Ils étaient venus par centaines ce samedi 11 février, à 16 heures, dans le parc situé en face du tribunal de grande instance de Bobigny – près de 2 000 personnes, selon la préfecture de police de Paris – pour manifester contre les violences policières et exprimer leur soutien à Théo L., victime d’un viol présumé lors d’une intervention de police le 2 février, à Aulnay-sous-Bois.

« On en a marre des humiliations et des contrôles au faciès quotidiens, a expliqué Issa Bidard, 18 ans, étudiant en sciences politiques à l’université Paris-VIII et habitant de la cité Karl Marx, à Bobigny. Quand j’étais petit, c’était Bouna [Traoré] et Zied [Benna], aujourd’hui, c’est Adama [Traoré] et Théo : on se demande qui sera le prochain. » C’est lui et son copain depuis le collège, Yanis Rezzoug, étudiant en histoire, qui ont organisé ce rassemblement « pacifique », ont-ils insisté, « de notre propre initiative », en tant que « simples citoyens français des quartiers populaires ». Une première expérience au goût un peu amer.

Vendredi, « quand on a vu l’écho que cette mobilisation rencontrait nous avons, en plus de la déclaration en préfecture, été voir le commissaire afin de lui permettre d’anticiper et d’assurer la sécurité de notre rassemblement », déclarent les deux jeunes hommes dans un communiqué cet après-midi. Pas moins de vingt-cinq camionnettes de la gendarmerie et de la police nationale stationnaient le long de l’avenue Paul Vaillant Couturier, au pied du tribunal. Sans compter les véhicules postés dans les rues adjacentes. Issa Bidard et Yanis Rezzoug avaient tout fait pour que ce rassemblement se déroule dans le calme.

Depuis l’appel lancé sur les réseaux sociaux dimanche 5 février, ils n’avaient cessé de marteler leur « message de paix » et dire « Non aux violences ». « Nous savons que si ça tourne mal, c’est nous tous qui allons prendre », déclarait Yanis, samedi, quelques minutes avant le début de la manifestation. Militant au sein de la Jeunesse Communiste, le jeune homme a tenu à le souligner : « Cet appel a été lancé sans étiquette politique. » Jamais ils n’avaient imaginé qu’il prendrait une telle ampleur. « Les amis de mon père m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu une mobilisation pareille, commente Issa. Cela montre à quel point le ras-le-bol est général et que nos revendications sont légitimes et soutenues. » Les jeunes n’étaient pas les seuls à s’être déplacés.

Ouleye Goudiaby ( a droite), maman de 3 enfants denonce le harcelement poplicier dans les quartiers de banlieue et espere que la justice condamnera les ^policiers qui ont agresse Theo a Aulnay. | HERVE LEQUEUX / HANSLUCAS POUR LE MONDE

Isa, 50 ans, mère de cinq enfants, habitante de Clichy-sous-Bois, était venue avec une vingtaine de « daronnes » de son quartier. « Nous sommes là parce que ce sont nos enfants qui subissent ça et que nous avons peur pour eux, a-t-elle expliqué. Si la police ne les protège pas mais les attaque et les viole, qu’est-ce qu’on fait ? On est pacifistes, on veut la justice, mais on dit aux jeunes de rester toujours courtois et respectueux, car il n’y a que comme ça qu’on gagnera. »

« La France nous regarde »

Au micro, sur une estrade improvisée, plusieurs personnes, associatifs ou simples citoyens, ont pris la parole à tour de rôle. Un homme d’une trentaine d’années, a insisté : « Il suffit de voir le nombre de gens présents ici aujourd’hui pour comprendre que les bavures policières, c’est le quotidien des quartiers ». Un autre : « La police n’est que le bras armé d’un Etat qui nous méprise ». « Rendez-nous notre dignité », a alors scandé la foule avant de réclamer « Justice pour Théo ». « La France nous regarde, on la fait propre et bien. On fait de belles images », ajoute un autre intervenant. Avant qu’Issa Bidard réitère son message à la foule : « Montrez-leur qu’on est intelligent, montrez-leur qu’on n’est pas des sauvages, montrez-leur qu’on sait se tenir. » Quelques minutes seulement avant le début des débordements.

Alors que le rassemblement se déroulait dans le calme, vers 17 h 30, quelques dizaines de jeunes ont commencé à lancer des projectiles sur des policiers postés sur une passerelle surplombant le lieu de rassemblement. S’en sont suivis des feux de poubelles, des incendies de véhicules, des dégradations de bâtiments administratifs, d’abribus et de mobilier urbain. La police a riposté par des tirs de Flash-Ball et de grenades de gaz lacrymogène. Issa et Yanis ont tout de suite pris le micro pour appeler au calme. En vain. « Malheureusement, ça n’a pas marché, déplore Issa. Alors nous avons appelé la foule à se disperser. »

Eux non plus ne sont pas restés pour voir la situation dégénérer. « Ce n’était plus notre place, poursuit le jeune homme. Ni celle des manifestants, tous des pacifistes. » Quatre copines âgées de 25 ans et résidentes de Nanterre étaient là, elles aussi, pour attirer l’attention sur ce que leurs « petits frères subissent au quotidien » ainsi qu’elles-mêmes : « Nous, les filles, on ne se fait pas contrôler mais on a le droit à des gestes et des allusions sexuelles déplacées tout le temps de la part des policiers. » A la vue des casseurs – qui n’étaient pas dans le parc, ils sont arrivés par une rue adjacente ayant un accès direct à la passerelle – elles se sont regroupées loin des affrontements. « On ne cautionne pas ces actes, c’est vraiment dommage. On va encore dire que tous les jeunes des quartiers sont des casseurs », déplore l’une d’elle.

Incidents en marge du rassemblement à Bobigny. A la gare routiere de Bobigny des abris bus sont detruits. | HERVE LEQUEUX / HANSLUCAS POUR LE MONDE

« Qu’est-ce qui a pu aussi mal se passer ? »

« Nous sommes déçus et un peu tristes, commente Yanis. Ce n’est pas notre façon de nous exprimer. Nous, on essaie de faire changer les choses diplomatiquement. » Les jeunes hommes, comme la foule qui s’était déplacée, craignent que ces violences ne détruisent aussi le message qu’ils voulaient faire passer : « Parler des problèmes que nous vivons au quotidien dans les banlieues et récréer du lien entre l’Etat et les quartiers populaires. » Et la démonstration qu’ils souhaitaient faire : « Nous voulions aussi prouver qu’on était capable de s’organiser efficacement et dignement en tant que banlieusards. »

Yanis et Issa ne comprennent pas comment la situation a pu autant dégénérer. « Au début du rassemblement, nous sommes retournés voir le commissaire de Bobigny et nous avons eu un vrai bon dialogue, raconte Issa, qui s’interroge sur la gestion du maintien de l’ordre par la police. Il n’y avait que quelques dizaines de casseurs, qu’est ce qui a pu aussi mal se passer ? » Les deux copains veulent malgré tout rester positifs et ne retenir que l’essentiel : le succès de la mobilisation. « Nous avons réussi à faire bouger les quartiers populaires, à les réveiller, se félicite Yanis. Nous sommes quand même fiers de ce que nous avons accompli. Avant que les violences éclatent, il y avait une véritable union et un vrai sentiment de joie. Et ça, ça a été extraordinaire pour moi. »

« Les 2 000 personnes présentes au rassemblement n’ont rien fait de mal, renchérit Issa, encouragé par de nombreux messages de soutien. Les gens bien intentionnés le savent et ne feront pas d’amalgames. » En tout cas, c’est ce qu’ils espèrent. « Nous restons clairs et déterminés sur nos mots d’ordre, ajoutent-ils dans leur communiqué. Mobiliser la société et réunir les gens contre toutes les violences policières dans le calme, la dignité et la fierté des nôtres. » Avant de conclure : « Le combat n’est pas fini. Nous ne lâcherons pas l’affaire. Sans justice, pas de paix ! »