Après le départ de Jammeh, les journalistes de Gambie savourent leur nouvelle liberté
Après le départ de Jammeh, les journalistes de Gambie savourent leur nouvelle liberté
Par Amadou Ndiaye (contributeur Le Monde Afrique, Banjul, envoyé spécial)
Absente des kiosques depuis cinq jours et muselée pendant vingt-deux ans de dictature, la presse gambienne reparaît, enfin.
Ousmane Kargbo, rédacteur en chef du quotidien gambien The Point frappe son clavier avec le sourire aux lèvres. Il est 21 heures ce dimanche 22 janvier et le journaliste vient de trouver le titre de son éditorial du lundi dans son bureau à Fajara, non loin du stade de Bakau : « 22 years of terror end in Gambia » (« fin de vingt-deux années de terreur en Gambie »). Le texte est une longue complainte contre le régime de Yahya Jammeh qui, au fil des ans, a soumis son peuple à la dictature. Détentions arbitraires, disparitions forcées, violations permanentes de la liberté d’expression et des libertés individuelles, tout y passe. « On se fait plaisir avec cette reprise de la liberté de ton. Cela faisait longtemps qu’on n’écrivait plus ce qu’on voulait en Gambie ! », exprime le journaliste heureux.
Un événement majeur avait poussé The Point, jadis réputé pour la crédibilité de ses informations, à se livrer à l’autocensure. Le soir du 16 décembre 2004, Dayda Hydara, fondateur du journal et doyen de la presse gambienne, vient de boucler son journal et raccompagne deux collègues avant de rentrer chez lui, à Jeshwang, sur la route de Banjul. Soudain, un taxi surgit à sa hauteur et ses occupants ouvrent le feu. Dayda est atteint à la tête, à la poitrine, à l’estomac. Il meurt sur le coup.
Sa famille n’obtiendra pas justice. Aucune enquête n’a été menée, aucune arrestation n’a eu lieu. L’assassinat de Dayda Hydara marqua le début d’une longue nuit pour la presse gambienne brutalisée et brimée durant tout le règne de Yahya Jammeh. Si bien que l’éditorial de ce lundi est aussi perçu par le rédacteur Ousmane Kargbo comme une revanche sur l’Histoire.
« L’émergence d’un pays »
Dans son rapport 2016, le bureau Afrique de l’Ouest de l’organisation pour la liberté d’expression Article 19 estime à une centaine le nombre de journalistes qui ont fui la Gambie depuis 1994.
Plus loin, à Westfield, l’un des quartiers où les manifestants ont célébré le départ de Yahya Jammeh samedi soir, la rédaction de The Voice, qui paraît trois fois par semaine, offre le décor d’un magasin abandonné. A l’intérieur, le rédacteur en chef Mussa Sheriff peine à se concentrer, tellement il est excité à l’idée de recommencer à publier son journal.
Depuis le 18 janvier, veille de la fin de l’ultimatum donné au président Yahya Jammeh par les forces de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) de quitter le pouvoir, aucun journal n’était paru en Gambie. « Nous avions tous peur que le régime envoie ses nervis dans nos rédactions ou des soldats pour nous éliminer », explique Bacary, une jeune journaliste gambienne.
L’éditorial de The Voice, tiré à 1 500 exemplaires, est titré « The new Gambia is born » : une nouvelle Gambie est née. Une aspiration à la construction d’un pays enfin débarrassé de ses clivages raciaux et ethniques exacerbés sous le règne de Yahya Jammeh. « A travers cet éditorial, notre journal invite les Gambiens à tout oublier et à s’employer résolument à l’émergence d’un pays qui doit être l’affaire de tous, sans oublier la diaspora », lance Mussa Sheriff.
Tout oublier, le nouveau président ne semble pas prêt à s’y résoudre, lui qui a dénoncé dans la soirée le fait que le dictateur Jammeh, en partant, aurait volé des millions de dollars aux caisses de l’Etat et emporté des voitures de luxe. De fait, et sans surprise, c’est cette ligne de « regarder devant, pas en arrière » que défend le Daily Observer, journal progouvernemental, qui titre son éditorial du jour « National reconciliation towards developement of Gambia », « la réconciliation nationale pour le développement de la Gambie ».
Au quartier Churchill Town, sur l’axe principal qui mène à la ville de Brikama, le quotidien Foroyaa a ses locaux au premier étage. Sam Sarr, directeur de publication, septuagénaire énergique, galvanise ses reporters. « Faites vite, le bouclage est avancé aujourd’hui ! », rappelle-t-il. Dans son éditorial de ce lundi, il salue la fin de la dictature et appelle le président Barrow à rentrer le plus tôt possible en Gambie, pour prendre contrôle de la situation du pays.