Donald Trump est-il vraiment le premier président « africain » des Etats-Unis ?
Donald Trump est-il vraiment le premier président « africain » des Etats-Unis ?
Par Anaïs Angelo
Face à l’arrivée de la famille Trump au cœur du pouvoir, les craintes de voir une nouvelle oligarchie assiéger les institutions démocratiques s’aiguisent.
La nomination de Jared Kushner, gendre et désormais conseiller du président Donald Trump, a suscité la polémique. Aux yeux de certains, l’arrivée à la Maison Blanche du mari d’Ivanka, la « fille préférée » de Trump, confirmerait le penchant mégalo-népotique du futur président, et renforcerait le clan de ses conseillers milliardaires.
Cette nomination indigne d’autant plus les commentateurs qu’elle officialise l’influence d’un homme qui n’avait jusqu’alors rien de politique, ni carrure, ni expérience. Face à la propulsion de la famille Trump au cœur du pouvoir, les craintes de voir une nouvelle oligarchie assiéger les institutions démocratiques s’aiguisent.
Détricotage de l’Etat démocratique
L’arrivée à la Maison Blanche du gendre Trump ne fait pas seulement redouter une évolution vers un népotisme qu’on croyait périmé (depuis l’affaire Robert Kennedy en 1967). Elle ravive la satire de l’humoriste sud-africain et présentateur du très critique Daily Show, Trevor Noah, qui décrivait le candidat Trump comme « le premier président africain des Etats-Unis ». La comparaison est lâchée : le goût pour l’oligarchie du président américain le rapprocherait de ses homologues africains, cités comme les incarnations vivantes du détricotage de l’Etat démocratique.
Le continent africain est souvent brandi comme le triste flambeau des oligarchies familiales, comme en Guinée équatoriale ou en Angola, où les familles respectives des présidents Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et José Eduardo dos Santos, tous deux au pouvoir depuis 1979, contrôlent des institutions minières clés. Au Burkina Faso, la famille du président Blaise Compaoré, resté au pouvoir de 1987 à 2014, est fortement ancrée dans la politique locale. Au Botswana, la famille Khama continue de régner sur le pays depuis son indépendance en 1966.
Toutefois, l’image d’un Donald Trump « premier président africain des Etats-Unis » peut être trompeuse. Car la famille en politique est moins le signe d’ambitions népotiques qu’elle ne révèle le manque de soutiens institutionnels solides. Les récents développements politiques au Kenya, en Ouganda et en République démocratique du Congo démontrent le rôle stratégique des coalitions politiques familiales pour tenir, et surtout retenir un pouvoir instable.
Mais si parallèle il y a entre Donald Trump et Uhuru Kenyatta, Yoweri Museveni et Joseph Kabila (ses homologues kényan, ougandais et congolais), il ne se situe pas dans le goût de la généalogie, mais plutôt dans les conditions de leur arrivée au pouvoir. Pour chacun d’entre eux, la famille a servi de fondement à une présidence aussi fragile qu’inattendue.
Isolement politique
La constitution de famille en politique signale d’abord l’imprévu. Quand Jomo Kenyatta devient le premier président du Kenya indépendant, en 1963, il sort à peine de longues années d’isolement politique. Emprisonné par les autorités coloniales britanniques de 1953 à 1961, il est coupé du fonctionnement des nouvelles institutions, se retrouve à la tête d’un parti où la méfiance règne, dépend de son adversaire, le nationaliste Tom Mboya, pour quadriller son territoire politique.
Un influent collaborateur, Duncan Ndegwa, le confiera plus tard : Jomo Kenyatta ressortit de cette période comme un homme « qui n’a jamais aimé travailler en groupe. Il dépendait d’individus cooptés, et à travers qui il étendait son influence ».
Pour compenser son isolement, Kenyatta choisit les réseaux personnels, et tout particulièrement familiaux, comme soutiens et intermédiaires de confiance. A l’instar de son père, l’actuel président Uhuru Kenyatta a su convertir l’isolement en atout politique, en trouvant dans le procès intenté par la Cour pénale internationale l’impulsion nécessaire pour s’imposer à la présidentielle de 2011, et faire perdurer l’empire familial légué par son père.
Régime clientéliste
En Ouganda et en République démocratique du Congo, la famille s’est faite politique sur les cendres encore chaudes de l’instabilité et de la violence. Arrivé au pouvoir par les armes en 1986, le président ougandais Yoweri Museveni s’est démarqué par un autoritarisme croissant, fondé sur l’exaltation de son leadership et de l’appareil sécuritaire. Aujourd’hui, la militarisation de son régime ne compense plus totalement un régime clientéliste de plus en plus coûteux et de plus en plus incertain : après avoir levé en 2005 la limite du nombre de mandats présidentiels, le Parlement s’est signalé en 2016 par son opposition à l’amendement constitutionnel mettant fin à toute limite d’âge pour briguer un mandat présidentiel.
Sans surprise, on assiste à la promotion savamment calculée de ses proches au cœur de l’Etat et de ses forces sécuritaires. En 2009, son fils Muhoozi Kainerugaba fut promu à la tête de la garde présidentielle, puis commandant des forces spéciales. La première dame Lady Janet Museveni se distingue, elle, par une carrière politique qui semble la préparer à une possible succession présidentielle.
En République démocratique du Congo, Joseph Kabila succéda à son père Laurent Désiré Kabila, assassiné le 16 janvier 2001, et dont la mort prit de court une classe politique embourbée dans nombre de luttes intestines. Encore novice (Kabila était commandant en chef de l’armée de terre), le nouveau président apparaît alors comme peu légitime et peu expérimenté. Il lui faudra manœuvrer subtilement pour se constituer une nouvelle clientèle tout en préservant des liens avec les caciques de l’ancien régime paternel. La crise dans laquelle il se trouve enferré après seize ans de présidence qu’il refuse de quitter, montre les limites d’une carrière politique qui s’est repliée sur la famille comme incontournable passerelle pour assurer un contrôle direct sur le pays.
Fragmentation et décomposition
Les exemples du Kenya, de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo montrent que les rêves mégalomanes ou les tentations impériales ne suffisent pas à expliquer l’usage de la famille en politique. Cette dernière est plutôt un produit de terroir et prend racine dans un système social, économique et politique plus large et plus complexe.
Si les Etats-Unis n’ont pas connu de scénario d’instabilité chronique, la rhétorique de violence économique (et même raciale) utilisée par Donald Trump pendant sa campagne rappelle que la fragmentation des sociétés, annonce la décomposition des alliances politiques. Cette fragmentation et cette décomposition sont souvent cachées, pour un temps du moins, par l’idée et l’image de l’homme politique providentiel, le self-made man (aux Etats-Unis), le père de la nation (comme lors des indépendances africaines) ou le « grand homme » (en France).
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Durée : 05:46
Les discours héroïques drapés de rassemblement masquent, en réalité, l’absence d’une base politique stable. L’incapacité des partis à s’accorder et soutenir dans la durée un candidat permet finalement à un acteur isolé de s’affranchir plus avant des institutions politiques existantes.
D’Uhuru Kenyatta à Donald Trump, le repli sur la famille en politique se fait toujours en deux temps. Le premier est celui du déficit, du manque d’une base institutionnelle qui risque de mettre à nu les failles et les faiblesses de l’homme politique. Le second temps, plus dangereux, commence avec la quête d’autosuffisance, ou la consolidation de l’isolement qui annonce la résistance aux institutions en place.
Il reste que le succès de la famille en politique n’est pas le fait d’un homme seul, et il faut savoir se détacher de la satire (et des scandales) pour explorer les profondeurs du système qui lui a donné naissance et l’a vu grandir.
Cet article a d’abord été publié par la version française de The Conversation. Anaïs Angelo est chercheuse en histoire africaine postcoloniale au European University Institute.