Luce Vigo (à droite) en 2012, accompagnée des membres du jury qu’elle présidait : Joana Preiss, Marie Losier, Brice Matthieussent et Jean-Charles Hue. | FID MARSEILLE

Sa présence sereine et bienveillante dans les salles de projection parisiennes donnait aux journalistes la sensation d’être en contact avec la source du cinéma moderne. Luce Vigo n’était pas seulement la fille de Jean Vigo, l’auteur de L’Atalante (1934), c’était aussi une critique, une programmatrice et une infatigable promotrice du jeune cinéma, à travers, entre autres, le prix Jean-Vigo. Elle est morte à Paris dimanche 12 février, à 85 ans.

Née le 30 juin 1931, elle n’a que trois ans quand son père, lui-même orphelin du militant anarchiste Miguel Almeyreda, mort en prison en 1917, meurt, à 29 ans, le 5 octobre 1934, de la tuberculose. Dans un très bel entretien recueilli par Jean Roy et publié par L’Humanité en 2005, elle se souvient de son enfance sans parents (sa mère meurt en 1939), loin de la personnalité et de l’œuvre de Jean Vigo : « J’avais une mère trop malade pour me parler de mon père. A partir de cinq, six ans, moi aussi j’ai été atteinte au poumon et j’étais dans des maisons en montagne, donc elle n’a pas pu transmettre. Je n’ai pas eu de mots sur la mort de mon père ou sur celle de ma mère », se souvenait-elle.

Elle voit pour la première fois les films de son père à la Libération, c’est-à-dire au moment où François Truffaut les découvre de son côté. « Naturellement je n’ai rien vu parce que c’était trop lourd, donc j’ai rejeté Vigo », a-t-elle expliqué. Mais elle renoue à cette occasion avec certains de collaborateurs de son père, comme le chef opérateur Boris Kaufman, frère du cinéaste soviétique Dziga Vertov et futur directeur de la photographie d’Otto Preminger.

Une carrière d’enseignante

En 1951, l’écrivain Claude Aveline la consulte lorsqu’il fonde le prix Jean-Vigo destiné à qui veut « plutôt que de saluer une œuvre d’exception (…), remarquer un auteur d’avenir ». Luce Vigo est encore mineure et se tient pendant un long moment à l’écart de l’organisation du prix. Etudiante en psychologie, elle s’apprête à entamer une carrière d’enseignante. Celle-ci la mène au Maroc où elle commence à s’intéresser au cinéma, écrivant son premier texte sur le cinéma de son père à l’occasion de la projection de l’un de ses films à Casablanca.

A son retour en France, elle participe à l’organisation du prix Jean-Vigo et milite dans le courant des ciné-clubs, au sein de la fédération qui porte le nom de son père, écrivant dans la revue Jeune Cinéma. En 1968, elle est à Nice avec Michel Simon (l’interprète de L’Atalante) et Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque pour inaugurer la rue Jean-Vigo. Luce Vigo finit par quitter l’enseignement pour se consacrer tout à fait au cinéma.

Gérard Vaugeois, producteur et membre du jury du prix Jean-Vigo depuis 1976 : « Elle aimait la jeunesse par-dessus tout »

Dans les années 1980, elle programme la salle de cinéma de la Maison de la culture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et participe à la fondation du festival de courts-métrages d’Epinay qui deviendra plus tard les rencontres de Pantin. Elle écrit aussi dans Révolution, l’hebdomadaire culturel du Parti communiste.

En 2002, elle finit par écrire une courte biographie de son père, Jean Vigo, une vie engagée dans le cinéma, éditée par Les Cahiers du cinéma. En 2011, elle fait une apparition dans Le Havre, d’Aki Kaurismäki.

Le producteur Gérard Vaugeois, membre du jury du prix Jean-Vigo depuis 1976, dit de Luce Vigo : « Elle aimait la jeunesse par-dessus tout .» Au fil des années, le prix Jean-Vigo, qui, avant son arrivée, avait déjà distingué Alain Resnais, Chris Marker ou Jean-Luc Godard, est allé à Philippe Garrel, Olivier Assayas ou Alain Guiraudie. « Pour eux, malgré la différence d’âge, c’était une amie », se souvient-il.