Organiser une expo chez soi, ouvrir sa maison de campagne à un artiste en résidence, louer des œuvres d’art… De nouvelles initiatives voient le jour pour rapprocher les amateurs des artistes.

Héberger un artiste ­en résidence

Le calme de la campagne girondine, le charme des vieilles pierres, la chaleur d’un grenier aménagé de 40 m2, des chevaux à la porte… Un écrin de verdure pour créer en toute tranquillité. Voilà ce que propose Marina Bellefaye, Parisienne heureuse propriétaire d’une maison de famille, à un artiste en recherche « d’une bulle », « d’un environnement inspirant ». « Mes amis me disaient souvent : “Qu’est-ce qu’on se sent bien ici, ça donne envie d’écrire, de peindre” », se rappelle la jeune femme, ancienne étudiante aux Beaux-Arts actuellement en formation en art-thérapie. Depuis deux ans, amis, amis d’amis puis parfaits inconnus recrutés sur la plate-forme Hostanartist se sont succédé chez elle pour une ou deux semaines de résidence.

« Il existe très peu de lieux accessibles pour les jeunes artistes, et les échanges entre créateurs et amateurs d’art se limitent souvent aux vernissages. Or beaucoup de gens sont intéressés par le processus de création », estime David Guez, plasticien et cofondateur, avec la commissaire d’exposition Anne Roquigny, d’Hostanartist. La plate-forme de petites annonces, soutenue par le ministère de la culture et la région Ile-de-France, espère contribuer à « instaurer de nouvelles relations entre les artistes et le monde ». Qui sont ces particuliers, apprentis mécènes, qui se lancent dans l’aventure ? Souvent « des artistes eux-mêmes, amateurs d’art, des “profils Télérama” », résume David Guez.

Ici, pas de transactions (si ce n’est, parfois, une contribution de quelques euros pour couvrir les frais d’électricité, d’eau, etc.). En contrepartie, les artistes s’engagent à donner une œuvre, un texte, à proposer une performance. La trace du séjour peut aussi être plus immatérielle. Mais l’expérience n’en est pas moins enrichissante, témoigne Marina Bellefaye, qui a vu combien les discussions, voire la simple présence de créateurs, ont nourri son propre travail, dans une émulation bénéfique.

Hostanartist.com

Organiser une expo à la maison

Exposition de Juliette Lamarca, accueillie dans l’appartement de Françoise Nowak, à Paris. / JULIETTE LAMARCA

Permettre à de jeunes artistes d’accéder à une petite visibilité, de présenter leur travail, telle est aussi la démarche de Françoise Nowak, coach vocal qui a ouvert gratuitement son vaste appartement parisien à Juliette Lamarca, une peintre rencontrée dans un réseau d’entrepreneurs. Le temps d’une soirée, ses 120 m2 se sont transformés en cimaise pour une dizaine de toiles. « J’ai la chance d’avoir un bel espace, autant en faire profiter une artiste dont j’apprécie le travail », raconte Françoise Nowak. Proches et connaissances ont été conviés. Seule consigne : apporter quelque chose à boire ou à manger. Juliette Lamarca a vendu deux tableaux pendant la soirée.

Séjourner dans un appartement-galerie

Parce qu’elle n’avait ni les moyens ni le carnet d’adresses pour ouvrir une galerie, Marion Hermitte a décidé de fusionner hébergement quatre étoiles et ­galerie d’art contemporain. Depuis quatre ans, cette photographe et plasticienne trentenaire propose à la location un appartement meublé de 70 m2, situé dans un ancien hôtel particulier du 6e arrondissement de Marseille, à deux pas du Vieux-Port (de 120 à 160 euros la nuitée, selon la saison, pour deux nuits minimum). Moulures, cheminée en marbre, colonnes et œuvres exposées font le charme de cette « galerie d’art à vivre ».

L’Appartement, à Marseille. / MARION HERMITTE

« Je rêvais d’un espace culturel différent », confie la jeune femme, qui a elle-même connu la difficulté de trouver des lieux d’exposition intimistes et de qualité. Aujourd’hui, elle vit de son invention : « Grâce aux revenus de l’activité chambres d’hôte, j’ai pu fonctionner au coup de cœur, avoir une programmation libre et toucher deux clientèles, celle qui vient d’abord pour l’hébergement, et qui découvre et achète parfois, et celle des amateurs éclairés ou collectionneurs, intéressés par l’exposition d’artistes émergents ou reconnus. » Quand le lieu n’est pas loué, soirées de vernissage et visites sur rendez-vous sont organisées. Toutes les cinq semaines sont exposées de nouvelles œuvres, de la sérigraphie tout petit format, à 40 euros, jusqu’à des pièces pouvant atteindre 9 000 euros. La plupart des ventes se situent entre 1 000 et 1 500 euros, dont 40 % reviennent à la galeriste – ce qui est un peu en dessous des commissions pratiquées habituellement.

Lappartement-marseille.com

S’inscrire à un club

Avant-premières, visites privées d’ateliers, rencontres avec des artistes, parcours commentés par un expert d’exposition… des privilèges de VIP pour quelques dizaines d’euros par mois. Partant du constat que pousser les portes d’une galerie reste intimidant pour de simples amateurs et que, faute de temps, les Parisiens ne profitent pas toujours de l’abondante offre culturelle, plusieurs start-up proposent de faciliter l’accès au monde de l’art contemporain dans la capitale. Moyennant un abonnement à la carte (de 30 à 180 euros mensuels selon les offres et la durée de l’engagement), Barter ou CultureSecrets sélectionnent et proposent des événements culturels en petit comité. Les membres de ces nouveaux clubs apprennent ainsi à déchiffrer les codes d’un milieu artistique et s’initient à la création contemporaine. Entre happy few… La démocratisation de l’art n’est pas à un paradoxe près.

Barter-paris.com Culturesecrets.com

Louer une œuvre

Pour certains, prendre son petit-déjeuner devant une toile est devenu un plaisir quotidien, grâce à une offre nouvelle de location d’œuvres d’art en ligne. Le système, longtemps réservé aux entreprises, tente une percée chez les particuliers, reprenant l’idée des artothèques, un concept né en Allemagne au début du XXe siècle et qui s’est démocratisé en France dans les années 1980.

« White Trash », peinture de Vincent Gautier proposée à la location sur le site loeuvreetlatelier.com. / VINCENT GAUTIER

Ces bibliothèques d’art qui prêtent gravures, sérigraphies, photographies, moyennant un abonnement de quelques dizaines d’euros par an, ont connu des fortunes diverses, souvent par manque de financement. Il en reste une quarantaine, dont certaines disposent d’une collection de plusieurs milliers de pièces, comme à Caen (Calvados) ou à ­Limoges (Haute-Vienne). « Le prêt d’œuvres permet de libérer les têtes, de s’éveiller à l’art, de tisser un lien intime sans pour autant posséder », estime Catherine Texier, à la tête de la Fédération des professionnels de l’art contemporain et coprésidente de l’Association de développement et de recherche sur les artothèques. « Et cette belle idée est plus que jamais d’actualité, à l’heure où l’acquisition n’est pas le but ultime pour toute une génération. »

Depuis six mois, Philippe Crozet et sa compagne profitent dans leur nouvel appartement de deux tableaux figuratifs, loués sur le site L’Œuvre et l’Atelier. Cette galerie d’art en ligne, créée par l’entrepreneur Jean-Philippe Rouyer il y a un an et demi, propose une sélection d’une vingtaine de jeunes talents reconnus – qui ont souvent déjà exposé ou remporté un prix. Pour trois ou six mois, à raison de 30 euros mensuels, ce système permet de changer de décor mais aussi de tester en grandeur nature des tableaux chez soi avant, éventuellement, de se les offrir.

Lœuvreetlatelier.com

Acheter en indivision

De nouveaux passionnés qui ne veulent ni accumuler ni spéculer se lancent dans la constitution d’une petite collection acquise en commun. Emilie Flory a accompagné et participé à un de ces groupes. Pendant cinq ans, huit personnes de 33 ans à 73 ans – retraités, enseignants, chefs d’entreprise ou sans profession – ont acheté en indivision une vingtaine d’œuvres d’art. « La moitié des membres de ce collectif baptisé Esperluette n’avait jamais pensé pouvoir acquérir une œuvre, ni même osé franchir le seuil d’une galerie, explique la commissaire d’exposition indépendante. Tous les mois pendant cinq ans, chacun a mis au pot 40 euros. A charge pour moi d’acheter de la céramique, de la gravure, de la sérigraphie, des petits formats en peinture… », poursuit-elle.

Les acquisitions ont tourné dans les maisons des uns et des autres jusqu’à la constitution d’une petite artothèque privée. Cette formidable aventure collective s’est achevée il y a quelques semaines avec le partage de la collection. « C’était le contrat de départ. Nous avons fait des lots de valeurs plus ou moins égales, chacun a dit ses préférences, et il n’y a eu aucun tiraillement », raconte Emilie Flory, qui cherche à réitérer l’expérience avec un autre groupe. Le plus dur a finalement été de faire comprendre à la banque qu’ils acquéraient en indivision de l’art et non de l’immobilier.