Bureau de vote de Florange. Moselle, 22 janvier 2017. | Nicolas Leblanc /ITEM Pour Le Monde

Sept candidats à départager. Le premier tour de la primaire à gauche, organisé par le Parti socialiste et ses alliés, s’est ouvert dimanche 22 janvier à 9 heures, dans les plus de 7 500 bureaux de vote répartis sur le territoire.

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A la mi-journée, plus de 400 000 personnes s’étaient déplacées dans 60 % des bureaux de vote. Lille, Marseille, Paris, Florange… Le Monde suit cette journée en direct avec ses envoyés spéciaux mobilisés dans toute la France.

  • A Lille, on vote sans enthousiasme ni espoir

Le sol de la cour du groupe scolaire lillois Jean-Zay est gelé. Emmitouflés dans leurs doudounes, bonnets sur la tête, les électeurs des primaires citoyennes entrent et sortent à flux constant du bureau de vote du quartier plutôt aisé de Saint-Maurice-Pellevoisin.

A la sortie du bureau de vote, l’engouement est modéré. « C’est une démarche citoyenne de voter, mais je n’ai aucun enthousiasme pour les candidats, explique Cendrine Moulin, 43 ans, fonctionnaire. Je pense même qu’il n’y aura pas de candidat PS au second tour de la présidentielle. » Membre de la FCPE, association de parents d’élèves, classée à gauche, elle a finalement choisi Vincent Peillon, l’ancien ministre de l’éducation nationale. Son mari a préféré Benoît Hamon, « car il est bien placé dans les sondages ». Surtout, cet analyste de 45 ans, plutôt de droite tendance Macron plus que Fillon, a voté pour le « tout sauf Valls ». Le couple est d’accord sur un point :

« Tout ce monde au PS qui n’a pas soutenu François Hollande alors qu’ils sont du même bord, franchement… L’histoire lui donnera raison. »

Premier tour de la primaire de la gauche pour la présidentielle 2017. Bureau de vote dans l’école Jean-Jaurès à Trappes, Yvelines, dimanche 22 janvier 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Clémence Gazeau, 37 ans, a longuement hésité entre MM. Montebourg et Hamon. Elle et son mari, tous les deux artisans, ont regardé les débats. C’est sous la douche, un quart d’heure avant d’aller voter, que Clémence a choisi Hamon : « Le discours franco-français m’a dérangé à l’heure de la mondialisation. » Au-delà des programmes des candidats, elle déplore « l’état inquiétant du PS » et soupire à l’idée de « probablement voter pour aucune de ces personnalités du PS au premier tour de la présidentielle ».

Même sentiment pour Benjamin et Juliette Rosiere, 32 ans. « J’ai choisi le plus humain des candidats, mais je ne suis pas sûr de voter PS au premier tour de la présidentielle, explique Benjamin. Je n’ai jamais fait confiance aux sondages, mais là, je suis sûr que le PS sera cinquième au premier tour. » S’il s’est déplacé par ce dimanche matin glacial, c’est pour montrer qu’il y a encore un peuple de gauche. Dépité, mais présent. Avec son épouse, ils ne se sont pas concertés. C’est à la sortie du bureau de vote qu’ils découvrent qu’ils ont finalement tous deux choisi Hamon.

« J’ai voté pour une idée, explique Juliette Rosiere. Celle du revenu universel. C’est une vraie façon de penser différente et intéressante intellectuellement. Je pense notamment à toutes ces familles monoparentales pour qui le rapport au travail devient hyperstressant. »

  • A Marseille, l’affluence relative rassure élus et votants

Le site de vote de l’école Chave, qui réunit l’ensemble des bureaux des 4e et 5e arrondissements de Marseille pour la primaire à gauche, n’a pas désempli de la matinée, malgré un début de dimanche frais et pluvieux.

A l’entrée, servant de guide aux électeurs, la députée PS et ex-ministre Marie-Arlette Carlotti y voit le signe « que la gauche existe toujours ». « BFM nous a tellement promis une catastrophe, que j’en suis rassurée », cingle-t-elle avant de se dire « ravie » de voir les électeurs de sa propre circonscription « se déplacer en masse ». La longue attente et l’effervescence des lieux revigorent aussi les votants. Claudine, retraitée aux cheveux courts platine, sourit largement à la sortie de l’isoloir : « J’étais inquiète, mais je vois que les électeurs de gauche gardent encore l’envie de faire bouger les choses. » L’effet de foule, bien réel dans ce petit gymnase, doit pourtant être tempéré.

Primaire de la gauche, premier tour. Bureau de vote de Montret, en Saône-et-Loire. C'est là que vient voter Arnaud Montebourg, l'un des prétendants les plus sérieux de cette primaire. | JULIEN DANIEL / MYOP POUR "LE MONDE"

A midi, la participation tourne autour de 1 % des inscrits dans ce site de vote qui regroupe 52 000 Marseillais inscrits sur les listes électorales. « Bien sûr qu’il faut relativiser, concède Benoît Payan, conseiller départemental PS élu dans le secteur. Mais une chose est sûre, ce ne sera pas la bérézina qu’on nous a annoncée. » A Marseille, le début du vote a également été marqué par deux petits incidents dans les 15e et 16e arrondissements qui, selon la fédération PS des Bouches-du-Rhône, n’ont « affecté qu’à la marge les opérations ». « Malgré nos demandes répétées, la géolocalisation du lieu de vote du 16e arrondissement sur le site internet des primaires n’annonce toujours pas la bonne école, reconnaît Mickaël Bruel, secrétaire du PS des Bouches-du-Rhône. Il a fallu que des camarades aillent flécher le parcours jusqu’au bon bureau. »

  • A Paris, flux régulier d’électeurs dans le 11e arrondissement

Le premier électeur interrogé à l’école communale Alphonse-Baudin, dans le 11e arrondissement de Paris, a déposé un bulletin en faveur de François de Rugy : « Par sensibilité écologique », explique-t-il, et parce qu’« au premier tour, on choisit ». La quarantaine, directeur de la comptabilité dans une grande entreprise, de sensibilité de gauche, il s’était également déplacé à la primaire de la droite pour aller voter Alain Juppé. Son fils de 17 ans a, lui, participé à son premier vote citoyen. Sans se concerter avec son père, il a aussi voté pour le député écologiste.

Ouverte depuis 9 heures du matin, cette école qui rassemble trois bureaux de vote connaît un flux régulier de votants. Florent, président du bureau de vote estime que « la participation est comparable à celle d’il y a cinq ans ». En revanche, il n’observe pas de « jubilation participative ». L’innovation démocratique que constituait la primaire et la volonté d’alternance ne sont plus au rendez-vous. « C’est plus feutré », note-t-il.

Pascal, juriste de formation, est un électeur de gauche, attristé par son camp. En 2011, il avait voté aux primaires citoyennes pour Martine Aubry. Il y a trois mois, il a aussi participé au second tour de la primaire de la droite pour tenter de faire barrage à François Fillon. En vain. « Le plus gros échec de la gauche, dit-il, ce n’est pas le chômage, mais l’éducation. » Finalement, il a aujourd’hui opté pour Manuel Valls, car c’est le plus sérieux selon lui. « Les autres candidats sont sympathiques, mais ils ne sont pas sérieux », répète-t-il.

  • A Florange, une participation en berne

Marylène Hofer, militante socialiste de Florange, le 22 janvier 2017. | Nicolas Leblanc /ITEM Pour Le Monde

Florange, vallée de la Fensch, en Moselle. Soixante votants à midi, beaucoup de gens âgés : c’est peu. Les listes d’émargement sont classées par rue et pas par ordre alphabétique, ça complique un peu. Florange est passé à droite en 2014. « Honnêtement, on a payé le mécontentement national, les gens se sont défoulés, explique Gérard Flamme, élu depuis 1995, ancien premier adjoint, président du bureau pour les primaires (photo). Il y a eu des choses de faites, mais il y avait peut-être trop d’attente. Les hauts fourneaux ont fermé, mais on a fait pas mal de choses. »

Jean-Luc Mélenchon est venu à Florange la semaine dernière, il y avait beaucoup de monde, mais pas beaucoup de membres du PS. « C’est un très bon orateur, quand on l’écoute, on y croit, dit Gérard. Vous parlez des Mains d’or, la chanson de Lavilliers et de la vallée de la Fensch, vous faites pleurer la foule, c’est normal. » Lui, il a un faible pour Montebourg : « Un peu par ricochet, c’est le compagnon de Filippetti, qui est du coin. Je l’ai rencontré, c’est un homme très abordable. » Ils sont nombreux à voter comme lui, « même si Hamon n’est pas mal, non plus. »

Elle est arrivée en France à l’âge de quatre ans, la famille venait de Naples. Ce sont d’abord les Italiens, puis les Portugais, les Turcs qui ont bâti la vallée de la Fensch, en Lorraine. Marylène Hofer (photo) est secrétaire comptable, mais elle gère surtout un bureau d’aide sociale pour les immigrés italiens. « Les jeunes peut-être pas, mais les plus de 60 ans se sentent toujours italiens. »

Elle regrette un peu qu’Hollande ne se soit pas présenté. « Il a tenté ce qu’il a pu, dit Marylène, Bien sûr, on peut toujours améliorer. Mais je pense qu’il avait quelque chose à terminer. » Elle a épousé un Italien – de la frontière autrichienne, d’où son nom. Et elle a voté « pour la gauche du PS ».

  • A Toulouse, « infliger une claque symbolique à Valls »

Il fallait braver le froid et la pluie à Toulouse pour venir voter aux primaires de la gauche dimanche 22 janvier. Rue Jean-Rancy, quatre bureaux de vote étaient réunis en un. Des bénévoles de tout âge assurent la tenue des bureaux.

Pour Mireille, jeune retraitée de 68 ans, c’est important de « faire nombre, de venir et montrer que le peuple de gauche est toujours là ». Elle l’admet : « c’est difficile de venir voter pour quelqu’un qui ne sera pas au second tour. » Mais elle pense que ça permettra de donner une impulsion et une direction à la gauche dans une période « à risque au niveau international ».

En avril, son vote ira, en revanche, pour M. Macron : « L’heure est grave et on ne plaisante plus. J’ai pleuré en 2002 quand il fallait voter Chirac, je ne veux pas d’une situation similaire. Si on a quelqu’un qui peut s’opposer à la droite, c’est bien. »

Eric Jousset, cadre dans la formation supérieure de 46 ans, ne se fait pas d’illusions non plus. « La gauche ne sera pas au second tour », prédit-il. Il s’agit donc pour lui de donner une orientation au parti, en votant pour Benoît Hamon. « C’est le seul qui a un vrai projet de société, d’avenir. Qui a pensé la fin du travail. » Il s’est décidé lors des débats et dit avoir été très étonné de voir émerger cette figure qui l’a séduit. Pour lui, les autres et notamment Arnaud Montebourg mènent des combats d’arrière-garde. Quant à M. Valls, non violent, il souhaite lui infliger une claque symbolique. « Comme celle qu’il nous a infligée avec le 49-3. »

  • A L’Haÿ-les-Roses, on regrette « Mitterrand, Chirac ou Jospin »

A L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), le bureau installé dans le quartier populaire de Lallier n’avait vu, à 13 h 30, que 55 personnes depuis ce matin sur 3 085 inscrits. « Dans le quartier, on parle plus des problèmes d’ici que de la primaire de la gauche… », commente Samia Benamar, 38 ans, qui tient le bureau de vote. Les « problèmes », c’est le projet de démolition de trois barres HLM, une restructuration du quartier annoncée dans la perspective de l’arrivée de la future ligne 14 du métro parisien, soutenue par le maire Les Républicains, Vincent Jeanbrun, élu en 2014 dans cette sous-préfecture traditionnellement à gauche.

« C’est 200 logements sociaux en moins », précise Samia. On s’inquiète de ce que vont devenir les habitants… Elle regrette de ne pas voir plus de militants socialistes venir ici à la rencontre des gens. Seuls dix votants se sont présentés dans les deux dernières heures. Laissant le temps aux quelques électeurs présents de refaire le monde, et la gauche, devant les urnes.

« Je viens voter, mais je suis hyperdéçue », lance Cindy, 35 ans, assistante juridique, venue voter avec sa mère Pascale, comptable de 54 ans, et un ami, Jean-François, ancien policier de 73 ans. Tous les trois ont manifesté contre la loi travail. « On en a fait des kilomètres ! Et pour rien, s’attriste Jean-François. Ils sont passés en force ! » Mais « là, on avait la gauche de droite », déplore Pascale.

Premier tour de la primaire de la gauche pour la présidentielle 2017. Bureau de vote dans l’école Jean-Jaurès à Trappes (Yvelines), dimanche 22 janvier 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

« On a la nostalgie, dit Cindy. La politique, elle est plus comme avant… C’est que du cinéma… Il n’y a plus d’hommes d’Etat comme Mitterrand, Chirac ou Jospin. » Ah, Jospin… « Le 21 avril 2002, c’est la plus grosse connerie des quinze dernières années en politique », acquiesce Abdoulaye Bathily, secrétaire de section PS. « Ce jour-là, j’étais dans un tel état de colère… Je me suis engueulé avec toute ma famille qui n’était pas allée voter. » Ressort aussi l’espoir déçu de la candidature de Dominique Strauss-Kahn partagé par Cindy, Pascale et Abdoulaye : « Lui, il s’y connaissait en économie. »

Voici soudain le maire PS de la ville voisine de Fresnes, Jean-Jacques Bridey, qui passe visiter le bureau, après avoir pris le pouls de ceux de sa ville. Lui soutient Emmanuel Macron. « Je passe seulement dire bonjour, voilà tout. » Pense-t-il que d’éventuels déçus du résultat de la primaire de la gauche pourraient rallier son candidat ? Il garde la mine fermée. « Je ne sais pas… On verra. »