Consultation de sites terroristes : douze condamnations, et plusieurs questions
Consultation de sites terroristes : douze condamnations, et plusieurs questions
Par Perrine Signoret
Quelques jours seulement après son invalidation par le Conseil constitutionnel, le délit de consultation habituelle de sites terroristes est à nouveau au cœur des débats.
Vendredi 10 février, le Conseil constitutionnel censurait le délit de consultation habituelle de sites terroristes, estimant qu’il constituait une atteinte à la liberté de communication qui n’était ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée. Et qu’il était donc, de fait, contraire à la Constitution.
La décision semblait alors clore plusieurs mois de débats, sur le caractère nécessaire ou liberticide d’un texte qui sanctionnait de deux années de prison au maximum le fait de consulter de manière régulière des sites faisant l’apologie du terrorisme. C’était sans compter le projet de loi pour la sécurité publique : après une première lecture du texte au Sénat et à l’Assemblée nationale, les parlementaires de la commission mixte paritaire se sont en effet prononcés en faveur de la réintroduction d’un délit de consultation habituelle de sites terroristes.
J'ai fait rétablir en le modifiant le délit de consultation de sites terroristes à la #CMP de la loi sur la sécurité publique.
— BasPhilippe (@Philippe Bas)
Comme dans le cas du premier dispositif, qui contenait une exception dite « de bonne foi », celui-ci prévoit que lorsqu’un journaliste, un parlementaire ou autre, consulte un site terroriste « pour un motif légitime », le délit ne vaut pas. La différence entre les deux réside en revanche dans l’introduction d’une nouvelle condition, celle de la « manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée ».
Douze condamnations pour consultation
Selon les chiffres du ministère de la justice, trente-neuf procédures ont été ouvertes pour consultation habituelle de sites terroristes depuis le vote de la loi ; douze ont été jugées et ont abouti à des condamnations. D’après les différents comptes rendus d’audience publiés dans la presse, les douze condamnés, âgés de 18 ans à 42 ans, étaient tous des hommes, à l’exception d’une femme, embrigadée par l’intermédiaire de l’application de messagerie Telegram.
Si certains cas dénotent, comme celui du doyen des prévenus, dénoncé par la gérante d’un site échangiste sur lequel il postait des commentaires, la plupart présentent des similitudes. Beaucoup ne se contentaient ainsi pas de consulter des sites, mais téléchargeaient aussi des images ou des vidéos faisant l’apologie du terrorisme, ou échangeaient sur des réseaux sociaux avec des personnes soupçonnées de préparer des attentats.
Plusieurs ont tenté de mettre en avant, dans le cadre de leur défense, une curiosité mal placée, ou un désir d’information. Sans succès. Tous ont été condamnés pour simple consultation ou pour consultation et apologie au terrorisme, à des peines allant de huit mois de prison avec sursis, à cinq ans, dont trois fermes (la consultation seule étant passible de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende). La quasi-totalité des prévenus ont été condamnés à au moins six mois de prison ferme.
Deux motifs indépendants, une peine commune
Pour ces personnes, la décision du Conseil constitutionnel n’est pas synonyme de remise en liberté, comme nous l’explique l’avocat Martin Méchin. En septembre 2016, il défendait à la barre un homme de 29 ans, fiché « S », accusé d’apologie et de consultation habituelle de sites terroristes. Celui-ci avait été condamné à quatre ans de prison, dont deux ferme. Me Méchin, se souvient :
« J’avais moi-même déposé une question prioritaire de constitutionnalité, mais elle avait été rejetée, au motif qu’une autre avait déjà été transmise. [Mais] cette décision n’y changera [finalement] rien. On ne reprochait pas [à mon client] que la consultation de sites, mais aussi et principalement l’incitation au terrorisme. Et si les deux motifs sont indépendants, la peine, elle, est commune. »
Me Méchin explique ainsi que pour bénéficier d’une véritable réduction de peine, il aurait fallu pouvoir encore faire appel de la condamnation globale. Or, pour ce faire, le délai de dix jours est largement dépassé. Son seul espoir réside donc dans une demande d’aménagement de peine, que le juge d’application des peines, rappelle-t-il, n’est en aucun cas obligé de satisfaire. « Il faut aussi savoir qu’un aménagement de peine est un peu difficile à obtenir quand il s’agit d’une affaire en lien avec le terrorisme », précise l’avocat. Une difficulté encore plus importante pour les personnes ayant été condamnées pour plusieurs faits, et pas uniquement pour consultation de sites terroristes.
Un nouveau texte « plus précis » ?
David Jeanmaire, avocat en Moselle, a défendu l’homme dénoncé par la gérante du site échangiste. Son client a finalement été condamné à huit mois de prison ferme en octobre 2016, et il songe à une demande de réhabilitation ; une procédure particulière qui présente un avantage : le délit de consultation de sites terroristes « ne figure plus sur le casier ». Là encore son client a également été condamné pour apologie au terrorisme et ne pourra donc bénéficier d’une réduction de peine.
L’avocat estime également que la nouvelle proposition de délit de consultation contenue dans le projet de loi sur la sécurité publique présente plutôt des améliorations par rapport à la version censurée par le Conseil constitutionnel.
« C’est un peu différent du texte [précédent], qui posait un problème de liberté d’expression et de communication. Il était compliqué à mettre en œuvre. Je pense que le législateur s’en remettait pleinement à l’interprétation des tribunaux. Ce n’était pas clair, rien n’était clair. La notion d’habitude, par exemple. Il y avait peut-être des gens qui consultaient tous les jours ces sites, et donc, oui, ils pouvaient tomber sous le coup de ce texte, mais pour d’autres, c’était plus compliqué, comme pour mon client. Parfois, il cliquait juste sur des sites et repartait, [ou] il y restait vraiment très peu de temps et n’y revenait plus. Il y avait plusieurs questions qui se posaient : par exemple, est-ce qu’il avait le temps de lire, ou est-ce qu’il venait juste voir ? »
Selon Me Jeanmaire, le fait de se poser la question de l’intention, du but, pourrait permettre de remédier à ce type de problème.
Me Martin Méchin, lui, est moins optimiste : « L’idée de la manifestation d’adhésion, pourquoi pas ?, mais je ne vois pas trop ce que ça recouvre dans la plupart des cas. C’est très flou, ça reste à l’appréciation du tribunal. A la limite, [pour le prouver], il faudrait que [le prévenu] poste une vidéo sur YouTube où il prête allégeance à l’EI. Mais du coup, ça se rapproche du délit d’incitation au terrorisme, une infraction qui existe déjà… »
Les chances du nouveau délit de survivre à un nouveau passage devant le Conseil constitutionnel semblent, dans tous les cas, relativement minces. Même le rapporteur de la commission mixte parlementaire, Yves Goasdoué, confiait son scepticisme à demi-mot dans un compte rendu publié le 15 février. S’il y saluait l’apparition de garanties, « telles que [le texte] ne peut plus nuire à grand monde », il a en effet avoué ne pas être « certain qu’il résisterait à une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité ».