Documentaire sur France 5 à 20 h 50

En France, 20% des femmes sont harcelées sexuellement au travail. | Non affecté

Si la militante écologiste Elen Debost se montre pessimiste sur les suites qui seront données à l’affaire Denis Baupin, député et ex-vice-président de l’Assemblée nationale qu’elle a accusé, avec d’autres, d’agression et de harcèlement sexuels, la détonation médiatique qui a suivi a le mérite de libérer la parole de nombreuses femmes. Pour preuve, depuis mai, date de l’ouverture d’une enquête préliminaire, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a enregistré trois fois plus de dossiers qu’à l’accoutumée, ainsi que le souligne Olivier Pighetti dans un documentaire aussi éclairant qu’édifiant sur le harcèlement sexuel.

Un fléau dont on peine encore à mesurer l’ampleur. Sinon que, au-delà du lieu de travail, il touche quotidiennement les femmes dans la rue et les transports en commun où, selon une étude du Haut Conseil à l’égalité, 100 % des utilisatrices disent en avoir été victimes.

Tact et distance

Pour incarner son propos, le documentariste a choisi de suivre pendant un an et demi, avec tact et distance, quatre femmes dans leur combat. Traumatisées après des mois, sinon des années, de propos insultants, de menaces, de courriels à caractère pornographique, de scènes humiliantes, de gestes outranciers – certains psychiatres expliquent que les traumas engendrés par le harcèlement sont comparables à ceux d’un viol – Cristina, Gwenaëlle, Laury et Catherine ont vu leur vie intime, familiale et professionnelle brisée. Poignante, Catherine, qui a subi pendant onze ans le harcèlement de l’ancien maire d’une petite commune de Normandie, confie : « Je n’ai pas vu grandir mes enfants, je les ai oubliés. Ces agressions m’ont mangé le cerveau, je survivais… »

Outre la perte de leur emploi – qui survient dans neuf cas sur dix après un dépôt de plainte et explique le silence des victimes –, certaines des femmes interrogées par Olivier Pighetti ont été quittées par leur compagnon ou ont été amenées à déménager afin de ne plus croiser leur harceleur.

Quelques minutes avant l’audience, Gwenaëlle est pétrifiée à l’idée de recroiser son harceleur | Piments Pourpres

Pour se reconstruire, et être pleinement reconnues comme des victimes par la justice, les quatre femmes ont décidé, vaille que vaille, de s’accrocher. Et ce malgré le comportement de certains policiers, attendant des preuves concrètes, qui déclarèrent à Laury : « Ce ne sont que des paroles. » Et surtout une institution judiciaire qui ne les a pas ménagées. Comme on le constate avec Cristina, Gwenaëlle et Laury, dont les affaires furent classées sans suite, avant d’être rouvertes. « Ce n’est pas que l’on classe trop, mais c’est une infraction difficile à prouver », plaide pour sa défense une magistrate parisienne dont les hésitations sur la peine de trois ans encourue par le harceleur disent les atermoiements de la justice. Une peine, du reste, prononcée dans seulement 5 % des affaires traitées.

On ne sera donc pas étonné que l’instance judiciaire soit au cœur du débat du « Monde en face », qui suit la diffusion de ce documentaire. Réunissant Cristina, Sandrine Rousseau, secrétaire nationale adjointe d’EELV et plaignante dans l’affaire Denis Baupin, Marilyn Baldeck, la déléguée générale de l’AVFT, et l’avocate Agnès Cittadini, il met également en lumière la gravité des traumatismes au regard de la légèreté des peines, mais aussi les obligations des employeurs et des instances salariales ; et surtout un manque criant d’information. A sa manière, cette soirée tente d’y remédier.

Harcèlement sexuel, le fléau silencieux, d’Olivier Pighetti (Fr., 2016, 65 min).