La Ferme urbaine lyonnaise, sur le campus de LyonTech-la Doua, à Villeurbanne (Rhône), le 20 octobre. | JEFF PACHOUD / AFP

Pas de terre ni de soleil, pas de campagne ni de pesticides non plus : les salades et les poivrons de la Ferme urbaine lyonnaise (FUL) se développent en pleine ville, dans une atmosphère confinée et aseptisée. L’ancienne serre de 50 m2 qui les abrite est installée sur le campus de LyonTech-la Doua, à Villeurbanne (Rhône).

Dans une des deux pièces aux parois obscurcies, surmontée de puissantes rampes de LED, a lieu un drôle de ballet de plants de batavia, de choux rouges, de sauge, d’aneth, d’aubergines, de piments, de thym ou de basilic, tous alignés sur un tapis roulant qui les transporte sur trois étages.

Au niveau inférieur, des fraises des bois en fleur s’avancent vers la station d’arrosage. Pour elles, c’est la belle saison : la température ambiante est maintenue à 24 °C. L’eau dans laquelle trempent brièvement les godets est ensuite filtrée, traitée par une lampe UV et réutilisée. A l’arrière, de nouveaux végétaux plantés dans un substrat composé de fibres de coco se réveillent dans la pouponnière. Lorsqu’ils arboreront quatre ou cinq feuilles, un robot les déposera sur le tapis roulant et le cycle reprendra. Le système de climatisation, l’ordinateur qui mesure chaque paramètre, les réservoirs d’eau enrichie de sels minéraux occupent la moitié restante de la serre.

« C’est beaucoup de technologie réunie », dit Christophe Lachambre, directeur général de la FUL. Le prototype inauguré en octobre, qui ne fournit, pour l’instant, en produits frais que la trentaine de salariés, est inédit en France.

Inquiétude

Le président de la société, Philippe Audubert, n’est pas peu fier de ses premières récoltes.

« Les plantes n’ont pas besoin de développer de résistance aux intempéries et aux insectes, dit-il. Elles présentent 30 % de matière sèche en plus que la moyenne des mêmes variétés cultivées en pleine terre ! »

De la graine à la récolte, six semaines sont nécessaires pour obtenir une salade, contre dix ou onze, l’été, dans un champ et sept dans une serre.

Ce laboratoire à légumes et à plantes aromatiques ne fera pas rêver les passionnés de potagers : certains s’inquiètent de ces légumes qui n’ont jamais vu ni un rayon de soleil ni un insecte butineur. Mais ce modèle de culture hors-sol, en hydroponie, intéresse des partenaires publics (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, France Agrimer) et privés, comme le Groupe Roullier et le semencier Vilmorin, qui investissent dans son développement. Ce dispositif fait l’objet de recherches de la part d’étudiants de l’Institut national des sciences appliquées, devant lequel il est installé, ainsi que d’autres écoles d’ingénieurs et de l’Institut national de la recherche agronomique.

Course à l’innovation

Dans les pays développés, la course à l’innovation est lancée. Certains misent sur l’aéroponie (des vaporisateurs diffusent une brume de sels minéraux), d’autres développent des systèmes de « tables à marée » sur lesquelles l’eau va et vient. Le Japon construit de véritables usines à légumes, tandis que de grandes villes américaines installent des serres sur des toits d’immeubles. Les trois fondateurs de la FUL ne cachent pas s’être inspirés de ces idées émergentes, mais vantent leur propre concept, économe en eau, en surface au sol, original par son système de convoyage, suffisamment léger pour être installé dans une cave, dans une friche urbaine.

« Les plantes n’ont pas besoin de développer de résistance aux intempéries et aux insectes »

On peut y voir un moyen de nourrir les agglomérations de plus en plus peuplées, une façon de réduire les transports des lieux de culture à ceux de consommation et de compléter l’offre des campagnes, où les sols agricoles s’épuisent. A terme, la ferme urbaine pourrait s’adapter à des systèmes de récupération d’énergie. Pour l’heure, elle s’alimente grâce au réseau électrique classique. Elle revendique un ratio de 7 kilowattheures par kilo récolté, inférieur à celui des serres de dernière génération, mais davantage que l’agriculture conventionnelle.

Argumentation marketing au point

« Mais nous produisons dix fois plus de végétaux pour la même superficie, car ils poussent douze mois sur douze, sur plusieurs niveaux », assure Philippe Audubert.

Les plantes de la FUL ont droit à une aube et à un crépuscule réglés en fonction des tarifs de l’énergie.

L’argumentation marketing est, elle, déjà au point. Les précurseurs lyonnais promettent des légumes « plus proches, plus propres, plus frais, plus sains », que des associations d’insertion pourraient, un jour, se charger de faire distribuer à vélo. D’ici là, ce n’est pas leurs récoltes, mais bien leur outil de production qu’ils cherchent à vendre. Pour y parvenir, ils comptent se rapprocher de grosses coopératives agroalimentaires.

Un projet de 850 m2 pourrait prendre place en 2017, expliquent-ils. Pas forcément à Lyon. Quant aux cultures, ils réfléchissent à s’orienter vers des plantes de niche qui cibleraient les secteurs de la cosmétique, de la pharmacologie et de la chimie verte, d’un meilleur rendement qu’une modeste batavia. A moins, bien sûr, qu’un pays du Golfe ne soit prêt à s’offrir leur dispositif hors-sol pour faire pousser des salades dans le désert.