Une campagne présidentielle dénaturée
Une campagne présidentielle dénaturée
Editorial. Les affaires liées à François Fillon et Marine Le Pen contribuent à creuser un peu plus le dégoût des Français pour la chose publique.
Editorial du « Monde ». L’élection présidentielle est le dernier scrutin auquel les Français accordent véritablement de l’importance. Dans tous les autres – législatifs, locaux, plus encore européens –, la montée des niveaux d’abstention depuis une bonne vingtaine d’années témoigne du désintérêt ou de la défiance des citoyens à l’égard des responsables politiques. Seule la présidentielle a, jusqu’à présent, échappé à ce délitement démocratique. Bon an, mal an, quatre Français sur cinq continuent à y participer, jugeant que leur avenir et celui du pays s’y décident, tous les cinq ans.
C’est pourquoi la façon dont s’est engagée l’actuelle campagne est calamiteuse. En l’espace de quelques jours, le débat démocratique s’est trouvé paralysé, éclipsé, asphyxié par les révélations touchant le candidat du parti Les Républicains. François Fillon peut bien jouer les outragés, dénoncer des attaques d’une « violence inouïe » et « sans précédent » contre lui, s’emporter contre ce qu’il qualifie, sans sourciller, de « coup d’Etat institutionnel », la réalité est malheureusement beaucoup plus triviale.
Un délétère parfum de favoritisme
Il se présentait, y compris pour mieux se démarquer de l’ancien président Nicolas Sarkozy, comme le « candidat de l’honnêteté ». Il se flattait d’être « irréprochable ». Tout démontre qu’il ne l’est pas. Les conditions dans lesquelles il a rémunéré ou fait rémunérer pendant de longues années son épouse Penelope ou deux de ses enfants, les sommes en jeu, dont il n’a à aucun moment contesté le montant, son incapacité, jusqu’à présent, à apporter la preuve de la réalité d’un travail effectué par ses proches, font plus qu’entretenir le soupçon qu’il s’agissait d’emplois fictifs financés, dans l’opacité des usages parlementaires, par de l’argent public. Il n’y a rien, là, d’illégal, clame-t-il.
La justice tranchera. Mais, quelle que soit sa conclusion, il restera de cette affaire un délétère parfum de favoritisme, de népotisme et d’avantages indus. Au regard de cet enjeu éthique, le point de savoir si M. Fillon jettera l’éponge ou si ses « amis » l’y contraindront apparaît presque subalterne.
Ce n’est pas tout. Si ce « Penelopegate » occupe tous les esprits depuis huit jours, la candidate du Front national n’est pas en reste. Elle aussi se présente comme la « candidate du peuple », la candidate aux « mains propres » contre les turpitudes de « l’oligarchie ». Et elle vient d’être sommée par le Parlement européen, où elle siège, de rembourser 300 000 euros pour avoir fait rémunérer comme assistante parlementaire à Bruxelles sa chef de cabinet à Paris.
Sentiment d’impunité et égotismes aveugles
Pis, plusieurs parlementaires européens du Front national sont désormais, pour les mêmes raisons, dans le collimateur de la justice française, qui a ouvert, en décembre 2016, une information judiciaire pour « escroquerie en bande organisée ». Et c’est compter sans les enquêtes ouvertes sur le financement irrégulier de toutes les campagnes électorales du FN depuis 2012.
A force de prendre les Français pour des benêts, à force de donner à voir et à entendre de telles formes d’indifférence ou de mépris à leur égard, à force de s’affranchir de la plus élémentaire probité publique, l’on finira, d’une manière ou d’une autre, par creuser un peu plus leur dégoût de la chose publique et par provoquer leur révolte – légitime. Enfermés dans leur sentiment d’impunité et dans leurs égotismes aveugles, les candidats responsables de cet état de fait ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes. Mais trop tard.