L’affaire Polanski rattrape les César
L’affaire Polanski rattrape les César
Par Clarisse Fabre
Le cinéaste, accusé de viol sur une enfant de 13 ans en 1977, a été choisi pour présider la 42e cérémonie, suscitant l’indignation et des appels au boycott.
Roman Polanski le 25 février 2015, lors d’une conférence de presse | ALIK KEPLICZ/AP
Combien de temps l’Académie des Césars va-t-elle garder le silence, alors que tout autour de l’institution les réactions d’indignation s’accumulent, et qu’un appel au boycott de la 42e Cérémonie – qui aura lieu le 24 février à Paris – a été lancé sur les réseaux sociaux ? Le choix de Roman Polanski pour présider cette édition, annoncé le 18 janvier, par le président de l’Académie et producteur Alain Terzian, ainsi que par la chaîne Canal+, n’en finit pas de susciter colère et incompréhension.
Agé de 83 ans, le réalisateur franco-polonais ne compte plus les prix reçus dans les grands festivals : Ours d’or à Berlin pour Cul-de-sac en 1966, Palme d’or à Cannes pour Le Pianiste en 2002, film pour lequel il a aussi obtenu l’Oscar du meilleur réalisateur en 2003. Il a déjà présidé plusieurs jurys, de Cannes en 1991 à Venise en 1996. Mais le cinéaste traîne aussi depuis quarante ans une accusation de viol sur mineure.
C’était en 1977, Polanski était alors âgé de 43 ans : Samantha Geimer, 13 ans, l’avait accusé de l’avoir droguée puis violée, à l’issue d’une séance de photos. Incarcéré pendant 47 jours, Roman Polanski avait été libéré sous caution, avant de s’enfuir des Etats-Unis quelques années plus tard, en 1978. Depuis lors, la justice américaine n’a cessé de le poursuivre. Entre-temps, Samantha Geimer a renoncé à ses poursuites judiciaires – un accord financier a été conclu avec le cinéaste. En août 2014, à cause de cette même affaire, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, le réalisateur avait dû renoncer à se rendre au festival de Locarno, où il devait recevoir un prix pour l’ensemble de sa carrière.
« Esthète insatiable »
L’Académie des Césars ne pouvait ignorer que le choix de Polanski risquait de provoquer des remous. Dans son communiqué, Alain Terzian a simplement salué l’« esthète insatiable » qui « réinvente son art et ses œuvres au fil des époques ». « Artiste, cinéaste, producteur, scénariste, comédien, metteur en scène, il existe bien des mots pour définir Roman Polanski mais un seul pour lui exprimer notre admiration et notre enchantement : Merci, Monsieur le président. »
Aussitôt après, des associations féministes sont montées au créneau : « Nous rappelons que plutôt que de faire face à ses responsabilités, et donc à la justice, M. Polanski a préféré fuir, et que tous les mandats d’extradition ont depuis échoué (…). Il est un auteur de violences sexuelles qui reste impuni, protégé par son statut d’homme célèbre », s’indigne l’association Osez le féminisme dans un communiqué. La polémique Polanski ressurgit alors que de « vieilles » histoires d’abus sexuels émanant d’autres artistes ont refait surface, qu’il s’agisse des violences qu’aurait subies Maria Schneider lors du tournage du Dernier tango à Paris (1972), de Bernardo Bertolucci, ou de celles dont auraient été victimes des modèles de David Hamilton dans les années 1980 – retrouvé mort dans son appartement le 25 novembre 2016.
Actrice et productrice, membre de l’Association Le deuxième regard, qui vise à déconstruire les stéréotypes dans le cinéma, Shirley Kohn exprime sa consternation : « Cette année, je me disais : à l’approche de l’élection présidentielle, l’Académie des Césars va faire des arbitrages fédérateurs. Eh bien non ! Même si on ne connaît pas les détails de l’affaire Samantha Geimer, c’est comme si on ne prenait pas au sérieux cette accusation de viol », déclare-t-elle au Monde. Elle s’interroge : « Les acteurs et les professionnels du cinéma accepteront-ils de recevoir des prix de la main de Polanski ? »
« Un torrent d’indignation »
Officiellement, les présidents de Cérémonie des Césars sont choisis par le bureau de l’Association pour la promotion du cinéma, l’APC, laquelle assure la gouvernance de l’Académie. Comment le nom de Polanski s’est-il imposé ? Alain Terzian n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Alain Rocca, l’un des six membres du bureau de l’APC, ne comprend pas ce « torrent d’indignation ». « Habituellement, la présidence de la Cérémonie des Césars n’intéresse personne. Mais le sujet devient subitement intéressant aujourd’hui, dès lors qu’il s’agit de salir une institution, et un homme comme Polanski, chacun y allant de sa version sur les réseaux sociaux. C’est avec ce genre de dynamique post-vérité que l’on arrive à élire Trump aux Etats-Unis », affirme Alain Rocca. Qu’en pense la directrice de photographie Caroline Champetier, membre de l’APC : « Polanski est un immense metteur en scène. Mais je n’ai pas été prévenue qu’il allait présider la 42e Cérémonie », avoue-t-elle.
Faut-il tourner la page ? C’est ce qu’a affirmé en substance Aurélie Filippetti,alors qu’elle était invitée sur France Info jeudi 19 janvier. C’est la « liberté absolue » de l’Académie de choisir Polanski, « un très grand réalisateur », a souligné l’ancienne ministre de la culture et de la communication (2012-2014), avant d’ajouter : « C’est quelque chose qui s’est passé il y a quarante ans. On ne peut pas à chaque fois relancer cette affaire. » Aussitôt elle s’est fait épingler sur Twitter…
"C'est quelque chose qui s'est passé il y a 40 ans" : Filippetti défend le choix de Polanski pour présider les Césa… https://t.co/r8PI4Asbms
— franceinfoplus (@franceinfo plus)
Avec @aurelifil c'est le retour de la justice des puissants face aux faibles.
#Viol #polanski #Filippetti #Cesars2017
— PMoal29 (@Pierre Moal)