Pour Terra Nova, les parlementaires ne doivent plus recruter de collaborateur parmi leurs proches
Pour Terra Nova, les parlementaires ne doivent plus recruter de collaborateur parmi leurs proches
Par Bertrand Bissuel
Le think tank publie un rapport pour renforcer la lutte contre les conflits d’intérêts.
Députés Les Républicains à l’Assemblée nationale, en juin 2015. | CHARLES PLATIAU / REUTERS
Voilà un rapport qui jette une pierre de plus dans le jardin de François Fillon. Pour mieux combattre les conflits d’intérêts, la fondation Terra Nova, un think tank proche du Parti socialiste, devait diffuser, vendredi 3 février, une quinzaine de recommandations, dont l’une vise à « interdire l’embauche discrétionnaire par un parlementaire d’un parent ou d’un conjoint comme collaborateur ». Citant l’exemple de la femme de l’ancien premier ministre, les auteurs de la note ajoutent, sur un ton cinglant, que « cela ne devrait plus pouvoir se produire, tant les conséquences en sont symboliquement désastreuses, mais cela devrait aussi être évident pour tout le monde ».
Le sujet abordé dans ce rapport est d’une redoutable complexité car la notion, de conflit d’intérêts, malaisée à définir, fait l’objet de nombreux amalgames : elle est très fréquemment confondue avec « la corruption, (…) le trafic d’influence ou la prise illégale d’intérêts » qui constituent « une infraction pénale volontaire ». Le conflit d’intérêts s’en distingue puisqu’il renvoie à une « situation objective » où l’honnêteté des protagonistes n’est pas forcément en cause : il en va ainsi d’un juge qui serait saisi par une personne proche de lui ; la difficulté pourra être aisément levée s’il s’abstient de traiter l’affaire.
Dès lors, souligne Terra Nova, l’enjeu n’est pas d’« éliminer systématiquement » tous les cas de figure engendrant des conflits d’intérêts, mais de faire en sorte que les individus placés dans de telles situations n’en tirent pas parti. Il s’agit là d’une « clé d’entrée » pour refonder « la vie démocratique ».
Les signataires de cette étude ont réalisé un travail très fouillé. Ils ont ouvert la focale sur des pays étrangers (Etats-Unis, Islande, entre autres) et examiné la façon dont le problème se pose dans le monde de la banque, de la santé, ainsi que dans le secteur public.
S’agissant de la France, ils mentionnent que des dispositions ont été prises au début des années 1990, notamment pour les experts chargés de superviser le secteur du médicament. L’arsenal législatif s’est renforcé, « mais reste néanmoins en deçà de ce qui nous semble nécessaire », écrivent les auteurs de la note. Ainsi, les règles encadrant le passage du public vers le privé (« pantouflage ») et les allers-retours entre ces deux champs « sont faibles ». Il existe bien une commission de déontologie, mais elle « contrôle, au mieux, la situation au moment du départ de la fonction publique, (…) pas lors de changements ultérieurs ». Et elle « met très rarement son veto » au transfert vers une entreprise d’un conseiller du chef de l’Etat ou d’un ministre.
Plusieurs « mécanismes » sont proposés dans un « objectif d’assainissement et de restauration de la confiance ». Leur pouvoir contraignant est modulé en fonction du risque qu’ils « visent à conjurer ». En haut de l’échelle, il y a des « mesures radicales », qui renforcent les incompatibilités pour un membre de gouvernement : celui-ci ne doit plus pouvoir exercer de responsabilités dans un parti politique (comme le firent, par exemple, Nicolas Sarkozy et Marie-George Buffet) ou dans une collectivité territoriale (à l’image de Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense et président de la région Bretagne). Le but est de « garantir qu’une de ces fonctions ne parasite l’autre ».
Pour les députés et sénateurs, les options préconisées sont, elles aussi, très strictes : il devrait leur être interdit de cumuler leur mandat avec « toute autre » fonction élective, « voire avec toute autre fonction, y compris privée ». « Il est essentiel que les parlementaires se consacrent à plein-temps et exclusivement à leur mandat », martèle Terra Nova, en déplorant l’absentéisme dans les deux chambres. Parallèlement, le nombre de parlementaires pourrait être réduit « sans inconvénient », à condition d’accroître leurs « moyens de travail ».
Les auteurs du rapport pensent aussi que le cumul doit être limité « dans le temps » : « Deux mandats successifs constituent une durée raisonnable », affirment-ils, en parlant des parlementaires, mais aussi des élus locaux, car le risque est grand, en s’installant durablement dans une fonction, de sombrer dans « divers clientélismes, qui sont une des formes les plus pures des conflits d’intérêts ». Une telle disposition est de nature à concourir au « renouvellement (…) des élites ».
Quant aux fonctionnaires, il conviendrait de « limiter le temps » qu’ils passent « en dehors de la fonction publique ». Au bout de cinq ans (et non plus de dix, comme aujourd’hui), il leur faudrait choisir : rentrer au bercail ou démissionner. De plus, un agent public ne devrait pas pouvoir « revenir dans son corps d’origine, [si ce dernier] a un quelconque lien avec le secteur » où il travaillait précédemment. Dans cette hypothèse, un inspecteur des finances, qui a pantouflé dans une banque, serait tenu de trouver un point de chute extérieur à Bercy.