Financement libyen : ce que Ziad Takieddine a dit aux juges
Financement libyen : ce que Ziad Takieddine a dit aux juges
Par Simon Piel
Devant les magistrats du pôle financier, l’intermédiaire a réaffirmé avoir donné des valises d’argent liquide en provenance de Libye à MM. Guéant et Sarkozy.
Ziad Takieddine à Paris le 7 décembre. | JACQUES DEMARTHON / AFP
Il est dix heures ce 7 décembre quand l’homme d’affaires Ziad Takieddine, 65 ans, se présente dans le bureau du juge financier, Serge Tournaire. Trois semaines avant, il s’est confié à un journaliste de Premières Lignes et au site Médiapart assurant qu’il avait remis de l’argent liquide en provenance de Libye à Claude Guéant puis Nicolas Sarkozy à la fin de l’année 2006 et au début de 2007.
Des déclarations crédibles, mais sans preuve, qui ont secoué la campagne des primaires à droite et qui lui valent aujourd’hui d’être mis en examen pour « complicité de corruption et de trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique » et « complicité de détournement de fonds publics libyens ».
L’entretien avec le magistrat aura duré trois heures. Le temps pour Ziad Takieddine de revenir sur son histoire des relations franco-libyennes et de confirmer avec moins de détails sur les dates et les montants, ses déclarations à la presse. Aucune surprise donc, mais tout est cette fois consigné sur procès-verbal.
L’attentat du DC10 d’UTA
M. Takieddine a d’abord assuré avoir œuvré au réchauffement des rapports entre les deux pays transmettant à la France l’intérêt de la Libye sur divers sujets – les accords de la Méditerranée, la surveillance des frontières maritimes, l’immigration illégale, la technologie liée à la désalinisation de l’eau ou encore l’échange de renseignement sur le Sahel. Nous sommes en 2005.
Toujours selon M. Takieddine, M. Guéant se montre intéressé. Un an plus tard, à l’issue d’une rencontre officielle entre le colonel Kadhafi et Nicolas Sarkozy, alors que celui-ci est toujours ministre de l’intérieur, le patron des services de renseignements libyens, Abdallah Senoussi, demande à l’homme d’affaires combien coûte une campagne présidentielle en France. « Peut-être une vingtaine de millions », lui aurait répondu Takieddine. Le soir même, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Abdallah Senoussi et Ziad Takieddine se retrouve dans l’hôtel de celui qui n’est encore que ministre.
« A ce moment-là, a expliqué le Libanais aux magistrats, Senoussi a parlé de sa condamnation en France dans l’affaire du DC10 d’UTA [attentat organisé par Tripoli qui a coûté la vie aux 170 passagers et membres d’équipages du vol UT-772 reliant Brazzaville à Paris, en 1989]. Nicolas Sarkozy a indiqué qu’une fois président, il s’engageait à l’amnistier ».
« J’ajoute, dit-il, que Claude Guéant a dit lors d’une réunion avec Saïf Al-Islam Kadhafi [l’un des fils du colonel] à mon domicile, qu’il avait entamé des démarches auprès de magistrats pour s’assurer de la levée du mandat d’arrêt contre Senoussi. » Selon M. Takieddine, le pacte de corruption est scellé.
Cinq millions d’euros versés
Puis, celui-ci en vient sans même que les magistrats ne le relancent sur la partie la plus explosive des déclarations qu’il a faites publiquement.
« Un jour, à l’occasion d’un de mes séjours en Libye, Senoussi m’a expliqué que la Libye devait régler des frais de formation et m’a demandé d’amener de l’argent au ministère de l’intérieur français. Je me suis présenté un peu après et c’est son frère, Homayda, qui m’a remis une valise remplie de billets de banque. A mon retour, j’ai appelé Claude Guéant en lui indiquant que j’avais quelque chose à lui remettre de la part de Senoussi. Je me suis présenté, j’ai été accompagné dans les locaux de Claude Guéant et je lui ai remis la valise. Quelques jours après, il y a eu une seconde remise de billets que j’ai également apportée à Claude Guéant. En janvier 2007, j’ai à nouveau ramené une mallette de billets, cette fois directement à Nicolas Sarkozy. »
Les propos de M. Takieddine viennent confirmer ceux tenus le 20 septembre 2012 par Abdallah Senoussi, devant le procureur général du Conseil national de transition. L’ancien maître espion de Kadhafi, éreinté par une cavale dans les sables du désert libyen, le Mali puis le Maroc et la Mauritanie où il a été arrêté et remis aux nouvelles autorités libyennes quinze jours plus tôt, avait expliqué lors de son audition :
« La somme de 5 millions d’euros a été versée pour la campagne du président français Nicolas Sarkozy en 2006-2007. J’ai personnellement supervisé le transfert de cette somme via un intermédiaire français, en la personne du directeur de cabinet du ministre de l’intérieur. Sarkozy était alors ministre de l’intérieur. Il y avait aussi un second intermédiaire, le nommé Takieddine. (…) Je confirme que cette somme a bien été réceptionnée par Sarkozy. »
Courant novembre, alors que Ziad Takieddine avait pour la première fois porté ces accusations publiquement, Nicolas Sarkozy avait « opposé un démenti formel ». Selon lui, « l’absence de crédibilité » de l’homme d’affaires « a été maintes fois démontrée et il a d’ailleurs déjà été condamné à plusieurs reprises, notamment pour diffamation ». Contraint à se retirer de la vie politique après son échec à la primaire de la droite et du centre, l’ancien chef de l’Etat aura toute fois sans doute à s’expliquer prochainement sur les soupçons qui s’accumulent aujourd’hui sur le financement de sa campagne en 2007.