A Washington, les Américains se mettent à « l’heure Trump »
A Washington, les Américains se mettent à « l’heure Trump »
Par Nicolas Bourcier
Commentaires d’Américains rencontrés dans les rues de Washington, alors qu’ils s’apprêtent à vivre les quatre prochaines années avec un nouveau président, Donald Trump.
Washington s’est mise à « l’heure Trump ». Avant même la cérémonie d’investiture, vendredi 20 janvier, la capitale fédérale a commencé à apprendre à vivre avec la présence du nouveau président et de son équipe. Notamment parce que, depuis jeudi 19 janvier, et jusqu’à samedi, Donald Trump, son vice-président Mike Pence, leurs familles et leurs invités participent à une série d’événements codifiés menant à la cérémonie d’investiture. Commentaires d’Américain(e) s rencontré(e) s dans les rues de la capitale.
Mick Hoffman, dans le quartier très résidentiel de Chevy Chase, le 19 janvier. | Nicolas Bourcier pou Le Monde
Mick Hoffman habite le quartier très résidentiel de Chevy Chase depuis près d’un quart de siècle. Il est « semi-retraité », comme il dit, ancien distributeur de quotidiens, dont le New York Times et le Wall Street Journal. Chaque jour, Mick promène son petit chien, Kobe, nom donné par son fils en hommage au basketteur Kobe Briant. Et chaque jour, ils parcourent ensemble le même trajet, « une question d’habitude, Kobe a 16 ans, il est vieux », glisse Mick.
Alors, lorsque Mike Pence, le nouveau vice-président, adhérent de la théorie du créationnisme, connu aussi pour son opposition à l’avortement et son hostilité au mariage gay, est venu s’installer, il y a une semaine, dans sa rue, la Tennyson Street, il a fallu changer de parcours en raison des barrages de police. « Kobe est perturbé », explique-t-il. Mick, lui, en rigole. Il a déjà vu plusieurs manifestations anti-Pence se dérouler ici même. Un peu partout, des drapeaux arc-en-ciel LGBT ont fleuri devant et dans le jardin des maisons.
En revanche, Mick sourit moins lorsqu’il évoque la cinquantaine de députés démocrates qui boycotteront les cérémonies d’inauguration du 20 janvier. « Il faut respecter les règles et cela ne se fait pas », assure-t-il. Mick a voté ni pour Hillary Clinton ni pour Donald Trump. « Mais il faut lui laisser sa chance, affirme-t-il. Trump n’est même pas encore en place et regardez ce qu’il a fait pour l’emploi : c’est tout de même incroyable le nombre d’emplois qu’il a sauvés ! Trump est un businessman, il a réussi, il paye des millions d’impôts sur l’immobilier. C’est un fucking asshole [“putain” d’arrogant], mais il voudra, j’en suis persuadé, montrer qu’il est le meilleur président de l’histoire américaine. Il fera tout pour y arriver. »
Mick ajoute : « Il fallait ce changement, le pays a besoin que l’on donne du travail à tout le monde. Sincèrement, je pense qu’avec Hillary cela aurait été pire, on serait déjà rentré dans le mur avec la Russie. Déjà qu’Obama nous a foutu en l’air avec Israël… »
Sa fille et sa petite fille ont prévu de venir pour la manifestation des femmes de samedi. « Je suis curieux de voir ce que cela va donner. » Mais Mick et Kobe n’iront a aucune des manifestations, ni celles de vendredi ni celles de samedi.
Grace Hobelman, habitante de Kalorama, le quartier ultrachic des ambassades, le 19 janvier. | Nicolas Bourcier pou Le Monde
Grace Hobelman habite rue Tracy Place depuis des lustres. Sa maison se situe au cœur de Kalorama, le quartier ultrachic des ambassades, des demeures somptueuses, comme celles de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, du défunt Edward Kennedy, sénateur démocrate mort en 2009, ou encore de Woodrow Wilson, le 28e président des Etats-Unis. Grace est veuve et sort son chien Tiger plusieurs fois par jour. Elle est ravie que la fille de Donald Trump ait choisi la maison en face, de l’autre côté de la rue, pour s’installer avec son mari, Jared Kushner. « Une famille avec des enfants très bien, très bien éduqués », se réjouit-elle.
Grace sourit aussi à l’évocation de la famille Obama qui emménagera d’ici à quelques semaines à moins de cent cinquante mètres, dans la rue perpendiculaire Belmont road. « Il y aura des contrôles de police à chaque entrée de rues, c’est pas plus mal », se rassure-t-elle.
Grace a voté Donald Trump. Elle se réjouit de sa venue à la Maison Blanche. Elle se dit « républicaine traditionnelle, une convaincue depuis toujours ». Pour elle, les démocrates sont corrompus et les Clinton « le sommet de cette chaîne d’affairistes ».
« Avec Obama tout a empiré, poursuit-elle, les impôts sont devenus fous, et vous savez, en tant que retraitée, augmenter les taxes est une très mauvaise nouvelle. » Elle le dit sans retenue : « Il y a trop d’immigrés, trop de personnes de couleurs, de femmes qui viennent accoucher ici aux Etats-Unis dans le but uniquement d’obtenir des papiers. »
Grace regarde les informations sur la chaîne PBS, lit le Wall Street Journal et de temps en temps The Economist. « Dans l’ensemble, ajoute-t-elle, les médias n’ont pas travaillé de manière correcte, leur parti pris était trop évident et cela n’est pas normal. »
Kieran s’installe tous les jours devant le Lincoln Memorial, le 19 janvier.
Kieran a 21 ans, travaille dans la restauration et vient de Pennsylvanie. Depuis lundi, il s’installe tous les jours devant le Lincoln Memorial, de 10 heures à 18 heures, « jusqu’à ce qu’on m’expulse ». Kieran porte une pancarte sur laquelle on peut lire, d’un côté « This is fucked up » (c’est foutu) et de l’autre « No muslim registry » (pas de registre musulman), en référence au fichage des musulmans vivants sur le sol des Etats-Unis envisagé un temps par l’équipe Trump. « Pour l’instant personne m’a encore vraiment agressé, ça va », explique-t-il.
Kieran a soutenu Bernie Sanders lors des primaires. « Je suis venu ici il y a trois jours. Les préparatifs s’annonçaient comme si de rien n’était. Je n’ai vu personne montrer son indignation. Alors, j’ai pris peur. raconte le jeune homme. J’ai juste voulu montrer aux gens qu’il était possible d’exprimer qu’on était contre Trump, même élu. Oui, je veux en quelque sorte rassurer avec mon geste les gens qui se sentent mal à l’aise avec l’arrivée d’un tel personnage. C’est un petit signe, mais il est bien placé, au bon endroit. »