« J’ai signé un contrat avec l’UE, je veux simplement savoir si cet accord est toujours d’actualité », a mis en garde, le 6 février, Aziz Akhannouch, ministre marocain de l’agriculture, en évoquant l’accord agricole entre le pays et l’Union européenne, aujourd’hui au centre d’une bataille juridique et politique avec le Front Polisario.

Faute de garanties, Rabat pourrait chercher d’autres partenaires, que le ministre marocain nomme : « La Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, les pays du Golfe et nos voisins africains. » Le Maroc bénéficie depuis 2008 du « statut avancé » avec l’Union, mais les plus hautes autorités du royaume ne cachent plus leur agacement vis-à-vis de Bruxelles.

Signe de cette exaspération, M. Akhannouch a plus ouvertement menacé l’UE « d’un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir ». Un argument explicité par le ministre dans un entretien accordé à l’agence de presse espagnole EFE : « Comment voulez-vous que nous continuions à empêcher l’émigration africaine et même marocaine si l’Europe refuse de travailler avec nous ? Pourquoi continuer de servir de gendarmes ? »

Une déconvenue pour la diplomatie marocaine

Le 6 février à l’aube, dix-huit migrants ont pénétré dans l’enclave espagnole de Melilla. La préfecture locale a indiqué qu’une quarantaine de migrants avaient « échappé aux forces de l’ordre marocaines ». Le message semble avoir été reçu à Bruxelles. Dès le lendemain, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et la représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini se sont engagés à « préserver les termes de l’accord agricole avec le Maroc », devant le ministre marocain délégué aux affaires étrangères, Nasser Bourita.

Rabat s’inquiète des conséquences de la décision de la Cour de justice de l’UE (CJUE) rendue en appel le 21 décembre 2016, qui exclut, sans ambiguïté, le Sahara occidental du périmètre d’un accord agricole entre les deux parties. La diplomatie marocaine s’était félicitée, dans un premier temps, du rejet du recours du Front Polisario contre l’accord.

Mais cette satisfaction de façade cache une déconvenue pour la diplomatie marocaine, le jugement étant clair que le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire marocain. En première instance, en décembre 2015, la CJUE avait d’abord annulé l’accord agricole, ce qui avait provoqué le gel par le Maroc de ses relations avec l’Union.

Cette décision de la CJUE d’exclure le Sahara occidental de l’accord semble avoir encouragé la résistance contre les exportations marocaines en provenance du territoire contesté. L’affaire la plus récente concerne le Key Bay, un navire battant pavillon de Gibraltar. Transportant de l’huile de poisson en provenance de Laâyoune, cette embarcation a été signalée, le 14 janvier, dans le port de Las Palmas (Canaries), où elle a subi un contrôle de quelques heures de la Guardia Civil, après une dénonciation d’Izquierda Unida (gauche radicale). Le bateau a finalement débarqué au port de Fécamp (Normandie) le 23 janvier. Mais cette importation est jugée illégale par le Polisario, qui a reçu le soutien de trois parlementaires européens écologistes, dont José Bové, qui ont écrit à Mme Mogherini, le 16 janvier.

Stratégie de « name and shame »

Gelé à l’ONU, le conflit au Sahara occidental prend donc un tournant plus juridique et commercial, avec une contestation par le Polisario et les associations qui le soutiennent des accords de libéralisation des échanges agricoles et de pêche, les côtes du Sahara occidental étant réputées très poissonneuses. Ce mouvement s’accompagne en Europe d’une campagne de la société civile contre l’exploitation des ressources naturelles du territoire par le Maroc. Le Western Sahara Resource Watch (WSRW), une alliance d’ONG pro-sahraouies très active en Europe du Nord, édite ainsi annuellement le rapport P for Plunder (P pour Pillage) qui détaille les entreprises opérant au Sahara occidental, dans une stratégie de « name and shame ».

Outre les ressources naturelles, les contestations par le Polisario s’étendent aussi dans le secteur des énergies renouvelables, au moment où le royaume lance d’ambitieux projets, y compris au Sahara occidental. Pour avoir remporté, en mars 2016, l’appel d’offres pour la réalisation de champs éoliens (850 MW au total) en partenariat avec Nareva, l’entreprise énergétique contrôlée par la SNI et holding de la famille royale marocaine, les sociétés allemande Siemens et italienne Enel sont aujourd’hui dénoncées par WSRW. Deux des cinq champs éoliens prévus doivent être construits à Tiskrad (300 MW) et à Boujdour (100 MW), au Sahara occidental.

Le royaume a annexé ce territoire en 1975, qui lui est disputé par le Front Polisario, lequel a proclamé une République arabe sahraouie démocratique (RASD). Après un conflit armé jusqu’en 1991, l’ONU a mis en place une mission (Minurso) chargée d’organiser un référendum d’autodétermination, mais resté lettre morte. Or, Rabat cherche à contourner sur le terrain économique l’absence de reconnaissance internationale de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Le royaume a proposé en 2007 une large autonomie, rejetée par le Polisario, et continue à investir au Sahara occidental, à travers un « nouveau modèle de développement des provinces du Sud », annoncé en novembre 2013.