Bien qu’en déclin, l’EI reste pour l’ONU une menace majeure
Bien qu’en déclin, l’EI reste pour l’ONU une menace majeure
Par Madjid Zerrouky
Le secrétaire général de l’ONU a présenté au Conseil de sécurité son quatrième rapport sur la menace que représente l’organisation djihadiste.
Une carcasse de voiture suicide, dans le quartier Saddam de Mossoul, le 6 novembre 2016. | LAURENT VAN DER STOCKT POUR L EMONDE
L’organisation Etat islamique (EI) est sur la défensive, mais les djihadistes restent une « grave menace » et « s’adaptent partiellement » à leurs pertes sur le champ de bataille. C’est la conclusion du quatrième rapport du secrétaire général de l’ONU « sur la menace que représente l’Etat islamique en Irak au Levant », présenté lundi au Conseil de sécurité, qui doit se réunir mardi 7 février à ce sujet.
Rédigée à partir notamment de rapports confidentiels, joints par des pays confrontés au phénomène djihadiste – qui ne sont jamais clairement identifiés –, cette synthèse se veut un bilan d’étape à la fois sur la menace et sur les moyens déployés pour la combattre.
- Priorité aux « attaques extérieures »
Principal constat : début 2017, l’EI est militairement en recul dans plusieurs régions, notamment en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, où l’organisation n’a pas été en mesure de résister à une pression soutenue. Mais le groupe redouble d’énergie pour les « attaques extérieures » menées en dehors des zones où il est implanté. Ces menaces sont sans cesse renouvelées par les responsables de l’EI, qui appellent leurs sympathisants à frapper les pays membres de la coalition internationale qui le combat en Syrie et en Irak.
Confronté à des mesures de surveillance renforcées, le groupe recrute de plus en plus dans l’ombre, à travers « des méthodes de communication interne et de recrutement de plus en plus clandestines (Web profond, cryptage et utilisation de messagers) », prévient le rapport. Des attentats ou tentatives sont commis par des individus téléguidés par des membres de l’EI à travers des applications de messagerie cryptées. Ainsi « des combattants terroristes étrangers appartenant à la structure centrale [nouent] des relations avec certains individus dans leur pays d’origine pour les encourager à commettre des attentats ».
Et même si « l’EI n’a mené aucune attaque complexe à grande échelle en Europe occidentale » depuis le dernier bilan présenté au Conseil de sécurité, en septembre 2016, « les Etats membres estiment néanmoins que la menace d’attaques à grande échelle reste présente : l’un [des Etats membres] affirme que les agents qui auraient été envoyés en Europe pour conduire les attaques de Paris et de Bruxelles n’auraient pas tous été identifiés et arrêtés. »
- Moins de djihadistes étrangers, mais plus déterminés
L’ONU confirme que le flux d’étrangers qui se rendent en Irak ou en Syrie pour rejoindre l’EI s’est considérablement tari – mais le rapport n’avance aucun chiffre. La structure centrale de l’EI a ainsi perdu de son « attrait en raison des pressions militaires », mais aussi « grâce au renforcement des mesures de surveillance » prises par les Etats pour entraver, voire empêcher les voyages de djihadistes ou d’apprentis djihadistes, vers la Syrie notamment.
Non citée dans le rapport, l’offensive militaire d’Ankara dans le nord de la Syrie a en outre privé l’EI de sa « frontière » avec la Turquie et donc de la principale zone de passage des djihadistes étrangers. L’organisation elle-même a pris acte de la difficulté de ses sympathisants à la rejoindre sur le théâtre irako-syrien, et n’a cessé de les appeler à passer à l’action dans leurs pays respectifs.
Pour ceux qui ont atteint la Syrie et l’Irak ces dernières années, « entre 15 % et 40 % [sont] à présent rentrés » chez eux, selon les statistiques fournies par les Etats dont ils sont issus, ce qui pose la question de leur dangerosité et de leur « déradicalisation », particulièrement en Afrique du Nord et en Europe. On estime que l’EI a attiré près de 30 000 djihadistes étrangers sur son territoire.
Quant aux autres, beaucoup vont « rester en Irak et en Syrie car la plupart de ceux qui avaient l’intention de s’en aller l’ont déjà fait », « prévoit un Etat membre » , et « ceux qui restent dans la zone de conflit présenteront une menace s’ils retournent chez eux, la plupart d’entre eux étant les plus attachés idéologiquement à l’EI ». Selon les informations du Monde, le flux des djihadistes (hommes) européens qui prennent contact avec les autorités pour rentrer a fortement diminué ces dernières semaines. Il resterait donc le noyau dur.
- Des finances en berne, mais qui restent importantes
La mission d’assistance des Nations unies en Irak estime à 260 millions de dollars (243 millions d’euros) les revenus qu’a tirés l’EI de la contrebande d’hydrocarbures en 2016, contre 500 millions pour l’année 2015 – des hydrocarbures exploités principalement dans la province de Deir ez-Zor, en Syrie.
La manne subit donc une baisse sensible mais reste importante. « Les cours du pétrole fluctuent considérablement et le carburant est limité », constate le rapport, qui souligne néanmoins que le groupe a « fait preuve d’ingéniosité dans la réparation ou l’adaptation des équipements et infrastructures endommagés par les frappes aériennes de la coalition internationale ».
« En dépit des pressions considérables que subissent les finances [de l’EI], les sources de revenus du groupe n’ont pas beaucoup changé, celui-ci continuant de compter essentiellement sur les recettes provenant des ressources en hydrocarbures, de l’extorsion et des “contributions”, qui, ensemble, représentent entre 70 % et 80 % de ses revenus. » Outre la contrebande de pétrole, les djihadistes renflouent leurs caisses avec la vente d’électricité et de produits agricoles, le trafic d’antiquités, les rançons d’enlèvement, les dons de l’étranger, la traite humaine et, exemple parmi d’autres, le harcèlement des petits contrebandiers et revendeurs de cigarettes – dont la consommation est interdite par les djihadistes –, qui se voient infliger des amendes de 30 à 50 dollars (28 à 46 euros).
« Le groupe semble disposer de suffisamment de fonds pour poursuivre les combats, car il accorde la priorité à sa machine de guerre plutôt qu’à la prestation de services minimaux à la population, et nombre de combattants du noyau dur semblent prêts à poursuivre le combat sans recevoir de salaire », prévient l’ONU.
Une évolution qu’a pu constater Le Monde à Mossoul, en Irak, où le groupe a considérablement réduit la voilure de ses prestations sociales, mais où il continue de s’accrocher militairement dans la partie occidentale de la ville, quatre mois après le début de l’offensive irakienne pour le déloger de son fief.