Pour qui les nouveaux votants penchent-ils ?
Deuxième tour de la primaire à gauche : pour qui les nouveaux votants penchent-ils ?
La participation au second tour de la primaire à gauche est en hausse à la mi-journée. Les nouveaux votants plébiscitent à la fois Benoît Hamon et Manuel Valls, selon les envoyés spéciaux du « Monde » dans les bureaux de vote.
Deuxième tour de la primaire de la gauche pour la présidentielle 2017. Bureau de vote dans l’école Jean-Jaurès à Trappes, Yvelines, dimanche 29 janvier 2017 - 2017©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
C’était la grande inconnue de ce scrutin. La participation au second tour de la primaire à gauche est en hausse à la mi-journée : à midi, plus de 567 000 personnes avaient voté, dimanche 29 janvier, pour 75 % des bureaux. La semaine dernière à la même heure, ce sont 400 000 personnes qui s’étaient déplacées pour 63 % des bureaux de vote.
A qui, de Benoît Hamon ou de Manuel Valls, profite cette hausse ? Difficile à dire à cette heure-ci, selon les envoyés spéciaux du Monde, qui suivent la journée de vote à travers le pays.
- A Lille : « Hamon incarne le plus la gauche »
Dans le bureau de vote 413 de l’école Jean-Zay, dans le quartier Saint-Maurice Pellevoisin de Lille, 460 personnes sont venues voter au premier tour de la primaire de la Belle Alliance populaire, dont 49,89 % pour Benoît Hamon. Une semaine après, même ambiance mais un gros changement : il y a beaucoup plus de monde. « De 65 électeurs à 11 heures dimanche dernier, on est passé à 121 à 11 h 30 », explique Martine Bloch, la présidente du bureau.
Parmi les nouvelles têtes, Brahim Fenzi, venu voter pour Hamon avec sa compagne. Pas présent à Lille la semaine dernière, ce conseiller à Pôle emploi est venu voter pour « celui qui incarne le plus la gauche ». Hier soir, lors d’un dîner avec une dizaine d’amis, le débat a porté sur la présidentielle : « Environ la moitié des potes voteront Hamon au premier tour, l’autre moitié, plus pragmatique, pour Macron ». Lui, votera Hamon. « Depuis Mitterrand, on n’a plus voté par conviction. Moi, à 48 ans, je n’ai jamais voté par conviction ! Ça fait longtemps qu’on n’avait pas eu un candidat qui incarne le socialisme. Avec Hollande, on était emballé. On a déchanté après ».
Annie Lepage non plus n’a pas voté au premier tour mais après les propos de Benoît Hamon sur la laïcité et sur « le partage des héritages », impossible pour elle de rester silencieuse. « Je suis issue d’une famille monoparentale. Tout ce que j’ai, je l’ai gagné en travaillant et je veux que ça aille à mes enfants ». Licenciée économique à deux reprises, cette jeune retraitée de 64 ans, plutôt tendance Bayrou, a l’impression « que les classes moyennes vont devoir partager », et c’est non. Elle a donc voté Manuel Valls mais avoue être totalement perdue pour la présidentielle. « C’est terrible ! Ce n’est jamais arrivé à une élection présidentielle de ne pas savoir pour qui voter ! »
- A Marseille : « Nous sommes des gens de gauche modérés »
Au premier tour, Michel Touche n’avait pas participé à la primaire à gauche : « J’étais indécis, c’était trop confus avec ces sept candidats ». Pour ce second tour, il accompagne cette fois Valérie, son épouse, à l’école Chave de Marseille (5e). Et tous deux sont venus avec Lilou, leur enfant adolescente. Le couple a apporté ses deux voix à Manuel Valls. « Il est plus logique, plus net, plus crédible » énumère Valérie. Son mari embraye : « On trouve qu’Hamon a ouvert des débats intéressants, mais son programme est trop…. » « surréaliste », coupe Lilou… « C’est exactement ça » ponctuent les parents, hilares. « Nous sommes des gens de gauche modérés, explique Valérie et nous n’avons pas envie de nous retrouver avec le Front national au pouvoir… L’idéal, ce serait que Macron et Valls se mettent d’accord ».
Philippe Agulles, lui non plus, n’était pas venu au premier tour. « Je n’avais pas trouvé la motivation, explique-t-il, mais Martine Aubry m’a convaincu de me déplacer. Valls, c’est un centriste. Je le range dans la même catégorie que Macron. Et moi, je veux que le PS aille vers la gauche. »
Bernard Pesce, lui, interpelle le candidat Bennahmias, qui fume une cigarette dans la cour de son bureau de vote : « Je voulais vous saluer, monsieur Bennahmias, attaque l’enseignant. Et vous remercier pour les idées nouvelles que vous avez défendues dans la campagne ». Malgré les compliments, l’électeur marseillais avoue qu’il n’est pas venu voter au premier tour. Et que s’il se déplace aujourd’hui, c’est pour « éliminer quelqu’un ». Qui ? « Mon ancien ministre de l’éducation, Benoît Hamon… Qu’est-ce qu’il a fait ? Il nous a abandonnés », s’agace-t-il. Jean-Luc Bennahmias a beau tenter d’expliquer qu’Hamon « a quitté le gouvernement à l’insu de son plein gré », l’enseignant affiche crûment ses désillusions :
« A droite comme à gauche, on ne nous présente que du réchauffé… Et personne ne se rend compte que le Front national avance partout. Mes deux enfants vont voter pour la première fois à une présidentielle, et je ne sais pas quoi leur dire. »
- A Trappes : Hamon « la bonne surprise »
Farida Thurin, inscrite dans le même bureau que Benoît Hamon à Trappes (Yvelines), hésite encore. La contrôleuse de gestion de 38 ans n’était pas venue voter la semaine dernière. Aujourd’hui, elle a voulu donner un peu de légitimité supplémentaire à Benoît Hamon, la « bonne surprise ». Mais au premier tour de la présidentielle, pas sûr qu’elle penche pour lui. Habituellement, elle choisit le bulletin « extrême gauche ou écolo », avant de voter « plus sérieusement » au second tour.
Autre bureau de vote, même discours anti-Valls. Angelique, 34 ans, pensait qu’il fallait être encartée alors elle a raté le scrutin de la semaine dernière. Aujourd’hui, elle s’est déplacée jusqu’à l’école Gustave-Flaubert « par rébellion » contre l’ancien premier ministre. Et pour apporter son soutien à la gauche « plus sociale » de Benoît Hamon. Directrice d’un centre de loisirs, elle élève seule son fils avec 1 200 € par mois, et les fins de mois sont difficiles. « Y’a des aides pour les riches, pour les pauvres mais pour les moyens y’a rien. »
Rabah Bensmaine, qui n’a pas non plus voté la semaine dernière, acquiesce. « C’est toujours la classe moyenne qui prend. » À 49 ans, l’employé d’immeuble regrette la « Belle Époque » de Mitterrand. Sa fille rit à ses côtés mais si elle est venue, c’est qu’elle est inquiète. L’étudiante en première année de master en ressources humaines craint que son voile ne devienne un obstacle à ses études. Manuel Valls s’est en effet prononcé pour son interdiction à l’université. « Pour moi, Valls est contre l’Islam, et avec Trump tout ça, là on a peur, » résume son père.
- Au Rheu, en Bretagne : « Donner un élan à la gauche »
En Bretagne, un certain nombre d’élus, de présidents de bureau et d’assesseurs signalent une hausse de la participation par rapport au premier tour. Au Rheu, commune de 8 000 habitants située dans la proche banlieue rennaise, la participation était, à 13 heures, selon les responsables présents sur place, « légèrement supérieure » à celle constatée la semaine passée.
Dominique, 52 ans, dessinateur indépendant, fait partie des électeurs qui ne se sont déplacés que pour le second tour. Il a glissé un bulletin Hamon dans l’urne « pour donner un élan à la gauche » : « Si beaucoup de gens se mobilisent aujourd’hui, ça peut donner une dynamique à la campagne », affirme-t-il. Il précise qu’il ne sait pas « du tout » pour quel candidat de gauche il votera au premier tour de l’élection présidentielle : « J’attends de voir ce qui se dira pendant la campagne. »
Retraités, Monique et Jean, respectivement 74 et 69 ans, ont également fait le déplacement cette semaine alors qu’ils étaient restés chez eux le 22 janvier. Soutiens et électeurs de Jean-Luc Mélenchon, pour qui, affirment-ils, ils voteront au premier tour de la présidentielle, ils ont donné leur voix à Benoît Hamon ce dimanche. « Nous votons pour influer sur l’avenir de la gauche, confient-ils. Nous voulons que le PS bascule du côté qui nous convient le mieux. »