Le 30 janvier 2017, le petit sous-marin à deux places plonge dans les eaux brésiliennes, pour explorer les fonds, 95 mètres plus bas. | Marizilda Cruppe/Greenpeace

Surtout, rester calme. Se rappeler que la manette verte, à gauche, permet de corriger l’oxygène. Mais qu’il ne faut surtout pas s’en servir. La noire, c’est pour la pression qui doit rester négative dans le minuscule habitacle du sous-marin qui m’entraîne, ce lundi 30 janvier, à une centaine de mètres de fond, au large de l’Amazone, à la découverte d’un récif corallien, tout juste mis à jour mais déjà menacé par des projets pétroliers.

Depuis une semaine, le navire amiral de la flotte de l’organisation internationale Greenpeace, l’Esperanza, vogue sur l’océan, au-dessus de ce qui semble être une incroyable découverte, un massif s’étendant sur un millier de kilomètres, à quelque 200 à 300 kilomètres des côtes brésiliennes, au large des Etats du Maranhão, du Para et d’Amapa, jusqu’à la frontière avec la Guyane française.

A son bord, quatre scientifiques brésiliens, qui font partie de la nombreuse équipe ayant mis à jour cette découverte, par un article dans la revue Science en avril 2016, les membres de l’équipage, très international, du navire de Greenpeace, des militants brésiliens de l’organisation, les techniciens de la société canadienne Nuytco Research en charge des sous-marins et deux journalistes (du New York Times et du Monde).

Depuis le 24 janvier 2017, le navire amiral de la flotte de Greenpeace, l’« Esperanza », navigue au large de l’Amazone et des côtes brésiliennes à la découverte d’un récif corallien. | Marizilda Cruppe/Greenpeace

95 mètres sous l’« Esperanza »

Deux autres leviers, rouges, permettent de libérer des lests en plomb pour remonter en urgence, si le pilote se trouve dans l’incapacité de le faire. Et si cela ne fonctionne pas, sous les fesses, encore une poignée à tourner. Et puis pomper au moyen d’un levier coincé entre les jambes. Pour libérer l’air des ballasts. L’extincteur est derrière la tête. Difficile d’attraper la goupille et de la déclencher, d’autant qu’on ne peut absolument pas se retourner.

Pas de panique, de la vingtaine de consignes qu’il a fallu apprendre durant deux séances de formation, distillées en anglais avec de nombreux termes techniques qui me faisaient parfois douter d’une bonne compréhension, je n’aurais à me servir que de quelques-unes. Car le pilote, Kenneth Lowyck, très expérimenté, est en charge de la plupart des manœuvres.

Au cas où, a quand même insisté l’ingénieur canadien, Jeff Rozon, « le pied droit permet de diriger le sous-marin, droite-gauche, de le faire avancer et reculer, le pied gauche commande la remontée ou la plongée ». A condition que le pilote me passe les commandes. En cas d’accident, s’il se trouve mal, il faudra me rappeler de toutes les manœuvres d’urgence.

A quelque 220 km des côtes brésiliennes et de l’embouchure de l’Amazone, des Jack Dempsey, appelés scientifiquement « Cichlasoma octofasciatum », traversent le faisceau lumineux du sous-marin qui permet d’éclairer le fond. | R.Bx

Seuls les courants, très forts, rendent difficile la stabilisation du sous-marin. Nous sommes posés sur le fond, 95 mètres en dessous de l’Esperanza qui nous accompagne en surface. Toutes les quinze minutes, le capitaine et l’équipe composée des ingénieurs de la société canadienne, des scientifiques brésiliens et des responsables de Greenpeace nous demandent de vérifier l’état de la pression : – 1 psi, unité anglo-saxonne, « pound-force per square inch » (livre-force par pouce carré).

Cette pression négative permet de mieux sceller le dôme en verre, qui enveloppe ma tête, au sous-marin, et de vérifier son étanchéité. La deuxième mesure à transmettre à la surface concerne l’oxygène : sa part, de 20,8 % dans l’air au début de la plongée est montée à 22 %. « Il ne faut pas que ce pourcentage sorte d’une fourchette de 19 % à 21,8 % », a insisté Jeff Rozon. Si tel était le cas, le bateau me demanderait d’agir. Enfin, troisième contrôle, il faut placer les mains devant deux petites souffleries d’air et annoncer qu’elles fonctionnent.

Immense raie manta

Puis, le contact avec l’Esperanza est à nouveau coupé. Seuls les bruits continus du moteur du sous-marin, ainsi que ceux du déclenchement du bras articulé, permettant de filmer et de prendre des photos, envahissent l’habitacle. Le crachotement dans le casque indique que Kenneth me signale quelque chose. S’il pilote le sous-marin et le bras articulé, c’est à moi de déclencher le laser, de filmer et de prendre les photos, en zoomant si nécessaire.

Au dessus du dôme de verre qui enveloppe nos têtes, une raie manta à l’envergure impressionnante, environ trois mètres, se livre à un gracieux ballet devant le sous-marin. | R.Bx

Nul besoin de zoom pour saisir l’immense raie manta, quelque trois mètres d’envergure, qui vient de passer devant nos yeux. Volant gracieusement dans les eaux profondes, elle nous observe, étonnée d’une présence humaine jusque-là inconnue dans cette zone. Elle tourne autour du petit submersible rouge, comme les nombreux poissons qui peuplent la zone, en particulier des labres – il existe quelque 500 espèces de « labridae » –, dont l’éclair argenté traverse incessamment la lumière de notre projecteur.

Mais peu de coraux. Un cordon blanc de quelques dizaines de centimètres s’agite dans le courant, ancré au sol. C’est un « black coral », expliquera ensuite Ronaldo Francini Filho, professeur de biologie marine à l’université de l’Etat de Paraiba. Devant nos yeux, à perte de vue, enfin à la dizaine de mètres de visibilité qu’autorise la faible luminosité, des rhodolites (nodules ou concrétions calcaires issues d’algues calcifiées) ornent les ondulations du sol, telles des vaguelettes formées par les courants.

Sur le fond sablonneux, autour des éponges de couleurs variées, nagent de superbes poissons-anges royaux et poissons-anges tricolores (en noir et jaune). | Greenpeace

« Nous en savons moins sur l’océan que sur Mars »

Après plus de 1 h 30 passée au fond, il est temps de remonter. Les manœuvres restent impressionnantes, avec l’agile plongeur, Texas, militant canadien, qui doit décrocher ou accrocher le filin qui permettra au bateau de nous tracter jusqu’à lui. Autour de nous, outre Texas qui en profite pour nous filmer sous l’eau, l’un des nombreux zodiacs embarqués sur l’Esperanza tourne pour assurer la sécurité de la manœuvre et récupérer le plongeur.

Chaque entrée ou sortie de l’eau du sous-marin de la société canadienne Nuytco Research passe par les airs, au-dessus du pont de l’« Esperanza ». Dans la mer, un zodiac et un plongeur de Greenpeace assurent la sécurité des opérations. | Marizilda Cruppe/Greenpeace

Après les fonds océaniques, nous voici dans les airs. Une dernière secousse quand le sous-marin se pose sur le pont et Jeff Heaton, qui supervise les manœuvres pour Nuytico, me demande d’assurer les ultimes manipulations : inverser la pression dans l’habitacle afin qu’elle ne soit plus négative et que l’on puisse ouvrir le dôme en verre. Puis déverrouiller celui-ci, quatre dernières manettes à tourner.

L’air libre s’engouffre dès le couvercle soulevé et tous les membres de l’équipage, les scientifiques applaudissent. Comme à chaque plongée, heureux que tout se soit bien déroulé, satisfaits des images que le sous-marin remonte à chaque descente. Congratulations, tapes dans le dos, embrassades, on a l’impression de revenir d’une planète lointaine.

« Mais nous en savons moins sur l’océan, sur cette zone en particulier, que sur Mars, ne cesse de répéter Fabiano Thompson, océanographe et professeur de microbiologie à l’université fédérale de Rio de Janeiro. A l’issue de cette mission, avec Greenpeace, nous connaîtrons encore moins de 10 % de ce récif corallien. »

Richesse de la biodiversité

Si les images ramenées ce lundi semblent moins intéressantes que celles des jours précédents, elles représentent pour ces scientifiques la preuve indéniable de la richesse de la biodiversité de cette zone. Et pour eux comme pour Greenpeace, la nécessité urgente de la protéger contre les projets pétroliers déjà recensés, la plupart au nord de cette aire qui couvre près de 10 000 km².

Surpris dans son enveloppe minérale, un charmant « Cephalopholis fulva », aussi appelé coné ouatalibi ou encore tanche. Chaque plongée du sous-marin (ou presque) révèle des trésors de biodiversité au fond de l’océan, au large de l’Amazone. | R.Bx

Depuis une semaine, l’ancien bateau d’expédition et de lutte contre les incendies de la marine russe, de 72 mètres de long, construit en 1984 et acquis par Greenpeace, a parcouru quelque 1 200 km. Cherchant vers le Sud, ou vers l’Ouest, de nouveaux fonds propices à la plongée. Lundi, l’Esperanza était à 220 km des côtes. En près de deux heures, dans le petit submersible, nous n’avons parcouru qu’à peine 3 kilomètres, ballottés par les courants. La veille comme l’avant-veille, toutes les plongées avaient été supprimées, la force des vents et des courants, l’importance des vagues rendant périlleuse toute tentative.

« Nous ne savons jamais ce que nous allons trouver en descendant, nous essayons parfois de tester en descendant une caméra avant, mais toute information recueillie nous permet de documenter ce récif », explique Ronaldo Francini Filho. Lors de la première plongée de cette mission, qu’il a effectuée vendredi 27 janvier, Ronaldo s’est enthousiasmé des nombreuses espèces rencontrées, éponges, coraux, poissons, crevettes, crabes et langoustes. « Je suis presque sûr d’avoir identifié deux nouvelles espèces de poissons papillons », racontait-il, excité comme un gamin, à l’issue de ce premier plongeon sur le récif corallien de l’Amazone.