Un jeu sur smartphone pour aider les chercheurs à protéger les oiseaux
Un jeu sur smartphone pour aider les chercheurs à protéger les oiseaux
Par Claire Legros
Avec l’appli BirdLab, on peut jouer à observer les oiseaux de son balcon tout en participant à une expérience originale de sciences participatives. Un projet d’outil commun baptisé « 65 millions d’observateurs » veut généraliser de telles expériences.
Avec l’appli BirdLab, on peut jouer sur son smartphone tout en participant à un programme de sciences participatives créé par Vigie Nature et le Muséum national d’histoire naturelle. | Vigie Nature/MNHN
Deux à trois fois par semaine c’est le même rituel. Dès novembre, Pauline Perrachon, jeune graphiste à domicile installée en Bourgogne, interrompt régulièrement son travail pour jouer sur son smartphone « avant tout pour le côté ludique et pour acquérir des connaissances ». Yves Lazennec, cheminot à la retraite dans l’Aude près de Carcassonne, plutôt hostile aux jeux vidéo, ne manquerait pour rien au monde de se connecter pour une partie le matin vers 10 heures « par passion pour l’ornithologie ». Tandis qu’à l’autre bout de la France Pierre Scaillerez, habitant d’une commune de 5 000 habitants près d’Amiens, a installé l’appli sur sa tablette « pour œuvrer à préserver la biodiversité. J’ai vraiment l’impression de contribuer à sauvegarder des espèces par mes observations », explique-t-il.
Programme ouvert à tous
Addicts ou joueurs du dimanche, ils sont plus de 1 500 en France à avoir participé depuis trois ans au programme BirdLab, une appli ludique à télécharger sur smartphone, et surtout un programme de sciences citoyennes conçu par Vigie nature, le laboratoire participatif du Muséum d’histoire naturelle de Paris, en partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux. Une expérience originale qui permet à des chercheurs spécialistes de la biodiversité de collecter des données inédites sur le comportement des oiseaux communs, mésanges, tourterelles ou rouges-gorges…
Le programme est ouvert à tous du 15 novembre au 31 mars, aucune connaissance des oiseaux n’est requise au départ. Un quiz permet aux néophytes d’apprendre à reconnaître les 26 espèces les plus courantes dans les jardins, du simple moineau à la sittelle torchepot, au pinson des arbres ou au gros bec casse-noyaux. Seules contraintes : les observateurs doivent mettre en place deux mangeoires sur leur balcon ou dans leur jardin, et renseigner des informations sur leur localisation, l’environnement et le temps qu’il fait quand ils jouent.
Comment reconnaître les oiseaux communs ? Séance d’entraînement sur l’appli BirdLab de sciences participatives. (Capture d’écran site de Vigie nature.) | Vigie Nature (MNHN)
La partie dure cinq minutes et consiste à reproduire avec ses doigts les allers et venues d’oiseaux sur les deux mangeoires. « La durée du jeu a été pensée pour recueillir des informations précises et exhaustives », explique Romain Julliard, chercheur en biodiversité au Muséum. Plus de 16 000 parties ont été jouées depuis trois ans, environ deux tiers dans les villes et zones périurbaines, et un tiers à la campagne.
Analyser l’évolution des espèces
A l’autre bout de la chaîne, les chercheurs ont accès aux données en temps réel sur le comportement des oiseaux. « Pour nous, BirdLab représente une source d’informations précieuses, explique Carmen Bessa Gomes, enseignante-chercheuse au laboratoire Ecologie, systématique et évolution d’Agro Paris Tech qui travaille sur les causes du déclin de la biodiversité en France. Grâce à l’étendue des collectes, on a pu analyser l’évolution des espèces selon les régions et les milieux. »
Premier constat, pas vraiment surprenant, l’urbanisation conduit à une diminution des espèces observées. 7 % de surface bétonnée autour de la mangeoire suffisent à en réduire leur nombre. « A l’inverse, la présence ne serait-ce qu’un peu de milieu agricole en zone urbaine fait significativement augmenter le nombre d’espèces d’oiseaux. C’était un résultat attendu, mais on n’avait jamais réussi à le montrer avant BirdLab », explique Carmen Bessa Gomes. Deuxième constat, les espèces en déclin dans les zones d’agriculture intensive viennent se réfugier dans les jardins urbains ou périurbains pour y trouver des ressources.
Verdiers photographiés dans le cadre du programme BirdLab de Vigie nature. | Vigie Nature (MNHN)
Données ouvertes aux citoyens
L’autre originalité du projet, c’est que les informations recueillies sont ouvertes à tous les curieux, qu’ils soient chercheurs ou scientifiques en herbe. Les données sont disponibles auprès de l’équipe. « Je les envoie quand on me les demande, explique Grégoire Loïs, codirecteur de Vigie nature qui fait aussi office de data manager. Avec Vigie nature, on est vraiment dans l’économie du don. Chaque citoyen reste l’auteur de ses observations, mais elles sont ouvertes à tous ensuite dans une démarche d’open data. »
Alors que dans la communauté scientifique, la question de l’ouverture des données est loin d’être tranchée, elle ne fait pas débat chez les chercheurs à l’origine de BirdLab. « Les données sont collectées par les citoyens, il est normal qu’elles soient ouvertes aux citoyens, constate Carmen Bossa Gomes. Ensuite, il faut du temps et des compétences pour analyser ces tableaux complexes. Ce n’est pas évident de les exploiter. » « La science participative n’est pas compatible avec la privatisation des données, confirme François Chiron, maître de conférences à Agro Paris Tech, même pour les espèces protégées. Je n’ai pas d’exemple où l’ouverture n’aurait pas profité à la conservation. »
Une mésange bleue sur une mangeoire photographiée dans le cadre du programme BirdLab. | Vigie Nature (MNHN)
Une boîte à outils des sciences citoyennes
L’équipe de Vigie nature veut d’ailleurs aller plus loin. Avec une centaine de partenaires, collectivités et associations, elle a lancé en 2015 un projet ambitieux de portail de sciences participatives baptisé « 65 Millions d’observateurs », pour faciliter l’interaction et l’analyse collective des données dans de nombreux domaines scientifiques, milieux marins, astronomie, santé… Cette boîte à outils des sciences citoyennes est en cours de développement en logiciel libre.
« Actuellement nos outils sont fragiles, on porte à bout de bras un beau projet sans en avoir les moyens, on veut passer la vitesse supérieure et aussi permettre le développement de nouveaux projets de sciences participatives », explique Romain Julliard. Financée à hauteur de 4 millions d’euros dans le cadre du programme Investissements d’avenir, la plate-forme « 65 Millions d’observateurs » devrait permettre de décliner des sites de participation, y compris sur mobile, et proposer des outils communs pour extraire et analyser les données.
Une façon aussi de faciliter la mutualisation et le croisement des informations qui y seront recueillies, même si les équipes pourront décider au cas par cas d’ouvrir ou non leurs bases. Pour Grégoire Loïs, « l’objectif est que ce soit partageable plus facilement, notamment sur le site data.gouv.fr qui regroupe les données publiques, mais aussi que ce soit facile à consulter pour un non spécialiste, ce qui pourra peut-être donner lieu à des découvertes fortuites ».
Pour autant l’outil numérique ne sera utile qu’en complément de l’organisation d’une communauté de bonnes pratiques et de réseaux sociaux solides. Les programmes de sciences participatives supposent un gros travail d’animation pour répondre aux questions des contributeurs et les impliquer dans les résultats. Pour BirdLab, une animatrice de réseau est présente tous les jours.
Pour participer au programme BirdLab :
– Installez sur votre balcon ou terrasse deux mangeoires sur le modèle décrit ici ou achetez deux mangeoires suspendues « boules de graisse » vendues dans le commerce.
– Téléchargez sur votre smartphone ou tablette l’application BirdLab disponible gratuitement sur iOS ou Android et validez le quiz.
– Entraînez-vous à reconnaître les oiseaux à l’aide de cette vidéo.
BirdLab : vidéo d'entraînement
Durée : 05:25
– Vous pouvez aussi rejoindre l’une des stations d’observation publiques où des mangeoires sont accessibles au public. Voir la carte du réseau.
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