneau et y déposer des bougies en silence.
Depuis trois jeudis, la police est présente. Mais pour la première fois, elle arrête les manifestants au sortir de la place. Le but : former des groupes de trente personnes qui rejoindront tour à tour la représentation diplomatique. « La préfecture est à cran à cause de l’autre manifestation, celle des pro-Assad, tout près, avenue de Tourville. Elle ne veut pas que l’on se croise », explique Marie-Christine Voynnet. Cela fait deux semaines que des militants favorables au régime se réunissent aux abords du Centre culturel arabe syrien, « par provocation », suppose-t-elle.
La police laissait passer les manifestants par groupe de 30 pour se rendre à l’ambassade syrienne, le 15 décembre, à Paris. | Degeorges/Le Monde
Cette organisation au compte-gouttes suscite des critiques dans l’assistance. Mais pour Mme Voynnet, elle est indispensable : « Si nous ne la respectons pas, nous n’aurons pas d’autorisation jeudi prochain ». Devant les mécontents, l’officier en civil qui régule les départs vers la rue Vaneau lâche, souriant : « Ce n’est pas facile de s’auto-organiser. »
A la tête de l’un des groupes, Margaux, 22 ans, est un peu nerveuse. La jeune étudiante en BTS vient depuis huit jeudis déjà. D’abord « par empathie » ; ensuite parce qu’elle a été séduite par le côté « pacifiste et silencieux » du rassemblement.
Devant l’ambassade, 600 mètres plus loin, Hervé Denize, le mari de Marie-Christine Voynnet, veille à ce que les manifestants ne bloquent pas la circulation. Là, 22 rue Vaneau, les groupes qui se succèdent déposent des bougies et se recueillent en silence avant de se disperser. « Il n’y a personne dans l’ambassade. Mais de temps en temps, un bras sort pour enlever les bougies ! », plaisante M. Denize.
Les bougies et pancartes déposées devant l’ambassade de Syrie, à Paris, le 15 décembre. | Degeorges/Le Monde
Une bougie qui dépasse justement de la poche, Benjamin, photographe, est là pour la première fois. « D’habitude je ne fais pas ça – manifester – je ne me déplace pas. » Comme lui, pour beaucoup ce soir est une première. Julia, étudiante en littérature, est venue parce que la veille, un cours appelé « Récit de filiation » l’a fait réagir. La jeune femme, dont la joue gauche est ornée d’un « Alep » écrit en arabe, explique :
« Nous avons parlé des génocides, et je me suis demandée ce que je raconterai, moi, aux générations futures quand elles me demanderont ce que j’ai fait par rapport à Alep, ce que j’en ai pensé. »
Nadia aussi est venue en pensant aux plus jeunes, mais surtout à ceux de la ville martyre syrienne. Cette auxiliaire parentale de 39 ans évoque, les larmes aux yeux, les morts quotidiens et les images « très violentes » que diffuse Al Jazeera.
Un groupe de manifestants devant l’ambassade de Syrie, à Paris, le 15 décembre. | Degeorges/Le Monde
Plus d’une heure et demie après le début de la manifestation, place Tardieu, un dernier groupe attendait toujours de rejoindre la rue Vaneau. Au même moment à l’ambassade, deux hommes déchiraient le drapeau syrien sous les applaudissements de la foule, brisant ainsi le silence du rassemblement pacifiste.
Amnesty International s’organise en ligne
Après une mobilisation réussite place Stravinsky dans le IVe arrondissement de Paris le soir du 14 décembre, Nina Walch, coordinatrice Crise et réactivité à Amnesty International France, reste émue. « Un peu plus de 1 000 personnes sont venues, j’étais très contente, parce que ça faisait cinq ans et demi que l’on essayait d’en rassembler autant ». Malgré ce succès, l’ONG n’envisage pas d’autre manifestation pour l’instant :
« Je ne pense pas que l’on peut mobiliser les gens chaque semaine, c’est difficile à suivre pour eux, ils ont une vie, un métier, ce ne sont pas des militants. De temps en temps c’est bien. Mais ce n’est pas toujours la mobilisation citoyenne la réponse ».
La porte n’est cependant pas fermée, car « la situation peut changer du jour au lendemain », et l’organisation adapte ses actions « aux réalités du terrain ». A Alep, jeudi, la trêve a permis l’évacuation de près d’un millier de personnes. Et l’urgence, selon Mme Walch, est de faire pression « dès ce soir [15 décembre] » pour assurer la sécurité de ceux qui restent et ceux qui quittent la ville.
Pour cela, Amnesty a demandé aux citoyens d’inonder de messages les ministères russes, iraniens et syriens, ainsi que les comptes Twitter du ministre des affaires étrangères russe, de la présidence syrienne, et de l’ayatollah Khomeiny. Cette armée en ligne doit formuler trois demandes : garantir l’évacuation immédiate des civils, ouvrir une voie d’accès humanitaire sans entraves, et autoriser le déploiement immédiat d’observateurs de l’ONU. « Pour cette urgence-là, on ne peut pas faire une pétition, en collecter les signatures, et l’envoyer dans un mois », explique la coordinatrice.
Un convoi humanitaire quitte Paris
L’un des deux camions partis de Paris qui rejoindra le « People’s Convoy » européen. | Degeorges/Le Monde
Dans l’après-midi de jeudi, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, un camion aux couleurs de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) attendait pour prendre son départ. A son bord, du matériel et des équipements médicaux à destination du nord de la Syrie, d’où ils seront dispatchés dans cinq hôpitaux.
« Nous venons d’avoir l’information que le premier blessé ayant pu quitter Alep depuis le cessez-le-feu a été pris en charge », annonçait à 15 heures, à la tribune, le docteur Ziad Alissa, président de l’UOSSM France. « Sachez que Paris et moi-même serons toujours à vos côtés », lui a répondu la maire de la capitale, Anne Hidalgo.
Sous un soleil d’hiver radieux et face à une petite centaine de personnes, de nombreuses personnalités ont pris la parole. Toutes ont souligné l’urgence d’acheminer du matériel médical pour soigner les blessés de la ville. « La seule chose que j’espère, c’est que ce convoi arrive », a dit au micro la journaliste Aïda Touihri. Son inquiétude est partagée par le photographe de guerre originaire d’Alep, Zakaria Abdelkafi. A la tribune, il dénonce le fait que le régime de Bachar Al-Assad a empêché jusque-là l’acheminement de l’aide humanitaire. « Mon frère a été arrêté et il est toujours détenu parce qu’il a tenté de transporter du matériel médical », témoigne-t-il.
Le convoi composé de deux camions partira de Paris durant le week-end. Il en rejoindra un autre baptisé « People’s Convoy » auquel plusieurs pays européens participent. Il s’agit là du 14e convoi médical de l’UOSSM France depuis 2011. « Et ça ne sera pas le dernier », assure le docteur Chadi Homedan, coordinateur du People’s Convoy pour la France.
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