Frank-Walter Steinmeier au Bundestag, dimanche 12 février. | AXEL SCHMIDT / AFP

Certaines élections présidentielles se déroulent sans la moindre surprise. Tel a été le cas en Allemagne, dimanche 12 février, où Frank-Walter Steinmeier, a été élu, dès le 1er tour de scrutin, par 931 voix sur 1 260 grands électeurs (les députés du Bundestag et des délégués des Länder), douzième président de la République fédérale. L’ex-ministre social-démocrate des affaires étrangères succédera officiellement le 18 mars à Joachim Gauck. Elu en 2012, cet ancien pasteur luthérien connu pour avoir été l’une des figures de l’opposition démocratique dans l’ex-Allemagne de l’Est puis pour avoir dirigé la commission sur les archives de la Stasi après la réunification de 1990, avait annoncé, en juin 2016, qu’il ne souhaitait pas se représenter en raison de son âge (il vient de fêter ses 77 ans).

Si un tel résultat était attendu, c’est parce que M. Steinmeier était non seulement le candidat de son parti, le SPD, mais aussi celui des conservateurs de la CDU/CSU. Après avoir cherché pendant des mois à présenter un candidat issu de sa famille politique mais susceptible de rallier une large majorité de suffrages au-delà de son propre camp, la chancelière, Angela Merkel, s’était en effet résolue, le 14 novembre 2016, à se ranger derrière la candidature de son ministre des affaires étrangères.

Soutenu en outre par les Verts et les libéraux-démocrates du FDP, M. Steinmeier était de facto le grand favori de l’élection. Seuls deux grands des principaux partis politiques du pays avaient décidé de l’affronter : Die Linke (gauche radicale), représenté par l’ancien professeur de science politique Christoph Butterwegge et Alternative pour l’Allemagne (extrême droite), qui avait pour candidat le juriste Albrecht Glaser, un ancien membre de la CDU connu pour ses propos ouvertement islamophobes.

Un dirigeant apprécié

Avec M. Steinmeier, c’est un visage connu et consensuel qui s’apprête à occuper, pour les cinq années à venir, le château Bellevue, le siège de la présidence de la République, situé dans le parc de Tiergarten, au cœur de Berlin. Apprécié des Allemands, qui l’ont souvent hissé en tête des baromètres de popularité au cours des dernières années, cet homme posé et souriant n’en est cependant venu que tardivement à jouer les premiers rôles.

D’origine modeste, ce fils de charpentier, né en 1956 en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, a d’abord gagné ses galons comme homme de confiance de l’ancien chancelier Gerhard Schröder. Docteur en droit, auteur d’une thèse consacrée aux politiques publiques en faveur des sans-abri, il sert d’abord celui-ci à Hanovre, à l’époque où Schröder était ministre-président de Basse-Saxe, avant de le suivre à Berlin, en 1998, quand l’ancien président du SPD succède à Helmut Kohl à la tête du gouvernement fédéral.

Comme numéro deux de la chancellerie, il est le véritable concepteur de l’Agenda 2010, ce vaste programme de réformes mis en œuvre entre 2003 et 2005 dont les partisans rappellent qu’elles ont permis à l’Allemagne, considérée alors comme « l’homme malade de l’Europe », de devenir la première puissance économique du continent, et dont les contempteurs soulignent qu’elles ont accru la précarité et creusé les inégalités.

Paradoxalement, c’est la défaite de son mentor face à Angela Merkel qui permettra à Frank Walter-Steinmeier d’accéder à la lumière. En 2005, il devient ministre des affaires étrangères dans le premier gouvernement de « grande coalition » (CDU-CSU/SPD) dirigé par la chancelière conservatrice. L’expérience durera quatre ans. Aux élections législatives de 2009, le SPD n’obtient que 23 % des voix – son pire score jamais obtenu depuis la création de la République fédérale, soixante ans plus tôt – et retourne dans l’opposition.

Sens du dialogue

Candidat à la chancellerie contre Mme Merkel, M. Steinmeier aurait pu être marginalisé après ce lourd revers électoral. Il n’en sera rien. En tant que président du groupe SPD au Bundestag, il reste une figure centrale de la vie politique. Auprès de l’opinion, il acquiert en outre un fort capital de sympathie, en mettant sa carrière entre parenthèses pendant quelques semaines, en 2010, pour donner un rein à sa femme.

Au lendemain des législatives de 2013, après quatre années passées dans l’opposition, les sociaux-démocrates font leur retour dans le gouvernement de Mme Merkel, et M. Steinmeier, qui en rêvait, redevient ministre des affaires étrangères. Lors de ce second passage à la tête de la diplomatie allemande, il s’illustrera par son opiniâtreté et son sens du dialogue, que ce soit lors de la crise ukrainienne, dans le conflit syrien ou à propos du nucléaire iranien. Un sens du dialogue qui le conduira parfois à se voir reprocher une trop grande indulgence à l’égard de la Russie, au risque de se trouver accusé de sacrifier la défense des droits de l’homme sur l’autel de la Realpolitik.

Homme au verbe maîtrisé, au point de désespérer les journalistes en quête d’une phrase un peu forte lorsqu’ils venaient l’interviewer, M. Steinmeier était cependant sorti de sa réserve habituelle en qualifiant Donald Trump, en août 2016, de « prêcheur de haine ». A l’époque, cette sortie fut d’autant plus remarquée qu’elle contrastait avec le silence prudent de Mme Merkel, qui s’était donné pour ligne de ne pas commenter publiquement la campagne présidentielle américaine.

Quel type de président sera M. Steinmeier ? Difficile à dire : élus au suffrage indirect pour exercer une fonction essentiellement honorifique, les candidats à la magistrature suprême, en Allemagne, ne font pas campagne sur un programme. Cela ne leur interdit pas, en amont du scrutin, de délivrer quelques messages très politiques qui donnent une idée du rôle qu’ils entendent jouer à la tête de l’Etat.

Ces dernières semaines, M. Steinmeier ne s’en est pas privé. Ce fut le cas jeudi 26 janvier, vingt-quatre heures avant qu’il ne cède le portefeuille des affaires étrangères à son « camarade » du SPD Sigmar Gabriel, jusqu’alors chargé de l’économie dans le gouvernement de Mme Merkel. Ce jour-là, c’est à Paris que le futur chef de l’Etat allemand a fait son dernier déplacement en tant que ministre. Décoré de la Légion d’honneur par son homologue Jean-Marc Ayrault, il a mis en garde son auditoire :

« S’il vous plaît, ne cédez pas aux sirènes du populisme. »

Quelques jours plus tard, devant les élus de Bavière, il se fit encore plus clair :

« Je voudrais être, en tant que président, comme un contrepoids aux simplificateurs sans limites. »