A Casablanca, le désarroi des parents d’élèves des écoles Gülen après leur interdiction
A Casablanca, le désarroi des parents d’élèves des écoles Gülen après leur interdiction
Par Youssef Ait Akdim (Contributeur Le Monde Afrique, Rabat)
La fermeture au Maroc des écoles Mohammed Al Fatih, exigée par la Turquie, intervient en pleine année scolaire. Les parents nient tout lien avec l’idéologie du prédicateur turc.
Le groupe scolaire Mohammed Al Fatih dans le royaume, liées au prédicateur turc Fethullah Gülen, exiléde Casablanca, tel que présenté sur le site internet du groupe qui possède d’autres établissements à Tanger, Tétouan, Fès et el Jadida. | DR
Jeudi 5 janvier, le gouvernement marocain a ordonné la fermeture, dans un délai d’un mois, des écoles Mohammed Al Fatih dans le royaume, liées au prédicateur turc Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis et accusé par Ankara d’avoir ourdi la tentative de putsch du 15 juillet 2016 à la suite duquel plus de 41 000 personnes ont été arrêtées en Turquie et plus de 100 000 limogées ou suspendues, notamment des professeurs, policiers et magistrats.
« Les investigations sur les établissements du groupe Mohamed Al-Fatih (…) ont montré qu’ils utilisent le secteur de l’enseignement pour répandre l’idéologie de ce groupe et des idées contraires aux principes du système éducatif et religieux marocains », a expliqué le ministère de l’intérieur, dans un communiqué. Une fermeture que la Turquie avait exigée de Rabat.
Enseignants marocains, pas turcs
Et pourtant, le collège Mohammed Al Fatih de Casablanca est ouvert, ce mardi 10 janvier, cinq jours après le communiqué de l’intérieur. L’interdiction, en pleine année scolaire, a pris de court les parents d’élèves. « Mon fils étudie en 7e [première année du collège]. Nous n’avons jamais rien constaté d’anormal, témoigne Rajaa, mère du petit Youssef, rencontrée à la sortie des classes. Tous les enseignants sont des Marocains et les programmes et les manuels sont ceux de l’Education nationale marocaine. »
Youssef était scolarisé dans une autre école privée jusqu’à la fin du primaire, et Rajaa dit avoir choisi le collège Mohammed Al Fatih « pour sa bonne réputation ». Elle s’avoue effondrée par l’interdiction. « Mon fils n’a plus envie de travailler. Il me demande sans cesse où il va aller. Je demande seulement qu’on laisse nos enfants terminer l’année. »
Le royaume chérifien s’enorgueillit d’avoir, à l’époque, résisté à la poussée ottomane. Mais la présence turque est aujourd’hui visible partout. Pour accéder au collège Mohammed Al Fatih de Casablanca, il faut passer à proximité des travaux de la deuxième ligne du tramway, un marché remporté par le géant turc du BTP, Yapı Merkezi. Une supérette BIM, l’enseigne d’un soldeur turc, n’est pas loin.
De son côté, la maman d’Oussama (2e année du collège) insiste sur la qualité des enseignants, « tous des Marocains », qui, selon elle, « mettent les enfants sur la bonne voie ». Quant aux graves accusations du communiqué, « Oum Oussama » – elle préfère taire son prénom – les nie en bloc : « L’équipe pédagogique transmet des valeurs 100 % marocaines, argue-t-elle. L’école célèbre toutes les fêtes nationales et religieuses. Le lundi et le vendredi, tous les élèves saluent le drapeau. »
« Décision injuste »
Fayçal Zoubaïr partage le désarroi des parents d’élèves et défend son employeur. Ce jeune professeur enseigne les mathématiques au collège, son premier job depuis la fin de ses études il y a quatre ans. « Cette décision est injuste, s’indigne-t-il. Si le communiqué était véridique, comment expliquer qu’il n’y a eu aucune plainte des parents concernant les enseignements alors que le groupe travaille dans la légalité depuis 23 ans ? Même ma mère s’est inquiétée quand la télévision a évoqué le mouvement Gülen ».
Pour lui, comme pour le reste de l’équipe pédagogique, il n’est pas question pour autant de défier les autorités. « Ce n’est pas n’importe quel ministère qui a issu le communiqué, c’est l’intérieur quand même », glisse un enseignant, laissant sa phrase en suspens. Le 1er août 2016, l’ambassadeur de Turquie au Maroc, Ethem Barkan, avait réclamé la fermeture des « écoles Gülen ».
A quinze minutes de marche du collège, le groupe scolaire du même nom, Mohammed Al Fatih (MAF) accueille depuis 2014, des élèves de la crèche jusqu’à la terminale. Dans les locaux flambant neufs se tient une réunion de suivi entre la direction et les parents, à laquelle nous ne sommes pas conviés. Comme son collègue du collège, le directeur pédagogique du groupe scolaire MAF, Zouhair Kaddour, soutient qu’il n’a « jamais reçu d’avertissements » de la part du ministère de l’Education nationale, comme l’évoque pourtant le communiqué, mais seulement « des correspondances administratives de routine ».
Depuis une semaine, M. Kaddour a multiplié les rencontres à la délégation provinciale de l’Education nationale, à l’Académie régionale et même avec le Wali (préfet) de Casablanca. « Mon sentiment est que cette décision les dépasse, confie-t-il. Même le Wali, qui a reçu une délégation de parents, nous a déclaré qu’il était obligé d’exécuter l’interdiction ». L’objectif, pour lui, est de poursuivre l’activité jusqu’à la fin de l’année scolaire, quitte à transmettre ensuite l’activité à un autre investisseur. « Si le problème concerne l’investisseur, poursuit-il, ce dernier peut se retirer. » Pour l’instant, le délai accordé par les autorités pour fermer les écoles est plus court. Il échoit le 5 février, en pleines vacances scolaires, qui doivent débuter le 28 janvier au soir.