Affaire Fillon : « Il n’y a aucune contestation en interne sur la compétence du parquet national financier »
Affaire Fillon : « Il n’y a aucune contestation en interne sur la compétence du parquet national financier »
Propos recueillis par Patrick Roger
Didier Rebut, professeur de droit pénal à l’université Paris-II, décrypte les compétences du parquet national financier, dont les avocats de Fillon ont demandé qu’il se dessaisisse de l’enquête.
Didier Rebut, professeur de droit pénal à l’université Paris-II et membre du Club des juristes, décrypte les compétences du parquet national financier, dont les avocats de Fillon ont demandé qu’il se dessaisisse de l’enquête.
Il apparaît difficile à François Fillon, au stade où en est la procédure, de pouvoir contester la compétence du parquet national financier (PNF). Quels sont les critères de compétence du PNF ?
Le parquet national financier a une compétence spéciale, liée à des infractions bien déterminées qui sont énumérées dans les articles 705 et 705-1 du code de procédure pénale.
L’article 705 du code de procédure pénale dresse ainsi une liste d’infractions pour lesquelles il attribue compétence au parquet national financier. Ces infractions sont notamment les fraudes fiscales, les fraudes électorales et les délits dits d’atteinte à la probité comme la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts ou le détournement de fonds publics. La compétence du parquet national financier est néanmoins subordonnée, pour ces infractions, à une deuxième condition qui tient à la grande complexité de l’affaire.
Il convient par ailleurs de relever que cette compétence est concurrente au sens où une fraude fiscale ou un délit d’atteinte à la probité et relevant d’une affaire de grande complexité peut aussi être de la compétence du parquet normalement compétent, qui est généralement celui du lieu de commission de l’infraction. Il incombe alors au parquet national financier et à ce parquet normalement compétent de s’entendre entre eux pour décider de celui qui se saisira de l’affaire.
Il faut enfin signaler que le parquet national financier est aussi compétent pour connaître du blanchiment des infractions entrant dans sa compétence et des infractions connexes à celles-ci, lesquelles sont les infractions en lien avec celles entrant dans sa compétence.
L’article 705-1 du code de procédure pénale prévoit un autre cas de compétence du PNF. Ce sont les délits boursiers. Sa compétence est là exclusive et n’est subordonnée à aucune autre condition. Il s’ensuit que le parquet national financier est compétent pour ces délits dès qu’ils sont constatés.
Le parquet national financier peut-il être incompétent dans ce dossier ?
Une incompétence du parquet national financier ne pourrait résulter dans cette affaire que s’il était démontré que les faits ne réunissaient pas les critères prévus par la loi.
Ce pourrait d’abord être le cas s’il était établi que l’affaire n’est pas d’une grande complexité. On peut néanmoins douter qu’il soit possible de contester la compétence du parquet national financier sur ce motif. La notion de grande complexité est très souple, de sorte qu’il semble difficile d’établir qu’une affaire – comme celle concernant François Fillon – n’est pas d’une grande complexité. Les nombreuses investigations dont la presse fait état dans cette affaire semblent bien établir qu’elle est d’une grande complexité.
L’absence de compétence du parquet national financier peut aussi résulter du fait qu’il enquêterait sur une infraction qui ne figure pas dans la liste de l’article 705 du code de procédure pénale. C’est la question, dans cette affaire, de l’application du délit de détournement de fonds publics aux faits reprochés à François Fillon. Or il y a bien une incertitude sur ce point.
Le délit de détournement de fonds publics prévu par l’article 432-15 du code pénal exige que celui qui l’a commis ait une qualité déterminée. Il prévoit ainsi que cet auteur doit être ou bien une personne dépositaire de l’autorité publique, ou bien une personne chargée d’une mission de service public, ou bien un comptable public ou bien un dépositaire public. Il n’est pas certain qu’un parlementaire entre dans l’une de ces catégories, lesquelles font l’objet de définitions précises en droit administratif.
Si cela était bien avéré, c’est-à-dire s’il était établi que M. Fillon n’avait aucune des qualités exigées par le détournement de fonds publics, il apparaîtrait alors que le parquet national financier a ouvert une enquête sur des faits qui ne correspondent pas à un délit entrant dans sa compétence.
Si le PNF n’était pas compétent, quelle décision pourrait être prise ?
Les personnes concernées par le dossier n’ont, à ce stade du dossier qui est celui de l’enquête, aucun moyen de contester la compétence du parquet national financier. Aucune juridiction n’est en effet compétente pour examiner leur contestation de cette compétence. Seul le procureur général pourrait éventuellement enjoindre au parquet national financier de se dessaisir au profit du parquet de Paris. Cette hypothèse semble néanmoins très peu probable.
Il faut en outre rappeler que le parquet national financier vient d’expliquer que sa saisine de l’affaire s’était faite en accord avec le parquet de Paris. Il n’y a donc aucune contestation en interne sur la compétence du parquet national financier.
Les personnes concernées et plus particulièrement M. Fillon pourront en fait contester la compétence du parquet national financier lorsqu’une juridiction d’instruction ou de jugement aura été saisie. Il s’agira alors pour eux de soutenir que les faits ne peuvent pas constituer un délit de détournement de fonds publics et que, de ce fait, le parquet national financier a agi en dehors de sa compétence. La démonstration que tel était bien le cas conduira à s’interroger sur la validité des actes accomplis par le parquet national financier. Mais ce scénario ne peut intervenir – rappelons-le – qu’après saisine d’une juridiction, c’est-à-dire en cas d’ouverture d’une information judiciaire avec désignation d’un juge d’instruction ou en cas de saisine directe d’une juridiction de jugement.