Nicolai Gedda avec Maria Callas en 1964. | ARCHIVES PRIVÉES GEDDA

La mort du grand ténor suédois, Nicolai Gedda, avait déjà été annoncée sur Wikipedia et les réseaux sociaux, le 16 mai 2015. Démenti formel. Cette fois, elle est restée secrète durant plus d’un mois : survenue le 8 janvier à Lausanne (Suisse), elle vient d’être annoncée par sa famille ce 9 février : l’artiste de 91 ans aurait souhaité cette « discrétion ». Drôle de fin pour celui dont la carrière restera comme l’une des plus éblouissantes du XXe siècle, ne serait-ce que par l’importance d’un legs discographique (plus de 200 disques et quelque 70 rôles à son répertoire) couvrant un répertoire ouvert sur l’universel.

La longévité vocale de Nicolai Gedda parle pour lui : ce natif de l’entre deux guerres mondiales chante encore à l’orée du XXIe siècle. Du baroque (Platée, de Rameau en 1957 au Festival d’Aix-en-Provence) à la musique contemporaine (Vanessa, de Barber, dont il assure la création mondiale en 1957 au Metropolitan Opera de New York, sous la direction de Mitropoulos), il est à la tête d’une impressionnante armada de rôles. De Lully à Puccini, de Delibes à Janacek, il aura (presque) tout chanté. Seul Wagner lui reste hors de portée : abordé à Stockholm en 1966, un unique Lohengrin restera lettre morte. La voix est lumineuse et saine, la projection puissante, les aigus faciles, mais Nicolai Gedda sait qu’il n’est pas un « Heldentenor ».

Malgré cela, le nombre de ses enregistrements restés au répertoire est l’un des plus importants de toute l’histoire lyrique. Y figurent en bonne place ceux réalisés durant l’âge d’or de Walter Legge chez HMV (qui deviendra EMI), avec des équipages de luxe (Karajan, Schwarzkopf, Callas, Victoria de Los Angeles…). Mais également des gravures sous d’autres labels : Philips (La Damnation de Faust et Benvenuto Cellini de Berlioz, avec Colin Davis), Deutsche Grammophon (Candide de Bernstein sous la baguette du compositeur).

Sa formation de chanteur, commencée auprès de son père adoptif cantor à l’église orthodoxe, se poursuivra avec l’éminent wagnérien Carl Martin Oehmann

Né le 11 juillet 1925 à Stockholm dans une famille d’émigrés russes, Harry Gustaf Nikolai Gädda sera abandonné à la naissance. Il est élevé par sa tante Olga Gädda, fille d’un russe émigré en Suède puis à Riga, et son mari, Mikhail Ustinoff, qui a fui son pays et la Révolution de 1917. C’est à l’âge de l’âge de 17 ans qu’il apprendra qu’il est en réalité le fils naturel de son « oncle », Nikolaï Gädda, et d’une Suédoise, Clary Linnéa Lindberg. La famille Ustinoff émigre à Leipzig de 1929 à 1935 : après le russe et le suédois, le petit Nicolai apprend l’allemand, puis, de retour dans son pays après l’accession d’Hitler au pouvoir, l’anglais et le français.

Sa formation de chanteur, commencée auprès de son père adoptif, cantor à l’église orthodoxe, se poursuivra avec l’éminent wagnérien, Carl Martin Oehmann. La famille est pauvre : Nicolai travaille comme employé de banque et chante lui aussi à l’église orthodoxe. C’est le Prix Kristina Nilsson qui lui permet d’être accepté en 1950 comme auditeur libre à l’Académie royale de musique de Stockholm.

Ses débuts le 8 avril 1952 à l’opéra de sa ville natale dans Le postillon de Longjumeau d’Adam sont triomphaux, au point d’attirer l’attention du producteur Walter Legge et d’Herbert von Karajan. Le premier lui fait signer un contrat et enregistrer Boris Godounov de Moussorgski tandis que le second le fait venir en Italie – à la RAI de Rome pour Oedipus Rex de Stravinsky, à La Scala de Milan, où il chante en 1953 Don Ottavio dans le Don Giovanni de Mozart.

Les grandes villes lyriques d’Europe se mettent aussitôt sur les rangs : l’Opéra de Paris pour Oberon de Weber et Les Indes galantes de Rameau, le Covent Garden de Londres pour Rigoletto de Verdi, le Festival d’Aix-en-Provence en 1954 pour L’Enlèvement au sérail de Mozart et Mireille de Gounod ; Vienne pour une version de concert de Carmen de Bizet (Don José). 1957 voit la double conquête du Festival de Salzbourg (L’Enlèvement au sérail) après le Metropolitan Opera de New York (Faust de Gounod), où il ne se produira pas moins de 367 fois dans 28 opéras jusqu’en 1983.

Amoureux des défis

A Paris, il chante le grand répertoire italien (La Traviata et Rigoletto de Verdi) mais s’illustre surtout dans l’opéra français dont il devient un interprète majeur – ses Contes d’Hoffmann d’Offenbach mis en scène par Patrice Chéreau en 1974 resteront dans les annales, de même, deux ans plus tard, le Faust de Gounod (revu par Jorge Lavelli), un opéra dont il livrera pour EMI deux enregistrements mythiques en 1953 et en 1959, avec Victoria de Los Angeles et Boris Christoff, sous la direction d’André Cluytens. Son interprétation de Lakmé (Delibes) ou des Pêcheurs de perle (Bizet) est restée un modèle.

Nicolai Gedda "Je crois entendre encore" Les pecheurs de perles
Durée : 03:34

Vienne, Hambourg, Munich : l’Allemagne accueille celui qui devient une vedette très populaire de l’opérette viennoise. Nicolai Gedda chante aussi des oratorios, donne des récitals de Lieder et de mélodies. Cet amoureux des défis n’hésite pas à se colleter avec des œuvres réputées injouables. Ainsi à Rome, Les Troyens de Berlioz (1969) ; à Turin, Le Prophète de Meyerbeer (1970) ; à Florence, Les Huguenots, toujours Meyerbeer et Guillaume Tell de Rossini (1972).

En plus d’aigus faciles (un contre ré rayonnant), le ténor suédois possède une diction remarquable dans toutes les langues (son français, comme son style, sont irréprochables), un phrasé d’une grande élégance et un art très sûr de la demi-teinte. Cet amoureux des mots, doté d’une technique irréprochable, a toujours conservé souplesse et légèreté. Si la voix se corse au fil des ans, gagnant en aura masculine et perdant peut-être en subtilité et en couleur, elle reste éminemment lyrique, la puissance de l’émission n’excédant jamais les limites de l’instrument. A près de 50 ans, il enregistre encore le rôle d’Arturo dans I Puritani de Bellini (avec Beverly Sills) et Arnold dans Guillaume Tell de Rossini (avec Gabriel Bacquier et Montserrat Caballé), deux rôles aux tessitures meurtrières.

Lire la critique du documentaire télévisé « Un ténor au diapason » : Ténor de grâce

L’homme n’est certes pas un acteur-né, et quelques rôles dans cette pléthore discographique ne sont pas d’une nécessité absolue. Mais l’humilité de ce grand artiste légendaire reste un exemple. Lorsqu’il fera ses adieux au monde lyrique à l’âge de 80 ans, ce ne sera pas sur une de ces grandes scènes mondiales où il connut le triomphe mais avec la modeste chorale russe orthodoxe qui avait vu ses débuts de soliste à l’âge de 11 ans.

Nicolai Gedda en quelques dates :

1925 : naissance le 11 juillet à Stockholm (Suède)

1952 : repéré par Walter Legge et Herbert von Karajan

1953 : débuts à La Scala de Milan dans Don Giovanni de Mozart

1957 : débuts au Metropolitan Opera de New York et au Festival de Salzbourg

1976 : triomphe dans Faust de Gounod à l’Opéra de Paris

1980 : fait ses débuts au Bolchoï

2010 : reçoit la Légion d’Honneur à Paris

2017 : meurt le 8 janvier à Lausanne (Suisse)