En RDC, l’Histoire risque de se répéter.
En RDC, l’Histoire risque de se répéter.
L’épreuve de force avec le pouvoir pourrait se délocaliser en province et prendre la forme de rébellions locales.
Plus la République démocratique du Congo (RDC) s’approche de la date fatidique du 20 décembre 2016, qui marque la fin constitutionnelle du mandat de Joseph Kabila, plus l’inquiétude augmente. Beaucoup de Congolais, de pays voisins, d’ambassades et d’organisations internationales craignent une spirale de violence incontrôlée à Kinshasa et prennent déjà des mesures de précaution en éloignant leurs familles ou en mettant leur personnel en congé. Mais le risque d’explosion n’est pas forcément là où on l’attend.
Comme le mandat du président Kabila s’achève ce mardi et que la Constitution lui interdit de se représenter, le camp présidentiel a conclu un accord avec une fraction minoritaire de l’opposition pour organiser l’après 20 décembre. Toutefois cet accord paraît très fragile : signé par une minorité d’opposants seulement, il prolonge la présidence très impopulaire de Kabila et renvoie en avril 2018 les élections constitutionnellement prévues à la fin 2016. Pour la population de Kinshasa, comme pour la principale plate-forme d’opposition, le « Rassemblement des forces politiques et sociales de la RDC acquises au changement » conduit par Étienne Tshisekhedi, cet accord vise à permettre au président Kabila de gagner du temps pour inventer un artifice pseudo-juridique autorisant ce que la Constitution actuelle interdit : une nouvelle candidature du président sortant en 2018.
Dans ce climat pré-insurrectionnel où la possibilité de la fin violente du régime domine toutes les conversations, les évêques catholiques ont lancé une médiation de la dernière chance depuis le 8 décembre entre le Rassemblement et le camp présidentiel.
Cette médiation a peu de chance de réussir, le pouvoir anticipe d’ailleurs son échec comme l’indique le renforcement de la sécurité à Kinshasa.
Le scénario du maintien ad vitam aeternam d’un pouvoir sans projet pour le pays aboutit à une montée de tension entre une opposition qui a le soutien de la rue et un pouvoir prêt à l’épreuve de force. Jusqu’à présent, la confrontation entre le pouvoir et l’opposition dans la rue kinoise a tourné en faveur du pouvoir. Les violences du 19 septembre dernier ont démontré que ce dernier était prêt à une nouvelle répression similaire à celle de la Marche des Chrétiens en 1992.
Depuis les élections frauduleuses de 2011, le régime a assimilé le vade-mecum de la répression d’État : noyautage des cercles d’opposition, intimidations judiciaires, brouillage des médias internationaux, contrôle des réseaux sociaux, techniques antiémeute, professionnalisation sélective de certains services de sécurité, etc. Tout ce savoir-faire répressif a été acquis grâce à l’aide discrète de quelques régimes amis et d’officines privées grassement rémunérées. Du coup, l’espace de la contestation étant verrouillé à Kinshasa, l’épreuve de force pourrait se délocaliser en province et prendre la forme de rébellions locales.
Depuis un an environ, alors que l’attention internationale est fixée sur Kinshasa, les provinces des Kivu et des Kasaï connaissent des mouvements tectoniques invisibles.
Pendant les deux présidences de Joseph Kabila, l’Est congolais est resté une zone d’instabilité contenue. L’ONU y a massé 20 000 casques bleus sans parvenir à stabiliser la région. L’armée congolaise y est aussi présente en masse, tout comme les déplacés internes qui sont au nombre de 1,6 million dans l’Est. Les groupes armés, dont les combattants Maï-Maï constituent l’essentiel, sont environ 70. Depuis vingt ans, l’instabilité est devenue « structurelle », c’est-à-dire qu’elle est perpétuée par un système d’intérêts où se retrouvent le gouvernement, l’armée, les autorités locales et des hommes d’affaires congolais et étrangers. Jusqu’à présent, du fait de ce système d’intérêts, les conflits des Kivu sont restés des problèmes locaux, tout en ayant tendance à s’amplifier.
Les relations entre groupes ethniques se sont régulièrement et fortement dégradées dans les Kivu. Du nord au sud, une rébellion soi-disant islamiste (les Forces alliées démocratiques, ADF) commet des tueries presque chaque mois autour de la ville de Beni ; une guérilla interethnique entre communautés nande et hutu ensanglante le centre du Nord-Kivu ; et depuis décembre 2013, la province du Tanganyika est le théâtre d’affrontements récurrents entre Lubas et Pygmées. Bien que locaux, ces conflits sont très meurtriers.
Islamophobie et lutte pour la terre
Depuis 2014, les attaques des ADF ont fait environ 700 victimes dans la zone de Beni – les miliciens n’hésitant pas à massacrer femmes et enfants à la machette. Ces tueries mystérieuses provoquent des réactions d’autodéfense (c’est-à-dire la mobilisation de nouvelles milices locales) et un climat d’islamophobie inédit dans cette partie du monde. Dans le cadre de la guérilla interethnique au sud du territoire du Lubero, trente-quatre civils ont été tués le 27 novembre dans l’attaque d’un village hutu par une milice nande.
Depuis 2013, les affrontements entre Pygmées et Lubas ont fait environ 200 morts. Peuple des forêts, les Pygmées s’estiment traités comme des êtres inférieurs et voient leur mode de vie menacé par la déforestation, notamment du fait de l’extension des terres arables exploitées par les Lubas. L’arrière-plan des conflits interethniques est une lutte pour la terre qui s’intensifie dans un climat d’impunité.
Casques bleus visés
Par ailleurs au Nord-Kivu, en novembre dernier, un attentat inhabituel a ciblé les casques bleus à Goma. Un engin explosif de type IED a explosé au passage des soldats du contingent indien qui faisaient du jogging. L’explosion a provoqué la mort d’un enfant et fait plusieurs blessés : deux civils et 32 casques bleus, parmi lesquels cinq blessés graves. Au Congo, c’est la première fois que les casques bleus sont la cible d’une attaque aussi sophistiquée. Inhabituelle à la fois en termes de cible et de mode opératoire, cette attaque ressemble donc fort à un avertissement adressé à l’ONU.
Complètement oubliés depuis plusieurs décennies, les Kasaï, une région enclavée au centre du pays, viennent de rappeler violemment qu’ils sont un bastion de l’opposition. En août 2016, des milices locales ont affronté les forces de sécurité à Tshimbulu et Kananga, puis au début de décembre des affrontements ont de nouveau eu lieu à Tshikapa, une importante ville diamantifère. Une confrontation entre le pouvoir et l’opposition dans les Kasaï sera très brutale car cette région est très difficile d’accès et donc loin des yeux étrangers.
Le pouvoir y a dépêché des renforts en urgence, mais les scènes de guérilla dans des provinces d’opposition rappellent que la RDC est un pays continent de 2,3 millions de km2, et donc difficile à contrôler, même avec des troupes loyales.
En route vers la banqueroute
Ces rumeurs de rébellions interviennent sur fond de profonde crise économique et budgétaire. Le grand projet du régime (l’extension du barrage d’Inga) est remis en cause depuis que la Banque mondiale a annoncé son retrait pour des raisons de gouvernance. La baisse du prix des matières premières joue contre l’économie congolaise qui, depuis l’indépendance, est très dépendante du secteur minier. De nombreuses mines sont à l’arrêt au Katanga et l’impact se fait sentir sur le budget préparé pour 2017 : celui-ci est en baisse de 14 % et atteindra péniblement 5,2 milliards de dollars (5 milliards d’euros) pour un pays de 70 millions d’habitants.
Alors que le gouvernement peine à boucler les fins de mois, les services de sécurité anticipent des jours difficiles en intensifiant leur racket quotidien et les sociétés chinoises continuent leur safari minier en rachetant ce qui est à vendre. La dépression du secteur minier commence à peser sur les finances du régime, qu’elles soient légales ou illégales, comme à la fin du régime de Mobutu.
Alors que tous les regards sont tournés vers Kinshasa, les Kivu et les Kasaï pourraient fort bien s’enflammer en 2017. Une instrumentalisation réussie des innombrables conflits fonciers ou leur multiplication naturelle sur fond de crise économique peut transformer progressivement de petits incendies en un grand embrasement.
Le pays n’a jamais connu d’alternance politique pacifique depuis son indépendance. La RDC risque ainsi de répéter son histoire : celle de régimes qui parviennent à se maintenir par la force dans la capitale mais perdent le contrôle d’un territoire trop grand au profit de rébellions locales violentes qui finissent par créer une situation chaotique. En pariant sur la non-organisation des élections et le maintien au pouvoir par la force, le pouvoir actuel prend le risque de ramener la RDC de 2017 à la fin des années 1990, voire au début des années 1960.
Thierry Vircoulon, enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po-USPC
Ce texte a d’abord été publié sur le site de The conversation