TV : « Une Tournée dans la neige » mortelle
TV : « Une Tournée dans la neige » mortelle
Par Christine Rousseau
Notre choix TV du week-end. Au-delà des raisons qui ont poussé une jeune factrice de 21 ans à se suicider, Hélène Marini enquête sur une société en proie à la déshumanisation (sur LCP-AN, dimanche 19 à 20h45).
Zadig Productions / LCP-Assemblée nationale
Sinueuse par endroits, enneigée presque partout, la route serpente au milieu d’un paysage gris et monotone où, au détour d’un chemin, s’élève parfois une ferme esseulée. Cette route de Haute-Loire, perchée à 1 000 mètres d’altitude au sud de Saint-Etienne, Pauline, jeune factrice intérimaire, la connaissait par cœur pour y avoir distribué le courrier lors de l’été et de l’automne. Mais c’est sous d’autres conditions bien plus périlleuses qu’elle l’emprunte le 14 février 2013. Proche de craquer, le lendemain, la jeune femme se rend chez la directrice du bureau de poste qui, à l’issue de l’entretien, la renvoie en pleurs chez elle. Au soir, Pauline sera retrouvée pendue chez elle.
Bouleversée par cette histoire qui n’a donné lieu qu’à de brefs échos dans la presse, Hélène Marini s’est rendue à Monistrol-sur-Loire pour enquêter sur le suicide de cette employée de La Poste de 21 ans, quelques mois après, alors même qu’un autre suicide venait de se produire.
« 39 secondes pour livrer un colis »
Empruntant à son tour la route de cette « Tournée 24 », elle interroge d’abord les riverains, pour la plupart des paysans de plus en plus reclus dans leur solitude, qui n’ont gardé qu’un vague souvenir de la jeune femme. Et pour cause, entre le « turnover » des facteurs en CDD – « vivier » fécond dont use et abuse l’entreprise – et les consignes de rendements presque intenables – « 39 secondes pour livrer un colis », précise un employé – qui n’autorisent guère à échanger quelques mots, le nom et le visage des hommes et femmes, ne risquent pas de s’imprimer dans les mémoires.
Zadig Productions / LCP-Assemblée nationale
De Pauline, on saura seulement que la jeune femme rêvait de devenir architecte et qu’elle était, selon le rapport d’enquête interne, « discrète, voire timide, efficace, rapide, méticuleuse, voulant toujours bien faire, professionnelle perfectionniste ». Autant de qualités qui se muent alors en défauts lorsque la tâche devient impossible à tenir, se retournent contre soi, voire blessent mortellement. « De son échec de ne pas avoir accompli la tournée, sans doute s’en est-elle voulu à elle-même, commente Hélène Marini. Mais, autour d’elle, il y a cette violence sourde. »
Un regard politique et poétique
Celle d’une entreprise, comme l’écrit un cadre de La Poste dans une lettre laissée après son suicide, qui a « remis en cause » les valeurs sur lesquelles elle s’était construite : le respect de l’autre, le respect de la parole donnée, du droit à l’erreur et à faire confiance tout en contrôlant de manière humaine. Celle aussi des brutales mutations au sein d’une société dans laquelle les liens se distendent, les rapports s’érodent, voire se corrompent ; où les individus se renferment dans le silence (celui-là même qui traverse ce film poignant et remuant) ou le déni. A l’image de Mireille, retraitée de La Poste, qui se refuse à parler en mal d’une « administration qui l’a nourrie », malgré le suicide de Marie-Hélène, sa chef trop impliquée dans son travail ; ou, d’une autre manière, de ce syndicaliste pour qui le geste de Pauline est incompréhensible. Sa « nature à lui » étant de lutter, il dit préférer porter son combat sur la contestation, la revendication plutôt que se donner la mort.
Au-delà du motif – Pauline n’a laissé aucun mot expliquant son geste – la réalisatrice, au fil de ses rencontres souvent émouvantes, dessine d’une écriture tout à la fois politique et poétique, une époque mouvante, brutale et froide contre laquelle un matin d’hiver une jeune femme s’est heurtée.
La diffusion de ce documentaire sera suivie d’un débat intitulé « Où sont les territoires oubliés de la République ? » avec pour invités Hélène Marini et Thomas Lilti.
La Tournée dans la neige, d’Hélène Marini (Fr. 2017, 70 min).