Si Fillon était suédois…
Si Fillon était suédois…
M le magazine du Monde
En Suède, commettre une faute morale est presque aussi grave qu’enfreindre la loi. Plusieurs ministres en ont fait les frais.
En 1995, Mona Sahlin (à gauche), numéro deux du gouvernement suédois, avait dû démissionner pour avoir payé une barre chocolatée (et d’autres achats) avec sa carte de fonction. | Romain Beurrier/REA
Les frasques sexuelles d’un candidat à la présidence de la République française, les virées nocturnes à scooter d’un chef de l’État en exercice, la condamnation à la prison avec sursis et les multiples mises en examen de deux anciens locataires de l’Élysée… Et désormais, le « Penelopegate ». Rien ne semble plus pouvoir surprendre les Suédois, qui, depuis longtemps déjà, ne voient plus de grandes différences entre l’Italie de Berlusconi et la France de la Ve République.
Ce n’est pas du cynisme. Plutôt l’effet d’un décalage culturel. Les médias suédois, qui suivent de près l’affaire Fillon, ont ainsi dû expliquer à leurs lecteurs que rémunérer son épouse ou ses enfants avec des fonds publics « n’est pas illégal » en France, et même « au contraire ordinaire chez les politiciens français », comme le souligne le quotidien Dagens Nyheter. Le journal précise par ailleurs que Marine Le Pen, dont les Suédois craignent la victoire à la présidentielle, « s’est livrée à une comptabilité créative similaire ».
« L’affaire du Toblerone » en 1995
La Suède n’est certes pas à l’abri d’un scandale. La presse du royaume a révélé, fin janvier, qu’une enquête pour corruption avait été ouverte contre l’ancien ministre conservateur des finances, Anders Borg. La justice le soupçonne d’avoir participé à une partie de chasse, payée par un des plus puissants investisseurs suédois. Il n’était pourtant plus au gouvernement
et il assure avoir réglé lui-même la facture de 2 500 couronnes (265 euros).
À l’automne 2006, deux ministres conservatrices avaient dû démissionner une dizaine
de jours après leur nomination. La ministre de la culture, pour ne pas s’être acquittée de la redevance audiovisuelle pendant seize ans. Sa collègue du commerce, pour avoir omis de déclarer aux impôts sa baby-sitter. Elle avait ensuite invoqué la faiblesse de ses revenus. En quelques heures, les journalistes avaient découvert qu’elle gagnait à l’époque plusieurs millions de couronnes et disposait d’une société dans un paradis fiscal. Sa position était devenue intenable.
Commettre une faute morale est d’ailleurs presque aussi grave qu’enfreindre la loi. Dans les deux cas, il est quasiment impossible pour un élu suédois de conserver son poste. A l’été 2016, la ministre de l’enseignement supérieur a quitté ses fonctions après avoir été contrôlée au volant avec un taux d’alcoolémie de 0,2 gramme – la limite constituant un délit en Suède. Aida Hadzialic a regretté « la plus grande erreur de [sa] vie ».
Le scandale le plus retentissant reste « l’affaire du Toblerone ». Fin 1995, Mona Sahlin, numéro deux du gouvernement social-démocrate, est forcée à la démission pour avoir réglé un certain nombre de courses personnelles, dont une barre chocolatée, avec sa carte de crédit de fonction. Elle sera élue à la tête de son parti douze ans plus tard. Mais au printemps dernier, alors qu’elle avait été nommée coordinatrice de la lutte contre la radicalisation, elle a de nouveau été poussée vers la sortie après avoir menti sur le salaire de son ex-garde du corps, afin de lui permettre d’obtenir un emprunt.
Lire aussi : Qu’est-ce qui pousse les élus, en Europe, à la démission ?