La résurrection d’un livre anticolonialiste en Inde
La résurrection d’un livre anticolonialiste en Inde
M le magazine du Monde
Un roman français du XIXe siècle, « Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran » d’Alfred Assollant, a été traduit pour la première fois en Inde cet été.
Une pépite oubliée de la littérature française du XIXe siècle a été publiée pour la première fois en anglais à l’été 2016. Pas au Royaume-Uni, ni aux Etats-Unis, mais en Inde. Depuis sa première publication, en 1867, personne n’avait traduit Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran, d’Alfred Assollant (1827-1886). Il a fallu la persévérance et le dur labeur de Sam Miller, ancien correspondant de la BBC en Inde, conquis par l’humour et le brio du récit, qui en a rédigé cette première traduction. Le livre paraît chez Juggernaut, une maison d’édition lancée au printemps, qui publie ses ouvrages autant sur papier qu’à un format adapté aux smartphones.
Entre le récit d’aventures pour enfants et le conte philosophique, le texte est très critique envers l’impérialisme britannique en Inde et trouve une résonance particulière aujourd’hui, dans un pays qui fêtera cette année les 70 ans de son indépendance.
Un marin épris de justice et de liberté
L’ouvrage suit le capitaine Corcoran, « malouin de naissance et français de nation », un marin envoyé en Inde pour retrouver un manuscrit vieux de plusieurs millénaires, le Gouroukamratâ. En chemin, il rencontre le maharaja Holkar, combat les Anglais à ses côtés, et tombe amoureux de sa fille aux « yeux de lotus » et « droite comme un palmier », la princesse Sita. A la mort d’Holkar, le Breton épouse Sita et, presque malgré lui, devient le maharaja Corcoran, à la tête d’un royaume marathe de 15 millions d’âmes. Fort de ses exploits, le Malouin est révéré comme la onzième réincarnation de la divinité Vishnu. Mais, à la différence des autres maharajas ou empereurs, le capitaine met son pouvoir au service de l’égalité et de la justice sociale. Il proclame ainsi une république et autorise la création d’une assemblée où tous les citoyens ont le droit d’élire leurs représentants.
Alfred Assollant, qui n’a jamais mis un pied en Inde, fustige le colonialisme : « Tous les jours, l’homme le plus civilisé, celui que tu rencontres dans les salons de Paris et de Londres, fait très tranquillement des calculs qui lui donneront quelques centaines de mille francs et qui causeront peut-être la mort de plusieurs milliers d’hommes. » Le récit n’épargne pas non plus les Français. « Il y a dans cet univers deux espèces d’hommes ou, si vous voulez, deux races principales. C’est le Français et l’Anglais (…). Ce sont deux races affamées, l’une de louanges, l’autre d’argent. Mais toutes deux également batailleuses et prêtes à se mêler des affaires d’autrui sans y être invitées. »
Une deuxième vie en France ?
Dès sa parution, le livre a reçu un bel accueil critique de la presse indienne. Le quotidien The Hindu (qui tire à plus d’un million d’exemplaires) y voit les ingrédients d’un film de Bollywood. Alfred Assollant aurait certainement apprécié le compliment. « Ce récit est très contemporain, explique Sam Miller. Beaucoup de lecteurs ont vu des ressemblances entre les maharajas de l’époque, qui pillaient le pays pour amasser leur propre fortune, et les politiciens d’aujourd’hui. »
La réapparition de l’ouvrage en Inde lui donnera-t-il une deuxième vie en France ? Très populaires jusqu’à la seconde guerre mondiale, mentionnées dans les écrits de Jean-Paul Sartre et d’Antonio Gramsci, Les Aventures du capitaine Corcoran sont ensuite tombées dans l’oubli. Tout comme son auteur, dont Sam Miller tente avec peine de reconstituer la biographie et de retrouver d’autres ouvrages. Un jour, peut-être, ses aventures auront droit au même succès populaire que Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling.