Un nouveau scénario pour expliquer l’extinction des dinosaures
Le ciel et la terre, unis pour liquider les dinosaures
Par Nathaniel Herzberg
Pour les scientifiques de Berkeley, une météorite au Mexique et les volcans en Inde auraient provoqué ensemble l’extinction survenue il y a 66 millions d’années
Le squelette le plus complet du Stegosaurus exposée au Museum d'Histoire Naturelle de Londres le 3 décembre 2014. | PAUL HACKETT / REUTERS
Mieux qu’un armistice, une paix des braves. Dans un article paru jeudi 1er octobre dans la revue Science, l’équipe de géoscience de l’université de Berkeley propose de mettre un terme à l’une des controverses les plus tenaces du monde scientifique : la cause de la disparition des dinosaures. Voilà quatre décennies que les scientifiques se déchirent pour expliquer la crise biologique majeure qui élimina les trois quarts de la faune terrestre et marine, et marqua la transition entre le crétacé et le tertiaire.
Faut-il y voir l’effet de la chute d’une météorite, il y a 66 millions d’années, au large du Mexique ? Ou plutôt de l’exceptionnel volcanisme qui sévit à la même époque au Deccan, dans l’ouest du territoire actuel de l’Inde ? Au terme d’une fine étude géologique et de nouvelles datations des laves, les chercheurs californiens invitent à considérer les deux phénomènes comme « un seul événement ». Les grands sauriens auraient péri de ce que Berkeley nomme, usant de la métaphore pugilistique, un puissant « droite-gauche ».
« Smoking gun »
C’est à la fin des années 1970 que Luis Alvarez, déjà Prix Nobel de physique en 1968, et son fils Walter, songent à doser l’iridium dans la couche dite K-T (la limite crétacé-tertiaire). Presque totalement dépourvue de fossiles, cette strate géologique, retrouvée partout sur la Terre, témoigne de l’extinction massive survenue à l’époque. Ils découvrent que l’iridium, très rare à la surface du globe, se trouve en abondance dans la couche K-T. Or, ce métal est l’une des signatures des objets célestes. Les deux chercheurs de Berkeley avancent donc l’hypothèse de la chute d’un astéroïde. Leur théorie se trouve renforcée quinze ans plus tard, lorsque des mesures de gravimétrie permettent de découvrir, au large de la péninsule du Yucatan (Mexique), près du petit port de Chicxulub, un gigantesque cratère de météorite. L’objet de quelque 10 km de diamètre aurait laissé un « trou » de 200 kilomètres de large, dissimulé par des centaines de mètres de sédiments.
Le « smoking gun » découvert, l’explication devenait limpide : l’impact de l’astéroïde avait projeté dans l’atmosphère une quantité phénoménale de poussière. L’épais nuage avait durablement privé la planète de lumière, tuant d’abord les plantes et planctons. Puis l’essentiel de la faune.
Sauf qu’en 1986, une nouvelle théorie surgit. Portée par le Français Vincent Courtillot, elle pointe un nouveau coupable : les trapps du Deccan. Ces énormes formations basaltiques de l’ouest de l’Inde recouvrent, sur un kilomètre d’épaisseur, un territoire grand comme la France (500 000 km2). Et encore : les deux tiers ont été avalés par l’érosion. Or, l’âge de ces couches de lave, entre 65 et 70 millions d’années, semble bel et bien coïncider avec la crise biologique. Tout comme les précédents: les quatre autres extinctions massives sont toutes attribuées à une activité volcanique exceptionnelle. Quant au mécanisme, il paraît là encore cohérent. Les immenses coulées magmatiques auraient rempli l’atmosphère d’aérosols sulfurés, de quoi plonger la Terre dans un durable hiver.
Alors, volcans ou météorites ? Depuis vingt ans, Capulets et Montaigus des géosciences se rendaient coups pour coups. Trop lente, étalée sur plusieurs millions d’années, l’activité volcanique ne pouvait à elle seule avoir refroidi la planète, disaient les uns. Trop précoce, la météorite aurait dû tuer les dinosaures 300 000 ans plus tôt, répliquaient les autres. Sitôt avancés, les arguments étaient corrigés. Ainsi les « volcanos » affinaient leur séquence et établissaient la brutalité de certains phénomènes magmatiques. Quant aux « astéros », ils ramenaient le décalage à… 32 000 ans, une broutille à l’échelle géologique. Les combattants semblaient infatigables. Analyses chimiques, études géologiques, modélisations, datations : chaque congrès international leur offrait l’occasion de ferrailler, au point de lasser une partie de la communauté scientifique.
Onde sismique phénoménale
Faut-il y voir les raisons de la main tendue par Paul Renne et Mark Richards, deux figures de Berkeley ? Leur équipe est allée étudier la formation des fameux trapps. Comme les Français avant eux, ils ont mis en évidence trois époques. Les deux premières, marquées par des écoulements assez réguliers. La troisième, caractérisée par un débit moyen deux fois plus élevé, mais surtout beaucoup plus saccadé, chaque « saccade » projetant dans l’atmosphère une quantité considérable de sulfure d’oxygène.
Or, la datation à l’argon, qu’ils sont parvenus, pour la première fois, à réaliser est édifiante : le changement de régime volcanique serait intervenu moins de 50 000 ans après la chute de la météorite à Chicxulub. Un hasard ? Mark Richards le juge presque impossible. « Deux événements sur un si bref laps de temps, ça peut être une coïncidence. Mais trois, à savoir, la météorite, le nouveau régime du Deccan et l’extinction massive, ça nous paraît très peu probable. Disons moins d’une chance sur 100. » « Il faut désormais considérer que les deux phénomènes ont contribué, ensemble, à la crise biologique », renchérit Paul Renne.
Un diagnostic que veut bien partager Frédéric Fluteau, professeur à l’Institut de physique du globe de Paris, cosignataire des derniers articles des « volcanos ». « Leur nouvelle datation est d’une précision impressionnante, salue-t-il. On a désormais deux phénomènes qui se déroulent en même temps, avec la même signature et les mêmes conséquences : cela devient difficile de nous départager. J’ai de sérieuses réserves en revanche sur le mécanisme qu’ils proposent. »
Pour les Américains, la météorite aurait non seulement projeté son fameux nuage, mais aussi provoqué une phénoménale onde sismique. « L’équivalent d’un tremblement de terre de magnitude 11 », assure Paul Renne. De quoi fragiliser la lithosphère de l’autre côté du globe ? Mark Richards en est persuadé. « Le système volcanique était déjà très actif, et il a continué longtemps après l’impact », interdisant tout retour en arrière, concède le chercheur. Deux criminels, donc. « Mais l’impact a manifestement eu des conséquences sur le régime volcanique », ajoute-t-il. Autrement dit, un commanditaire ? « On va encore pouvoir discuter », sourit Frédéric Fluteau.