Tijan Barrow, sérigraphe à Banjul, dernier prisonnier de Yahya Jammeh et l’un des premiers libérés
Tijan Barrow, sérigraphe à Banjul, dernier prisonnier de Yahya Jammeh et l’un des premiers libérés
Par Amadou Ndiaye (Contributeur Le Monde Afrique, Banjul, envoyé spécial)
Le jeune entrepreneur a été battu et jeté dans les geôles de la police politique gambienne pour avoir imprimé des tee-shirts dénonçant la dictature.
Mercredi 18 janvier, il est 17 heures à Banjul lorsque cinq véhicules remplis de soldats débarquent devant l’atelier d’impression de tee-shirts de Tijan Barrow, le sommant de tout arrêter. Nous sommes au quartier Pipeline, 13 km du centre de la capitale, à la veille de la prestation de serment du nouveau président Gambien Adama Barrow prévue à Dakar. Tijan est en train de finir une commande de 77 tee-shirts sur lesquels il doit imprimer l’inscription « Gambia has decided », le slogan de l’opposition à l’autocrate Yahya Jammeh (« la Gambie a choisi [la démocratie] »).
La commande lui avait été faite par une dame, deux jours plus tôt. Après avoir essuyé une avalanche d’injures, il sera traité de « diviseur » et « d’incitateur à la violence » avant de voir, séance tenante, tout son matériel, ordinateurs, machines d’impression, cassé à coups de matraque. Le bureau est sens dessus dessous, Tijan, 35 ans, est conduit manu militari dans un véhicule tout-terrain noir sans immatriculation. Trois de ses employés sont embarqués avec lui.
« Ton nom t’amènera de sérieux ennuis ! »
« Dans un premier temps, les militaires ont dit qu’ils allaient nous amener à la State House [la résidence présidentielle] devant le président Jammeh, mais j’ai pu entendre quelqu’un leur dire au téléphone qu’il recevait à l’instant une délégation du président de la Mauritanie », explique Tijan. Le chef de l’Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz tentait une ultime médiation pour convaincre Yahya Jammeh, battu à la présidentielle du 1er décembre 2016 mais qui s’accrochait au pouvoir, de quitter le pays pour éviter une intervention imminente des forces de la Cédéao massées aux frontières gambiennes.
Les soldats changent alors de destination pour se rendre dans les locaux de la NIA, la police secrète redoutée, à quelques jets de pierre de la Cour suprême de Banjul.
« Tout le long du chemin, j’ai reçu des coups de matraque et des gifles d’une violence rare », raconte Tijan, qui en porte encore les stigmates à l’œil gauche. Lorsque les soldats lui ont demandé son nom de famille, il a répondu « Barrow », de quoi provoquer leur colère. Car c’est aussi celui du président élu, Adama Barrow, sans qu’il y ait de liens de parenté entre eux. « Ton nom t’amènera de sérieux ennuis, maudits soyez-vous ! », lui jette en pleine figure un soldat avant que les coups de matraques ne fusent davantage.
A 19 heures, les portes de la NIA avec leur charge de terreur et de torture se referment sur les jeunes sérigraphes. « Nous étions cinq dans une cellule infestée de moustiques, très sale, recevant une nourriture de très mauvaise qualité », raconte le trio. Dans les geôles de la NIA, Tijan et ses camarades tombent sur des personnalités : Sarjo Jallow, ancien ministre et ancien ambassadeur gambien auprès de l’Union africaine ; Lang Jabie, millionnaire gambien ayant mis plusieurs véhicules à la disposition de la coalition victorieuse de la présidentielle ; Bacary Fatty, journaliste à la télévision nationale.
« Libérés en catimini »
La NIA, terrible police secrète du régime Jammeh, est devenue tristement célèbre en pratiquant la torture et les exécutions extra-judiciaires pour casser la liberté d’expression en Gambie et détruire dans l’œuf toute opposition.
Samedi, après trois jours de détention, alors que le pays retient son souffle dans l’attente du départ du président Jammeh qui a annoncé dans la nuit qu’il renonçait au pouvoir en remerciant « tous les Gambiens », la NIA vide ses cellules en catimini. « Nous avons tous été libérés vers midi car nous devenions des prisonniers trop encombrants, refusant la nourriture et défiant l’autorité après la prestation de serment, jeudi, d’Adama Barrow, qu’on a pu suivre sur un téléviseur au fond d’un couloir », raconte Tijan.
Le retour à l’atelier de Pipeline est un choc. Tout est détruit, plusieurs commandes ont disparu, au total 400 tee-shirts et 14 000 dalasis (environ 400 euros). « C’est dix ans de travail qui ont été effacés, souffle le sérigraphe les larmes aux yeux. Cet atelier, c’était mon gagne-pain, c’était toute ma vie ainsi que celle de mes employés. »
Yahya Jammeh a quitté la Gambie après vingt-deux ans de pouvoir exercé d’une main de fer. Mais Tijan et ses employés sont désormais au chômage. Tout est à refaire.
Gambie : les images du départ du dictateur Yahya Jammeh
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