La maire d’Aix-en-Provence renvoyée devant le tribunal
La maire d’Aix-en-Provence renvoyée devant le tribunal
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
L’élue sera notamment jugée pour détournement de fonds publics
Maryse Joissains-Masini, en 2013. | BERTRAND LANGLOIS / AFP
Emploi de complaisance et promotion turbo de son chauffeur vaudront à Maryse Joissains-Masini, maire (Les Républicains) d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), d’être jugée prochainement pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel que vient de signer le juge d’instruction Marc Rivet, et dont Le Monde a pris connaissance, est l’aboutissement d’une enquête « méticuleuse et documentée », écrit celui-ci, qui a révélé « au sein de la mairie d’Aix-en-Provence, un rapport complexe avec l’intérêt général dans un somptueux mélange d’autocratie, de népotisme et de désinvolture dans l’engagement des deniers publics ».
Autant de dérives dont se défend Mme Joissains-Masini, 74 ans, maire depuis 2001, élue députée de 2002 à 2012 et dont la personnalité forte en gueule s’est accommodée avec Aix-« la bourgeoise ». « Je crois être une des élues les plus honnêtes de France en ayant toujours eu la rigueur comme modèle », avait-elle revendiqué lors de sa mise en examen, le 8 avril 2014, vantant la bonne gestion de la ville.
Si la lettre anonyme adressée en 2012 au procureur de la République d’Aix-en-Provence par un « contribuable du pays d’Aix qui en a marre de l’usage frauduleux de l’argent public » listait une série de turpitudes, l’instruction ouverte dans son sillage aboutit à deux griefs faits à Mme Joissains-Masini.
Présidente de la communauté du pays d’Aix (CPA), l’élue va devoir s’expliquer sur l’embauche à son cabinet d’une militante aixoise de la cause animale, « recrutée, écrit le juge d’instruction, selon des modalités contestables et rémunérée pour exercer une compétence étrangère à celles de la CPA », alors que des associations sont subventionnées pour lutter contre la maltraitance des animaux et des contrats passés pour le ramassage des chiens et chats errants.
« Elle est folle ! Elle déconne »
Le magistrat en conclut que cet emploi relève du « financement par des fonds publics de l’expression du seul désir [de Maryse Joissains-Masini], déconnectée d’une quelconque nécessité préalablement évaluée », autrement dit « une conception “absolutiste” des pouvoirs du chef de l’exécutif local ». A la CPA, l’élue disposait de quatre postes de cabinet discrétionnaires. « Je suis donc seule maître de l’opportunité à la fois de leur recrutement et de la détermination de leurs missions », a-t-elle rétorqué.
Mme Joissains-Masini défend aussi la promotion d’Omar Achouri, son chauffeur et ami, un temps son assistant parlementaire. Il a été promu attaché territorial de cadre A, au salaire de 4 400 euros mensuels net, alors que son nom figurait au 50e rang de la liste soumise, en mai 2013, à la commission d’aptitude paritaire, l’instance de représentation et de dialogue de la fonction publique française.
De nombreux cadres de l’administration ont estimé que cette promotion relevait du fait du prince. « Omar nommé attaché, enfin, elle est folle ! Elle déconne », s’était étonné un ancien directeur général des services de la ville. « Une boutade », dira même un directeur de cabinet. Une syndicaliste siégeant dans cette commission n’a « jamais vu, en vingt ans, une situation de nomination au-delà de la 25e place ».
« Erreur manifeste d’appréciation »
Interrogée sur l’adéquation entre le profil de son chauffeur et la fiche de poste réclamant « des capacités rédactionnelles et de synthèse », Mme Joissains-Masini avait évoqué « une grande tradition d’oralité dans la fonction publique territoriale. Il y a par ailleurs des fonctions, notamment dans le cabinet du maire, dans lesquelles il est d’usage de ne pas laisser d’écrits ». Le 27 décembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé l’annulation de l’arrêté de nomination d’Omar Achouri, pointant « une erreur manifeste d’appréciation de la valeur et de l’expérience professionnelle de l’intéressé ».
Placés sous le statut de témoin assisté durant l’instruction, le chauffeur et l’ancienne collaboratrice ne sont pas poursuivis, d’éventuels faits de recel n’étant « pas suffisamment caractérisés ». En revanche, un fils d’Omar Achouri est renvoyé devant le tribunal pour concussion. Comme deux autres enfants et une belle-fille du chauffeur de l’élue, Christophe Achouri avait été embauché dans des structures de la communauté du pays d’Aix mais y aurait brillé par des absences au profit de son activité d’agent de joueurs. Afin que cet absentéisme ne pénalise pas le service, cet agent avait été affecté en doublon dans une piscine. « Il n’y a rien d’interdit d’embaucher au sein d’une collectivité territoriale les membres d’une même famille, ils étaient tous catégorie C », s’est défendue Mme Joissains-Masini, qui attribue ses déboires judiciaires à un règlement de comptes politique.