Un accord sur les réfugiés avec l’Australie énerve Donald Trump
Un accord sur les réfugiés avec l’Australie énerve Donald Trump
Par Gilles Paris (Washington, correspondant), Frédéric Saliba (Mexico, correspondance), Caroline Taïx (Sydney, correspondance)
Le président américain met en cause l’accord conclu entre Canberra et l’administration Obama.
Le premier ministre australien Malcolm Turnbull à Canberra, en septembre 2016. | STRINGER / REUTERS
Le premier ministre australien est diplomate. Lorsqu’il a été interrogé jeudi 2 février à propos de la réaction orageuse qu’il aurait essuyée, quatre jours plus tôt, en s’entretenant avec le président américain Donald Trump, Malcolm Turnbull s’est contenté de déclarer qu’« il va[lai]t mieux que ces choses, ces conversations, soient conduites en toute franchise, en privé ». Le premier ministre a ajouté que les liens entre son pays et les Etats-Unis restaient « très forts » et a refusé d’en dire plus. Une réaction qui n’avait rien d’un démenti.
Quelques heures plus tôt, le Washington Post avait évoqué un échange tournant court après que le président des Etats-Unis avait haussé le ton en semblant découvrir les tenants et aboutissants d’un accord conclu par l’administration précédente. Cette dernière s’était engagée à accueillir 1 250 réfugiés retenus dans les centres de détention australiens de Nauru et Manus. Des Rohingya de confession musulmane fuyant les persécutions en Birmanie figurent manifestement parmi ces réfugiés. En 2016, les Etats-Unis ont accueilli plus de 12 300 réfugiés originaires de ce pays, toutes ethnies confondues.
Survenant au lendemain de la signature par M. Trump d’un décret gelant les arrivées en provenance de pays en proie au terrorisme, le rappel de ce dossier par Malcolm Turnbull a manifestement exaspéré le président des Etats-Unis, selon les extraits publiés par le Washington Post. Ce dernier se serait emporté contre « le pire accord jamais conclu », qui allait « l’assassiner politiquement », avant d’accuser son interlocuteur de vouloir lui envoyer « les futurs artificiers de Boston », dans une allusion à l’attentat perpétré en 2013 par les frères Tamerlan et Djokhar Tsarnaev, nés respectivement au Daghestan et au Kirghizistan.
« Marché stupide »
M. Trump aurait ajouté que son échange, qui intervenait après des appels téléphoniques avec le premier ministre japonais Shinzo Abe, le président russe Vladimir Poutine, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, était « le pire, et de loin » de la journée. Prévu pour durer une heure, il se serait interrompu au bout de vingt-cinq minutes.
Alors que la Maison Blanche n’avait pas encore réagi à l’article du quotidien de la capitale fédérale, M. Trump a publié sur son compte personnel Twitter un message témoignant : d’abord qu’il l’avait bien lu ; ensuite qu’il n’en démentait pas le contenu ; enfin qu’il n’excluait pas de rompre l’accord. « Est-ce que vous pouvez le croire ? L’administration Obama a accepté de prendre des milliers d’immigrants illégaux d’Australie. Pourquoi ? Je vais étudier ce marché stupide ! », a tonné le président des Etats-Unis.
Do you believe it? The Obama Administration agreed to take thousands of illegal immigrants from Australia. Why? I will study this dumb deal!
— realDonaldTrump (@Donald J. Trump)
M. Trump a déjà embarrassé l’Australie en mettant brutalement fin à la participation de Washington à un accord de libre-échange avec des pays riverains du Pacifique. L’ambassade des Etats-Unis a pourtant assuré que l’accord conclu par M. Obama serait honoré.
Quelques heures plus tôt, l’agence de presse Associated Press avait rendu compte d’une autre conversation téléphonique à la tonalité inhabituelle. Elle renvoyait cette fois à celle qu’avait eue M. Trump avec son homologue mexicain, Enrique Peña Nieto. Survenant au lendemain de l’annulation abrupte d’une visite à Washington du président du Mexique, cet appel avait pour objectif de témoigner des bonnes relations entre les deux hommes, en dépit du différend créé par la volonté de M. Trump de faire payer à son voisin le « mur » qu’il veut ériger à la frontière sud des Etats-Unis.
Au cours de la conversation, M. Trump aurait tenu des propos peu amènes vis-à-vis du Mexique. « Vous avez plein de “bad hombres” [« mauvais hommes »] chez vous. Vous ne faites pas assez pour les arrêter, aurait déclaré le président des Etats-Unis. Je pense que vos militaires ont peur. Les nôtres n’ont pas peur et je vais peut-être les envoyer chez vous pour qu’ils s’en occupent », aurait ajouté M. Trump, contraignant les deux présidences à des démentis pittoresques.
« Une excuse doit être demandée »
« C’est absolument faux que le président des Etats-Unis a menacé le président mexicain d’envoyer ses troupes armées au Mexique », a déclaré le porte-parole de la présidence mexicaine, Eduardo Sanchez, sur la chaîne télévisée Milenio TV, avant que la Maison Blanche ne tienne un propos identique. Le porte-parole a ajouté que la conversation téléphonique entre les deux hommes avait été respectueuse. M. Sanchez a néanmoins reconnu que, durant cette conversation téléphonique, Enrique Peña Nieto « a fait référence à la capacité des cartels de la drogue, renforcée par le trafic d’armes et d’argent liquide en provenance des Etats-Unis, obligeant le Mexique à déployer l’armée dans les rues ».
Dans la foulée, Andres Manuel Lopez Obrador, dirigeant du Mouvement de régénération nationale (Morena, gauche, opposition), a déclaré sur son compte Twitter que « si Trump a humilié EPN [Enrique Peña Nieto], une excuse doit être demandée au peuple du Mexique et une plainte doit être déposée auprès de l’ONU contre le gouvernement des États-Unis ».
Si Trump sobajó a EPN debe ofrecerse una disculpa al pueblo de México y presentarse una denuncia en la ONU contra e… https://t.co/1BItvqPWZ3
— lopezobrador_ (@Andrés Manuel)
Il a aussi exigé que la transcription complète de la conversation entre les deux présidents soit rendue publique. Selon Hector Aguilar Camin, écrivain et éditeur de la prestigieuse revue mexicaine de science politique Nexos, ces informations révèlent que « la crise diplomatique entre les deux pays est profonde et inédite depuis 170 ans ».